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Gérant de l’étranger : critères d’assujettissement au statut social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 juin 2015, R.G. 2010/AB/91

Mis en ligne le jeudi 12 novembre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 12 juin 2015, R.G. n° 2010/AB/91

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 12 juin 2015, la Cour du travail de Bruxelles, qui avait posé une question à la CJUE ayant donné lieu au célèbre arrêt du 27 septembre 2012, réexamine le dossier eu égard aux réponses de la Cour de Justice. Elle rappelle que la notion de lieu d’exercice est une notion de droit communautaire, tandis que celle d’activité salariée ou non salariée est déterminée par les législations nationales des Etats membres.

Rétroactes

L’arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 12 juin 2015 fait suite à un premier arrêt du 11 mars 2011, dans lequel la cour avait interrogé la Cour de Justice de l’Union Européenne sur le cadre juridique en cause.

Une Caisse d’assurances sociales avait en effet délivré une contrainte avec commandement de payer à une société et celle-ci avait fait opposition à contrainte.

Devant la cour du travail, s’était posée la question de la conformité de l’article 3, § 1er, alinéa 3 de l’arrêté royal n° 38 ainsi que de l’article 2 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 avec l’article 18 T.F.U.E. Le gérant de la société avait déployé son activité sur deux Etats membres, étant la Belgique et le Portugal. Dans l’arrêt du 11 mars 2011, la cour du travail avait jugé que le Règlement 1408/71 faisait obstacle à l’assujettissement pour la période pendant laquelle l’activité était exercée à titre indépendant au Portugal. Pour les autres périodes, les questions posées à la Cour de Justice ont ainsi trouvé une réponse dans un arrêt du 27 septembre 2012. L’affaire concernait l’état de la réglementation avant sa modification par la loi du 25 avril 2014 et la cour souhaitait être éclairée sur les conditions d’application de l’article 3, § 1er, alinéa 4 de l’arrêté royal n° 38 à une situation de pluri-activités sur le territoire de plus d’un Etat membre.

L’arrêt de la Cour de Justice du 27 septembre 2012 (C-137/2011)

La Cour a ainsi été interrogée sur l’interprétation des articles 13 et 14quater du Règlement 1408/71 ainsi que sur l’article 21 T.F.U.E. Il s’agit de déterminer la législation applicable dans l’hypothèse où une personne exerce simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents Etats.

La cour du travail demandant si, dans le cadre de la réglementation relative à l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants, l’on pouvait assimiler la notion de « gestion de l’étranger d’une société soumise à l’impôt de cet Etat à l’exercice d’une activité sur le territoire de celui-ci. Par ailleurs, eu égard aux principes de la liberté de circulation et de séjour garanti par l’article 21 T.F.U.E., se posait également la question du caractère irréfragable de la présomption, selon laquelle l’assujettissement devait intervenir pour les gérants depuis l’étranger, et ce eu égard au caractère réfragable de cette présomption dans l’hypothèse d’un gérant exerçant depuis la Belgique.

La Cour de Justice constate que la Cour du travail de Bruxelles a limité le litige à une situation bien précise, étant celle relative aux périodes pendant lesquelles le mandataire résidait au Portugal et soit y exerçait une activité salariée soit était sans activité. La Cour de Justice a précisé qu’elle répondait dès lors uniquement dans le cadre de cette demande ainsi limitée.

La Cour de Justice précise (considérant 49) qu’en vertu du Règlement de coordination n° 1408/71, le lieu d’exercice de l’activité salariée ou non salariée du travailleur est le critère principal permettant de déterminer la législation applicable. Il ne doit être dérogé à celui-ci que dans des situations spécifiques, par des critères de rattachement subsidiaires (Etat de résidence du travailleur, Etat du siège de l’entreprise qui l’emploie ou encore lieu d’une succursale ou représentation permanente de celle-ci ou encore lieu de l’activité principale du travailleur).

La notion d’activité salariée ou non salariée au sens du règlement sont les activités considérées comme telles pour l’application de la législation sociale de l’Etat membre sur le territoire de cet exercice. Les notions d’activité salariée ou non salariée relèvent, dès lors, quant à leur contenu des législations de ces Etats. En conséquence, il faut d’abord déterminer le lieu d’exercice de l’activité professionnelle du travailleur, ce qui déterminera en règle générale la législation applicable et viendra ensuite la qualification d’activité salariée ou non salariée.

