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Convention d’immersion professionnelle : conditions de la requalification en contrat de travail

Commentaire de C. trav. Mons, 20 mai 2015, R.G. 2013/AM/129

Mis en ligne le jeudi 12 novembre 2015


Cour du travail de Mons, 20 mai 2015, R.G. n° 2013/AM/129

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 mai 2015, la Cour du travail de Mons examine une convention d’immersion professionnelle (coiffure) conclue via l’intervention d’un organisme non agréé et rappelle que cet élément n’a pas pour effet de transformer la convention en cause en contrat de travail.

Les faits

L’ONSS procède à une décision d’assujettissement d’office, notifiée à une commerçante (coiffeuse) en avril 2011. Cette décision fait suite à un rapport de l’inspection sociale, qui avait conclu, suite à l’audition d’une personne travaillant en salon de coiffure, à l’application de la sécurité sociale des travailleurs salariés pour une période de trois ans environ.

Une Asbl de la région de Charleroi dont l’objet social était notamment l’insertion professionnelle en entreprise de stagiaires-coiffeurs est intervenue aux fins d’encadrer cette formation pratique en entreprise, pour la sœur de la coiffeuse en question. Elle organisait, en effet, ce genre de formation pratique et assurait elle-même une formation théorique.

Un contrat est signé le 1er janvier 2006, prévoyant notamment que la formation théorique doit être assurée au centre de formation mais que l’entreprise peut y déroger et assurer elle-même cette formation technique dans un centre de son choix. Le stagiaire perçoit une indemnité forfaitaire de deux euros l’heure et le contrat de formation peut être rompu moyennant des règles tout à fait particulières. Une convention bilatérale est également signée avec l’Asbl contenant certaines précisions quant aux conditions de la formation.

Dans son enquête, l’inspection sociale constata que l’intéressée, qui n’avait pas été déclarée en DIMONA ni en déclaration multifonctionnelle ni comme apprentie, effectuait, selon le P.V. d’audition, des tâches d’accueil et des travaux simples de coiffure.

Pour l’ONSS, il y a non respect de la réglementation relative à la formation en entreprise, l’Office confirmant la position de l’inspection sociale, étant que la convention signée par l’utilisateur professionnel ne peut être tenue comme conforme à la loi-programme du 2 août 2002, eu égard à l’absence d’agréation de l’Asbl au sens de la loi-programme, ainsi qu’au fait qu’elle ne répond pas aux conditions de l’arrêté de l’Exécutif de la Communauté Française du 12 mai 1987 relatif à la formation professionnelle, non plus qu’au décret du 1er avril 2004 relatif au dispositif intégré d’insertion socio-professionnelle (l’Asbl ne pouvant être considérée comme opérateur de formation et d’insertion au sens de celui-ci). Les prestations ne peuvent dès lors être assimilées à un stage d’immersion professionnelle.

L’ONSS introduit, en conséquence, une procédure devant le Tribunal du travail de Charleroi en paiement des cotisations correspondant à la période d’occupation et, par jugement du 29 janvier 2013, il est fait droit à la demande de l’Office.

Appel est interjeté par la gérante du salon de coiffure.

Décision de la cour

Sur le fond, étant les conséquences à tirer du défaut d’agrément de l’Asbl, la cour renvoie à un arrêt rendu par la même juridiction (autrement composée) le 8 janvier 2015 (C. trav. Mons, 8 janvier 2015, R.G. n° 2013/AM/340), où elle a constaté que l’Asbl ne pouvait être considérée comme un opérateur de formation et d’insertion professionnelle (décret du 1er avril 2004) mais que cette circonstance ne peut entraîner automatiquement la requalification des relations professionnelles en contrat de travail. Dans cet arrêt, la cour a renvoyé aux conditions de la loi-programme du 2 août 2002 dont les articles 104 à 109 visent toutes les formules de formation ou de stage en entreprise au sens large et notamment les formules d’immersion professionnelle qui ne font pas l’objet d’un encadrement juridique.

L’absence de plan de formation agréé n’est assortie d’aucune sanction en cas de non respect et ceci ne peut aboutir à une requalification automatique en contrat de travail.

