Terralaboris asbl

Travailleurs migrants et allocation de garantie de revenus : question à la C.J.U.E.

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 mai 2015, R.G. 2012/AB/1.001 et 2012/AB/1.009

Mis en ligne le jeudi 12 novembre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 27 mai 2015, R.G. n° 2012/AB/1.001 et 2012/AB/1.009

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 27 mai, la Cour du travail de Bruxelles interroge la C.J.U.E. sur l’interprétation de l’article 67, § 3 du Règlement 1408/71, étant de savoir s’il s’oppose qu’un Etat membre refuse la totalisation des périodes d’emploi eu égard aux conditions d’admissibilité telles que l’allocation de garantie de revenus lorsqu’il n’y a pas eu de périodes d’assurance ou d’emploi dans cet Etat membre et sinon, sur la conformité d’une telle conclusion avec les articles 45 et 48 du T.F.U.E. ainsi qu’avec l’article 15, § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

Les faits

Un musicien, de nationalité tchèque, preste en Tchéquie dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein pour un orchestre symphonique.

Il vient s’installer en Belgique et sollicite les allocations de chômage en mai 2008. Il trouve un emploi comme professeur de musique pour le compte d’une AISBL à temps très partiel. Il sollicite avec effet à la date de prise de cours de ce contrat, le bénéfice d’allocations de chômage avec garantie de revenus. Le contrat se termine à l’issue de l’année scolaire et, en juin 2009, l’intéressé est ainsi amené à introduire une demande d’allocations de chômage à temps plein.

Il bénéficie l’année suivante d’un nouvel engagement à temps partiel et forme encore, à ce moment, une demande d’allocations avec garantie de revenus.

L’ONEm va refuser le bénéfice des allocations.

En ce qui concerne la première demande, il fait valoir un problème d’admissibilité, les prestations en Tchéquie ne pouvant être prises en compte. Pour la seconde demande, il se fonde sur l’exigence d’un nombre de douze heures par semaine de prestations. Un refus intervient également pour la période à partir de septembre. 2009

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Par jugement du 11 septembre 2012, celui-ci conclut à l’admissibilité pour la période couverte par le temps partiel (octroi de l’allocation de garantie de revenus) ainsi qu’aux allocations à temps plein à partir de la période suivant la fin de l’année scolaire.

Appel est interjeté par l’ONEm.

Décisions de la cour du travail

Arrêt du 24 octobre 2014

La cour du travail rend un premier arrêt en date du 24 octobre 2014, ordonnant une réouverture des débats en ce qui concerne l’article 65, § 3 du Règlement 1408/71. Cet arrêt admet également le droit de l’intéressé (allocations à temps plein et avec garantie de revenus ensuite) pour la période à partir de la fin de l’année scolaire.

Dans ce premier arrêt, la cour a constaté que, l’intéressé ayant été occupé selon la législation belge depuis septembre 2008, il n’y a pas d’obstacle à ce que les prestations effectuées en Tchéquie soient prises en compte. La cour rappelle l’article 37, § 2 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui exige des périodes de travail comme salarié mais non nécessairement des prestations à temps plein.

La cour applique, pour la période de référence, l’article 32, 1° de l’arrêté royal, étant que le travailleur qui justifie de la moitié au moins du nombre de journées requis dans sa catégorie d’âge (ce qui est le cas de l’intéressé) est admissible s’il justifie en outre de 1560 journées dans les dix années précédant la période de référence (ce qui est également constaté).

Cet arrêt de la cour du travail a fait l’objet d’un pourvoi en cassation (R.G. S.15.0024.F).

Arrêt du 27 mai 2015

Dans ce second arrêt, la cour se prononce sur la période antérieure, étant celle à partir du premier engagement en Belgique. Sont demandées pour cette période (qui correspond à l’année scolaire) les allocations de chômage avec garantie de revenus.

La cour rappelle les conditions d’octroi de l’allocation de garantie de revenus.

Statuant avant la modification de l’article 131bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 par celui du 7 juin 2013, la cour énonce les conditions requises, étant (i) avoir la qualité de travailleur à temps partiel avec maintien des droits, (ii) travailler au maximum un 4/5es temps pour une rémunération maximale équivalente au R.M.M.M.G., (iii) avertir les services régionaux de l’emploi et (iv) s’inscrire comme demandeur d’emploi dans un régime à temps plein, avec obligation de rester disponible pour un tel emploi.

En ce qui concerne la notion de chômeur à temps partiel avec maintien des droits (notion qui a également été revue par un arrêté royal du 8 juillet 2014), il faut entendre le travailleur qui entré dans un régime de travail qui n’est pas un temps plein (au sens de la réglementation) et qui, notamment, satisfait à toutes les conditions d’admissibilité et d’octroi pour bénéficier des allocations comme travailleur à temps plein à ce moment. Il est considéré, dès le début de cette occupation à temps partiel, comme un travailleur à temps partiel avec maintien des droits.