Cependant, si ces notions relèvent du droit national des Etats membres, celle du lieu d’exercice de l’activité relève, quant à elle, du droit de l’Union et de l’interprétation qui en est donnée par la Cour de Justice. Celle-ci souligne les difficultés qui résulteraient de l’interprétation par chaque Etat membre de cette notion, ce qui aboutirait à un risque de cumul de législations applicables à la même activité.

Aussi, la Cour rappelle-t-elle la définition donnée de la notion de lieu d’exercice dans plusieurs décisions et notamment dans l’arrêt easyCar (C.J.U.E., 10 mars 2005, easyCar, AFF. C-336-03) et jurisprudence citée : lorsque le droit de l’Union ne donne aucune définition d’un concept, sa signification et la portée de ses termes doivent être établis conformément au sens habituel en langage courant et ce en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés ainsi que des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Il faut dès lors s’agir en l’espèce du lieu où concrètement la personne concernée accomplit les actes liés à cette activité (considérant 57).

La Cour de Justice, examinant, ensuite, la présomption irréfragable, rappelle que celle-ci a eu pour objectif d’empêcher une fraude à la législation en matière d’assujettissement des travailleurs indépendants en cas de délocalisation artificielle de l’activité. Elle juge cependant que la règlementation nationale va au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre cet objectif légitime. Elle conclut dès lors que le Règlement 1408/71 s’oppose au caractère irréfragable de la présomption. Elle considère en conséquence ne pas devoir examiner la deuxième question préjudicielle.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 12 juin 2015

La cour revient longuement sur l’enseignement de l’arrêt de la Cour de Justice et rappelle, également, les conclusions de l’avocat général précédant l’arrêt. La cour va, dès lors, appliquer les principes ainsi dégagés au cas d’espèce.

Elle examine successivement le lieu d’exercice des activités ainsi que la qualification de celles-ci selon les législations belge et portugaise. Il ressort de son examen des faits que le mandataire de la société a eu des activités en Belgique et qu’il appartient à la société de renverser la présomption d’exercice d’une activité indépendante qui découle de la localisation de cette activité. En outre, la cour note que le mandat a vocation à être rémunéré et qu’en règle il implique une activité régulière et habituelle. La présomption n’est, en fin de compte, pas renversée et la cour confirme l’exercice d’une activité salariée au Portugal pour partie, ainsi que l’exercice d’une activité indépendante en Belgique pour toute la période.

En application de l’article 14quater, du Règlement 1408/07 (et de son annexe VII), l’exercice simultané d’une activité non salariée en Belgique et d’une activité salariée dans un autre Etat membre a pour conséquence que l’activité non salariée donne lieu à l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants en Belgique.

Intérêt de la décision

Suite et fin donc, d’une affaire qui a, surtout eu égard à l’arrêt de la Cour de Justice du 27 septembre 2012, défrayé la chronique.

L’arrêt de la Cour de Justice est effectivement important, vu qu’il a étendu au gérant de l’étranger le caractère réfragable de la présomption d’activité, entraînant l’assujettissement au statut social. Celle-ci avait déjà admise par la Cour constitutionnelle, dans un arrêt du 3 novembre 2004 (C. Const., 3 novembre 2004, N° 176/2004).

Un autre point important de l’arrêt de la Cour de Justice est d’avoir précisé que la notion de lieu d’exercice de l’activité est une notion de droit communautaire, tandis que celle d’activité salariée ou non salariée est déterminée par les législations nationales des Etats membres.

De l’enseignement qu’elle tire de cet arrêt, la cour du travail a résumé la méthodologie comme suit :

  • Identification des lieux où la personne accomplit les actes liés à ses activités et ce concrètement (examen qui fait abstraction sur la notion des législations nationales) ;
  • Qualification de l’activité exercée selon la législation nationale de l’Etat membre sur le territoire desquels elle l’est ;
  • Application éventuellement de règles particulières du règlement en cas d’activité (salariée ou on) exercée dans plusieurs états – on renvoie, ici, aux textes des articles 14bis, § 2 et 14quater, du Règlement 1408/71 ainsi que de son annexe VII.

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