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Accident du travail : sort du paiement des frais médicaux en cas de refus ultérieur de l’accident

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 mars 2015, R.G. 2010/AB/895

Mis en ligne le lundi 8 février 2016


Cour du travail de Bruxelles, 2 mars 2015, R.G. 2010/AB/895

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 mars 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les avances que l’entreprise d’assurances doit faire en vertu de l’article 63, § 4 de la loi du 10 avril 1971 ne portent pas sur les remboursements de frais, mais uniquement sur les indemnités visées aux articles 22, 23, 23bis et 24 de la loi.

Les faits

Une victime d’un accident du travail (survenu en novembre 2003) reçoit un courrier trois mois plus tard de l’entreprise d’assurances, l’informant sans réserve que le remboursement des frais médicaux et pharmaceutiques est pris en charge. Un autre courrier du même jour reconnaît l’accident du travail et précise à l’intéressé que, vu la prise en charge des frais, il ne doit pas contacter sa mutuelle.

Un mois plus tard, suite à la remise d’un certificat médical de prolongation, l’assureur annonce qu’il demande l’avis de son médecin-conseil et invite l’intéressé à communiquer les coordonnées de sa mutuelle.

Quatre mois plus tard, il notifie un refus de prise en charge de l’incapacité à partir de la date de prolongation.

Trois mois plus tard, la compagnie écrit encore qu’en cas de réserves ou de refus, la demande serait envoyée à sa mutuelle.

Suite à la procédure introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles en contestation du refus, un jugement est rendu en avril 2008, considérant qu’il y a accident du travail. Le tribunal désigne un expert, qui conclut, dans un rapport de janvier 2009, que la lésion ne trouve pas son origine, même partiellement, dans l’événement accidentel et qu’il ne subsiste plus d’incapacité physiologique ni économique imputable à l’accident.

L’assureur dépose, en conséquence, des conclusions au greffe en mars 2009, postulant le remboursement des sommes payées.

Un second jugement est rendu en avril 2010, entérinant le rapport de l’expert. La demande est dès lors déclarée recevable mais non fondée. La demande reconventionnelle l’est également. Le tribunal considère que les frais médicaux avancés ne sont pas visés par l’article 63, § 4 de la loi du 10 avril 1971 et que, dès lors qu’ils ont été payés sans réserves, ils constituent des paiements définitivement acquis. Ils ne peuvent faire l’objet d’une demande de remboursement.

Le premier juge fait également grief à l’assureur de ne pas avoir procédé aux notifications prévues à l’article 63, § 2 de la loi.

Appel est interjeté par l’assurance.

Les moyens de la partie appelante devant la cour

La compagnie d’assurances estime que les paiements effectués constituent une avance. Ils trouvent leur cause dans l’obligation contenue à l’article 63, § 4 de la loi. En cas de litige, c’est le montant définitif qui fait l’objet de l’action en justice. Le premier juge ne pouvait dès lors rejeter l’application de l’article 63, § 4 au motif que celui-ci serait limité aux contestations relatives à la nature et au taux de l’incapacité de travail et non aux frais, le premier juge ayant retenu à tort qu’un tel litige n’était pas présent, au motif que la compagnie contesterait uniquement le lien causal. Pour l’assureur, l’esprit de la loi fait que les frais médicaux sont inclus dans l’article 63, § 4 et qu’ils peuvent dès lors faire l’objet d’une régularisation ultérieure, la notion d’« indemnité » au sens de l’article 63, § 4 devant être interprétée au sens large.

Quant à la prescription de l’indu, elle considère que celle-ci ne commence à courir qu’à la décision judiciaire.

La décision de la cour

La cour rappelle que la première contestation quant au lien causal est intervenue en juillet 2004, soit pratiquement 8 mois après l’accident. Ce qui a été contesté par l’assureur était la prolongation de l’incapacité temporaire.