La cour du travail rappelle dès lors un principe plus général étant que lorsque l’employeur conteste une décision d’assujettissement (d’office), nait entre l’ONSS et lui-même en litige relatif à l’existence d’un contrat de travail. Le juge doit dès lors voir si ce contrat de travail existe, et ce tenant compte des éléments de fait. L’ONSS ne peut dès lors invoquer des manquements au contrat d’immersion ou encore l’absence d’agrément de l’Asbl pour tirer une conclusion automatique, étant qu’il y a contrat de travail.

Sur la question de la mise à disposition irrégulière d’un travailleur au sens de la loi du 24 juillet 1987, la cour en rappelle le mécanisme, étant qu’est interdite une mise à disposition de travailleurs préalablement engagés par la société prêteuse – ce qui n’est pas le cas en l’espèce. N’est pas couverte l’activité qui consiste à placer des personnes auprès de tiers alors qu’elles n’ont pas dans un premier été engagées par la société qui les place. La cour renvoie encore à la doctrine de CH.-E. CLESSE, (CH.-E. CLESSE, Travailleurs détachés et mis à disposition, Larcier 2008, p. 26 et s.), selon laquelle une telle situation doit s’apprécier eu égard à la question de l’existence d’un bureau de placement au sens de l’arrêté royal du 28 septembre 1975.

La cour constate, enfin, que l’administrateur de l’Asbl a été poursuivi par le Tribunal correctionnel de Mons et qu’il a été reconnu coupable d’avoir contrevenu aux dispositions concernant l’agrément des agences de placement, ainsi que d’escroquerie, vu l’existence d’une intention frauduleuse. Il a obtenu la suspension du prononcé de la condamnation.

La cour du travail en retient que ni l’administrateur ni l’Asbl elle-même n’ont été reconnus coupables de quelque infraction que ce soit en tant qu’employeur. Il faut dès lors écarter la référence à la loi du 24 juillet 1987.

La cour examine dès lors s’il existe un contrat de travail en l’espèce, rappelant les éléments traditionnels. Sur le plan de la preuve, c’est à l’ONSS d’établir qu’il y avait autorité et paiement d’une rémunération vu l’exécution d’un travail dans le cadre de celle-ci et non l’inverse, étant que ce n’est pas à la gérante de l’établissement de démontrer l’existence d’un contrat d’immersion professionnelle. Revenant sur l’objet principal d’une convention d’immersion professionnelle, qui est non pas la prestation de travail mais la formation du stagiaire, la cour retient que c’est ce cadre de référence qui est celui de l’espèce, l’intéressée n’ayant pas vingt ans lorsqu’elle entama sa formation. Elle suivait par ailleurs une formation théorique de huit heures par semaine et, enfin, il n’est pas constaté qu’elle ait été autonome au point de ne plus devoir être suivie en permanence ou encore qu’elle disposait de l’expérience nécessaire pour effectuer le travail d’une ouvrière en coiffure.

L’objectif était dès lors l’acquisition d’une compétence et une aptitude dans l’exercice du métier, et ce avec évaluation régulière assurée tant par l’exploitante du salon que par l’Asbl.

Le jugement est ainsi réformé, l’existence du contrat de travail n’étant pas établie.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu le 8 janvier 2015 par la même cour du travail (autrement composée) avait déjà rappelé la finalité du contrat de stage en entreprise, qui est un processus progressif d’apprentissage et de perfectionnement, exigeant un projet concret de formation et faisant l’objet d’évaluations. Dans cette affaire, il avait été conclu par la cour que ces éléments caractéristiques du contrat d’immersion étaient essentiels pour que le stage de formation puisse être reconnu, contrairement à une situation où il ressortait des conditions d’occupation que le travailleur (la travailleuse) prestait de manière autonome.

Dans la présente affaire, tout en rappelant les mêmes principes, la cour du travail aboutit à une conclusion opposée, eu égard à l’examen des éléments de faits. C’est dès lors une appréciation souveraine des conditions concrètes d’exécution des prestations qui déterminera le cadre juridique à retenir. L’examen est fait dans cette matière de la même manière que dans toute hypothèse de demande de requalification d’un contrat autre que le contrat de travail en un tel contrat soumis aux dispositions de la loi du 3 juillet 1978 ainsi qu’aux obligations en matière de sécurité sociale des travailleurs salariés.

L’on notera enfin que les irrégularités touchant à l’organisme qui est censé assurer la formation sont sans incidence sur la requalification du contrat, qui ne peut intervenir automatiquement de ce fait.


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