Terralaboris asbl

Des liens familiaux très étroits s’opposent-ils à l’existence d’un contrat de travail ?

Commentaire de C. trav. Mons, 6 mai 2015, R.G. 2013/AM/177

Mis en ligne le lundi 25 janvier 2016


Cour du travail de Mons, 6 mai 2015, R.G. n° 2013/AM/177

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 6 mai 2015, la Cour du travail de Mons, saisie d’un recours contre une décision de désassujettissement de l’ONSS, rappelle les conditions dans lesquelles un contrat de travail peut être admis entre époux ou entre proches.

Les faits

Un entrepreneur en construction fit faillite en nom personnel dans le courant de l’année 1997.

Aux fins de lui permettre de reprendre une activité dans ce secteur, des membres de sa famille (parents et beaux-parents) constituèrent une SPRL, dans laquelle il fut engagé en qualité d’ouvrier. Il devint rapidement responsable de la gestion, la société ayant besoin d’accès à la profession – titre qu’il détenait. Trois ans plus tard, l’épouse devint gérante de la société.

Le capital fut alors augmenté, les parts étant détenues par les ascendants.

L’intéressé et son épouse n’acquirent jamais de parts dans le capital de la société.

L’épouse est cependant restée gérante, ce qui alerta l’ONSS.

Une enquête fut ainsi menée aux fins de vérifier le statut réel du mari et, par décision du 14 février 2005, il y eut désassujettissement de celui-ci pour la période.

Parallèlement, des poursuites furent entamées devant les juridictions pénales pour faux et déclarations inexactes (ayant permis de bénéficier d’allocations de chômage intempéries notamment). Celles-ci furent éteintes pour prescription par arrêt de la Cour d’appel de Mons du 11 juin 2014.

Entretemps, l’intéressé avait contesté la décision de désassujettissement devant le Tribunal du travail de Tournai, qui le débouta par jugement du 22 juin 2012.

L’affaire est dès lors soumise à la Cour du travail de Mons.

Position des parties devant la cour

L’appelant développe essentiellement deux axes, étant d’une part l’annulation des décisions litigieuses pour défaut de motivation et d’autre part la réalité de l’existence d’un lien de subordination (absence de parts dans la société, absence de mandat social, exercice de la fonction d’ouvrier qualifié impliquant des prérogatives touchant à la gestion, notamment sur le plan des chantiers).

L’ONSS considère pour sa part que, si une société a été constituée, c’était aux fins de permettre à l’intéressé de poursuivre son ancienne activité (ce qu’il fit), qu’il disposait d’une totale liberté dans l’organisation du travail et du temps de travail et était chargé de la gestion de l’entreprise.

Décision de la cour

La cour aborde, dans un premier temps, la question de la motivation formelle de la décision de désassujettissement. Celle-ci constitue une décision administrative au sens de la loi du 29 juillet 1991, étant un acte juridique de portée individuelle émanant d’une autorité administrative, qui entraîne des effets juridiques à l’égard de particuliers. L’ONSS dispose du privilège du préalable, par application du principe général de droit de la continuité du service public. Il était donc autorisé à constater qu’existait un contrat de travail, condition de l’assujettissement. La décision de désassujettissement, prise dans ce cadre, devait être motivée.

La cour ne tranche cependant pas la question de savoir si cette motivation était suffisante, constatant qu’en tout état de cause le juge est tenu d’examiner la nature de la relation de travail et, s’il aboutit à une autre conclusion que l’Office, qu’il doit substituer sa propre décision à celle irrégulièrement prise. Même à supposer que la décision doive être déclarée nulle, le juge devrait néanmoins statuer sur l’assujettissement en cause. Les discussions sur le caractère suffisant ou non de la motivation sont dès lors, pour la cour, dépourvues de tout intérêt.

Elle balaie ensuite un argument tiré de l’inopposabilité des procès-verbaux de l’inspection sociale, rappelant avec la doctrine qu’un procès-verbal non signifié (les PV ayant été remis immédiatement aux personnes entendues) a valeur de renseignement. La cour constate en outre que l’intéressé n’en conteste pas sérieusement le contenu et qu’il les a signés.