La cour en vient ainsi à l’examen des conditions d’admissibilité, eu égard notamment au stage fixé à l’article 30 de l’arrêté royal. Pour ce qui est du travail à l’étranger, l’article 37, § 2 du même texte admet la prise en considération du travail effectué à l’étranger si après celui-ci le travailleur accomplit des périodes de travail comme salarié en vertu de la réglementation belge (la cour renvoyant à l’arrêt CHATEIGNIER de la C.J.U.E. du 9 novembre 2006, Aff. N° C-346/05 pour rappeler que cette exigence vaut tant pour les belges que pour les ressortissants d’un autre Etat membre). Cette disposition doit être confrontée au Règlement européen 1408/71, dont l’article 67 (§3) subordonne la prise en compte des prestations à l’étranger (autres pays de l’Union) au fait que les périodes d’emploi doivent avoir été accomplies selon les dispositions de la législation au titre de laquelle les prestations sont demandées.

Pour la cour se pose une question spécifique, qui va l’amener à interroger la Cour de Justice.

Elle renvoie en effet à la vocation de l’allocation de garantie de revenus, qui est de compléter le salaire perçu dès lors que le chômeur a accepté une activité à temps partiel. Il faut dès lors savoir si l’intéressé pouvait être considéré comme travailleur à temps partiel avec maintien des droits (puisque à l’époque seuls ceux-ci pouvaient bénéficier de l’allocation de garantie de revenus), la notion impliquant que, au moment où cette activité a été entamée, il pouvait satisfaire à toutes les conditions d’admissibilité et d’octroi eu égard aux allocations accordées aux personnes ayant travaillé à temps plein.

Rappelant encore que le litige se meut uniquement dans le cadre des conditions d’admissibilité, la cour relève que, lorsqu’il a demandé les allocations, l’intéressé n’avait pas encore accompli des périodes de travail comme salarié en vertu de la réglementation belge (la demande étant concomitante à la date de signature du contrat). Il y a dès lors lieu de confronter cette situation au prescrit de l’article 67, § 3, à savoir d’examiner si l’intéressé avait accompli en dernier lieu des périodes d’emploi en Belgique.

Cette règle est une restriction au principe de la totalisation des périodes d’emploi et d’assurance. Aussi la cour pose-t-elle la question de savoir s’il ne s’agit pas d’un obstacle à la libre circulation : dans la mesure où ils n’ont pas précédemment travaillé en Belgique, ces travailleurs, qui n’auraient donc pas droit à l’allocation de garantie de revenus et occuperaient un emploi à temps partiel faiblement rémunéré, pourraient être dissuadés de postuler pour celui-ci.

La cour renvoie encore aux statistiques de l’ONEm sur l’importance du nombre d’occupations à temps partiel donnant lieu à ce type d’allocations.

La cour décide dès lors de soumettre à la Cour de Justice deux questions préjudicielles sur l’interprétation de l’article 67, § 3 du Règlement 1408/71, étant de savoir s’il s’oppose à ce que l’Etat membre refuse la totalisation des périodes d’emploi eu égard aux conditions d’admissibilité telles que l’allocation de garantie de revenus lorsqu’il n’y a pas eu de périodes d’assurance ou d’emploi dans l’Etat membre. Dans la mesure où la Cour de justice apporterait une réponse négative à cette question, la cour du travail l’interroge également sur la conformité d’une telle conclusion avec les articles 45 et 48 du T.F.U.E. ainsi qu’avec l’article 15, § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail va puiser dans les principes fondamentaux du droit européen pour tenter de trouver une solution à cette délicate question d’admissibilité à l’allocation de chômage particulière que constitue l’allocation de garantie de revenus.

Dans la mesure où la libre circulation est généralement invoquée comme liberté fondamentale du citoyen européen, la cour pose très légitimement la question de savoir si la réglementation belge ne ferait pas obstacle à l’acceptation par un travailleur ressortissant d’un autre Etat membre d’un emploi à temps partiel, dans la mesure où il ne pourrait, comme les belges, bénéficier de l’allocation de garantie de revenus, n’ayant pas la possibilité de produire la preuve de prestations en Belgique avant le début d’exécution de ce contrat.

L’on notera encore que dans l’arrêt, la cour du travail renvoie à l’affaire van NOORDEN (C.J.U.E., 16 mai 1991, van NOORDEN, C-272/90), dont elle estime que les conditions ne sont pas identiques à celles de la présente espèce.


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