Terralaboris asbl

Gratifications accordées aux enfants des membres du personnel : rémunération susceptible de cotisations de sécurité sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 mai 2015, R.G. 2013/AB/936

Mis en ligne le vendredi 27 novembre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 20 mai 2015, R.G. 2013/AB/936

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 mai 2015, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 2009 en ce qui concerne le caractère rémunératoire de gratifications accordées par l’employeur au travailleur. Elle rappelle également l’autonomie de la législation sociale – et, par voie de conséquence, des juridictions du travail – quant au droit fiscal.

Les faits

Suite à une inspection de ses services auprès d’une société, l’O.N.S.S. prend la décision d’assujettir certains avantages accordés au personnel. Il s’agit de frais de garde (pour enfant malade), de stage de vacances ainsi que d’une allocation de transition accordée aux enfants à l’occasion de leur douzième anniversaire.

Pour l’Office, les frais de garde et de stage de vacances constituent un complément aux allocations familiales et les primes accordées au titre d’allocation de transition sont également passibles de cotisations.

Une procédure étant initiée devant le Tribunal du travail de Bruxelles, celui-ci considère, par jugement du 8 mai 2013, qu’il n’y a pas lieu à assujettissement.

L’Office interjette appel.

La décision de la cour

La cour est ainsi saisie de l’appréciation de la nature des avantages alloués aux membres du personnel, eu égard à la loi du 27 juin 1969. Celle-ci se réfère, en son article 14, à la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, pour la détermination de la rémunération de base des cotisations de sécurité sociale.

N’ont pas un caractère rémunératoire au sens de la loi de 1965, notamment, les indemnités devant être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale.

Les deux types d’avantages ont en l’espèce une nature différente, quoique tous deux alloués pour les enfants.

En ce qui concerne les frais de garde et les frais de stage de vacances, l’Office renvoie à une circulaire fiscale relative à la non-imposition de « cadeaux ». Pour l’Office, le maximum autorisé est de 50 € par mois.

La cour examine les conditions d’intervention de l’employeur et constate qu’il est admis par les parties – position que la cour affirme également partager – que les frais de garde et de stage sont des compléments aux allocations familiales. La question est dès lors de vérifier si l’exonération doit être plafonnée.

Pour la cour, qui se réfère à la doctrine (DEBRAY O. et TOUSSAINT N., « La notion de rémunération en droit de la sécurité sociale : formes alternatives », Ors., 2006, p. 26), les juridictions sociales n’ont pas le pouvoir de limiter les avantages exonérés, dans la mesure où aucun plafond légal n’est prévu. Elles ne peuvent non plus apprécier le caractère raisonnable des avantages accordés par l’employeur, pouvant – marginalement – vérifier s’il n’est cependant pas fait un usage abusif de cette faculté légale.

Elle rappelle par ailleurs la règle selon laquelle les juridictions sociales ne sont pas liées par des circulaires fiscales, en l’espèce, limitant la valeur des cadeaux non imposables.

En ce qui concerne l’allocation de transition, elle constate que ses conditions d’octroi sont bien déterminées, étant qu’elles sont allouées à l’enfant d’un membre du personnel ayant atteint l’âge de 12 ans. La cour constate ici également ne pas pouvoir suivre la position de l’O.N.S.S. selon laquelle cette prime serait indépendante de l’exécution du contrat de travail, étant d’ailleurs versée sur le compte de l’enfant et n’étant payée qu’une seule fois au cas où les deux parents seraient au service de la société. La cour rappelle ici qu’il s’agit de déterminer si cette prime est une libéralité et/ou un complément aux allocations familiales.

Tout en relevant que celle-ci n’est pas accordée en contrepartie du travail effectué en exécution du contrat, elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 2009 (Cass., 5 janvier 2009, n° S.08.0064.N), dont elle cite un important extrait. La Cour suprême a en effet admis, dans l’examen du caractère rémunératoire ou non de gratifications accordées au travailleur, qu’une marque personnelle de sympathie ou de considération de la part de l’employeur, ou encore (et la cour du travail souligne) intervenue à l’occasion d’un événement particulier dans la vie privée ou familiale du travailleur, peut être considérée comme une gratification dont le législateur a entendu qu’elle soit exclue de la notion de rémunération. Tel ne serait cependant pas le cas d’un avantage accordé en raison du travail effectué en exécution du contrat et, en conséquence, découlant de l’occupation du travailleur.

Les conditions d’octroi de la prime démontrent, pour la cour, à suffisance, que l’avantage n’est pas rémunératoire, étant versé à l’enfant et ne s’agissant pas d’un avantage évaluable en argent auquel le travailleur aurait droit en raison de son engagement. Il s’agit au contraire d’une marque de considération portée au travailleur et à sa famille et l’âge du douzième anniversaire peut être admis comme constituant un événement particulier de la vie familiale.

Intérêt de la décision

Ce bref arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle deux questions importantes.
En premier lieu, il souligne l’autonomie du droit social et, par voie de conséquence, du juge social par rapport à l’application de la législation fiscale. La cour renvoie également à l’important arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 2009, sur la question du caractère rémunératoire des primes/gratifications accordées par un employeur aux membres du personnel. La Cour suprême y avait pointé, comme étant exclusif du caractère rémunératoire requis, les gratifications accordées par sympathie ou considération de la part de l’employeur à l’occasion d’un événement particulier de la vie privée ou familiale du travailleur. Seuls ces paiements effectués peuvent être exclus de la notion de rémunération au sens légal. En principe, les paiements effectués par l’employeur au bénéfice du travailleur sont considérés comme des paiements découlant de l’engagement et, en conséquence, comme des rémunérations servant de base au calcul des cotisations de sécurité sociale. En l’espèce, il s’agissait d’une gratification accordée en « compensation » de désagréments subis par les membres du personnel à la suite de la réorganisation du travail au sein de l’entreprise. La Cour de cassation avait censuré la décision de fond ayant admis que cette justification suffisait pour retenir le caractère non-rémunératoire des gratifications allouées.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be