Sur le fond, la cour reprend les principes applicables en matière de lien de subordination, rappelant que les modifications introduites par la loi-programme du 27 décembre 2006 se calquent d’une certaine manière sur la jurisprudence antérieure. Le juge n’est pas lié par la qualification des parties, celle-ci devant cependant être retenue a priori mais pouvant être écartée dès qu’il s’avère que la réalité est contraire.

Par ailleurs l’existence d’un lien de subordination peut être déduit d’un ensemble de circonstances, ceci ne résultant pas tant de l’accumulation d’indices – qualifiés par la cour de « plus ou moins persuasifs » – que d’un ensemble cohérent de conditions et de faits constituant un faisceau de présomptions.

En l’espèce, s’agissant d’un contrat entre personnes présentant des liens familiaux, elle rappelle les principes dégagés dans la doctrine et la jurisprudence récente. Il peut être admis qu’un administrateur ou un associé ait la qualité de travailleur salarié pour autant qu’il assume réellement en cette qualité de salarié une fonction distincte, soit-elle technique, commerciale ou administrative et qu’il y ait une autorité effective sur sa personne, et ce par un organe de la société.

Ainsi, le conseil d’administration peut exercer l’autorité juridique sur le gérant de droit ou de fait (ou encore sur l’administrateur) mais cette autorité doit exister. Le fait que l’administrateur doive rendre compte de sa gestion au conseil d’administration n’est pas révélateur d’un lien de subordination. En revanche, si un salarié détient une part (importante ou non) du capital, ceci n’exclut pas le lien de subordination. Au titre d’indice révélateur de l’inexistence de ce lien peut être retenu le fait que le salarié a la qualité d’actionnaire majoritaire ou s’il détient de très larges pouvoirs à titre personnel ou par l’entremise d’un groupe familial (la cour renvoyant à L. DEAR « Le statut social du dirigeant d’entreprise », J.T.T., 2013, p. 373 et s., ce dernier citant également Ch.-E. CLESSE « Aux frontières de la fausse indépendance », Ors., 2/2009, p. 8 et à X. VLIEGHE, « Le lien de subordination entre une société et ses actionnaires ou mandataires », Ors., 4/1991, p. 111 et s.).

Sur le plan de la preuve, c’est l’ONSS qui doit prouver l’inexistence du lien de subordination juridique (Cass., 10 juin 2013, J.T.T., 2013, p. 321). S’agissant d’un fait négatif, la preuve est assouplie.

Après ce rappel, la cour examine attentivement les déclarations au dossier et constate d’une part que le rôle de l’intéressé dépassait largement celui d’un simple délégué à la gestion, celui-ci étant en réalité gérant de fait et que, par ailleurs, tant son épouse (gérante en titre) que lui-même confirment l’absence de lien de subordination dans leurs déclarations.

La cour retient, en sus de celles-ci, la grande liberté dont l’intéressé bénéficiait dans l’exécution de son travail – et ce eu égard à l’absence d’autorité sur lui –, ainsi que le fait qu’il était ainsi « la pierre angulaire » de l’entreprise et prenait toutes décisions sur le plan technique et sur celui de la gestion. Il procédait également seul à l’engagement et au licenciement du personnel, sélectionnait les clients, etc. Quant à l’épouse, son rôle était insignifiant.

La cour décide, en conséquence, de confirmer le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait un rappel des principes de la compatibilité du lien de subordination avec l’existence de liens familiaux entre les parties.

Il rappelle de manière plus générale que la qualité de salarié n’est pas exclue d’office dans le cas d’administrateurs de société, à la condition que ceux-ci exercent en sus de leur mandat d’administrateur une fonction dans l’entreprise, correspondant au statut de salarié.

C’est la réalité du rapport d’autorité qui doit être vérifiée. La situation présentée dans le cas d’espèce ne semblait contenir aucun élément de doute, l’intéressé regroupant toutes les responsabilités de l’entreprise et ne devant rendre de comptes à personne.


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