Dans la matière des accidents du travail, il y a obligation pour l’assureur, en vertu de l’article 63, § 4 LAT de faire l’avance sur les indemnités, celles-ci étant celles reprises aux articles 22, 23, 23bis et 24 de la loi. Les frais médicaux ne figurent pas parmi celles-ci, étant expressément prévus aux articles 28 et 41.

Revenant aux avances visées à l’article 63, § 4, la cour en rappelle le texte, étant qu’en cas de litige (sur la nature ou le taux de l’incapacité ou sur le degré de nécessité d’assistance de tiers), il y a obligation pour l’assureur de payer au titre d’avance l’allocation journalière ou annuelle (visée aux dispositions ci-dessus) sur la base du taux d’incapacité (ou du degré de nécessité d’aide de tiers) proposé par lui. Ce texte n’impose pas de faire d’avances en cas de contestation du lien causal. S’il y a doute quant à l’application de la loi (ou de même s’il y a refus de l’assureur de prendre le cas en charge), l’article 63 prévoit un mécanisme particulier, étant l’obligation de procéder à des notifications.

Renvoyant aux travaux préparatoires, la cour rappelle le but de cette procédure, étant que le travailleur ne risque ainsi plus de ne pas être indemnisé si, ultérieurement, on l’informe qu’il n’y a pas accident du travail. Il ne s’agit pas de protéger l’entreprise d’assurances ou l’organisme assureur en AMI, mais bien le travailleur en ce qui concerne son incapacité temporaire totale. Cette notification est obligatoire dans toutes les hypothèses, sauf force majeure.

La cour conclut dès lors que la compagnie aurait dû notifier ses doutes ou ses réserves à l’organisme assureur, ce qui n’a pas été le cas, et elle rappelle également que l’assurance a expressément déchargé le travailleur de contacter sa mutuelle. Il y a dès lors faute, qui donne lieu à réparation.

Par ailleurs, sur l’indu, la cour reprend la règle de l’article 69, alinéa 1er de la loi, étant que l’action en répétition d’indemnités indues se prescrit par 3 ans et que son point de départ est le paiement. La loi ne précise pas que le délai prend cours au moment où l’indu se révèle et, selon l’arrêt, c’est dès lors au titre de sanction que la prescription de l’action en répétition est plus longue en cas de fraude ou de mauvaise foi que lorsque l’indu est la conséquence d’une erreur. Le délai prenant cours au moment du paiement (puisque c’est à ce moment-là que l’obligation de restitution naît), la demande est dès lors prescrite.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles présente un intérêt évident. L’article 63, § 4 de la loi du 10 avril 1971 fait obligation à l’assureur de verser des avances, mais ceci ne peut viser que les indemnités au sens des articles 22, 23, 23bis ou 24 de la loi et non les frais médicaux. La cour rappelle très judicieusement que ceux-ci ne sont pas repris dans les dispositions ci-dessus, mais sont expressément examinés par la loi en ses articles 28 (qui définit les frais à prendre en charge) et 41, alinéa 2 (qui règle la question de l’intérêt légal).

Sur l’article 63, l’on peut très utilement rappeler que la loi impose à l’entreprise d’assurances d’aviser les parties intéressées si elle a des doutes quant à l’accident du travail ou si elle en refuse la prise en charge. Cette obligation existe également lorsque le pourcentage de l’incapacité de travail est modifié. Il y a lieu de procéder ici à des notifications, étant au Fonds des Accidents du Travail d’une part (article 63, § 1er), à l’organisme assureur de la victime de l’autre (article 63, § 2) et, enfin, à celle-ci (article 63, § 3).

Il s’agit d’un dispositif de protection de la victime dans les deux hypothèses. L’entreprise d’assurances a ainsi pour mission légale de sauvegarder les droits de la victime si celle-ci n’a pas droit aux indemnités AT, mais qu’elle peut cependant faire valoir des droits dans le régime de l’assurance soins de santé et indemnités. La notification au F.A.T. a également pour but de préserver les droits de la victime dans le cadre de cette législation.


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