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Décision de désassujettissement de l’O.N.S.S. en cas de fraude sociale : faut-il attendre l’issue de la procédure pénale ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 4 septembre 2015, R.G. 2014/AL/432

Mis en ligne le jeudi 11 février 2016


Cour du travail de Liège, division Liège, 4 septembre 2015, R.G. 2014/AL/432

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 septembre 2015, la Cour du travail de Liège (division de Liège) rappelle l’autonomie du juge social dans une telle hypothèse, étant que l’examen du bien-fondé de la décision de désassujettissement peut intervenir sur la base des éléments du dossier administratif. La procédure pénale menée contre les responsables de la fraude sociale peut contenir des éléments utiles, mais ceci ne suffit pas à surseoir à statuer.

Les rétroactes

Une vaste fraude sociale avait été mise à jour (et a d’ailleurs donné lieu à des poursuites pénales), portant sur l’établissement de faux contrats de travail, fiches de paie et documents C4. Deux personnes physiques étaient à l’origine du système échafaudé, passant par des sociétés fictives ou inactives. Dans l’espèce annotée, l’intéressé (non impliqué activement dans la fraude mais ayant fait l’objet d’une décision de désassujettissement de l’O.N.S.S.) fait valoir qu’il y a lieu de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision définitive au pénal concernant les auteurs.

Il considère également que c’est à l’O.N.S.S. d’établir l’absence de prestations dans le cadre d’un lien de subordination.

Il n’a pas été suivi dans son argumentation par le Tribunal du travail de Liège (division de Verviers), qui a confirmé la décision de l’O.N.S.S. par jugement du 23 juin 2014.

Appel est ainsi interjeté.

La décision de la cour du travail

La cour examine dans un premier temps s’il y a lieu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la cour d’appel. La règle selon laquelle « le criminel tient le civil en état » a pour effet d’éviter les contradictions possibles entre des décisions rendues au pénal et au civil, et ce d’autant que les décisions pénales ont autorité de chose jugée au civil.

La cour constate cependant, et ce avec le Ministère public, que les fondements de cette règle sont de plus en plus questionnés.

Ainsi, dans un arrêt du 24 avril 2006 (Cass., 24 avril 2006, n° S.05.0075.N), la Cour de cassation a jugé, en matière d’O.N.S.S., qu’une partie qui n’avait pas été présente au procès pénal avait la possibilité de contester les éléments provenant de celui-ci, et ce dans le cadre d’un procès civil ultérieur.

Ceci découle de l’article 6 de la C.E.D.H., qui pose le principe du procès équitable.

L’appelant faisant valoir que l’issue de l’action pénale pourrait influencer le procès au civil, non seulement parce que les préventions de faux pourraient ne pas être déclarées établies, mais également parce que les périodes infractionnelles pourraient ne pas le concerner, la cour du travail constate que les éléments lui soumis sont issus non du dossier pénal mais essentiellement des enquêtes administratives de l’O.N.S.S. Il ressort de celles-ci que les sociétés pour lesquelles l’appelant déclare avoir travaillé n’ont eu aucune activité économique pendant la période concernée. L’objet des deux actions est donc en l’espèce distinct, la cour étant saisie du désassujettissement, étant qu’elle doit vérifier si l’intéressé a effectué des prestations de travail pour le compte des sociétés en cause ou non. Le sort de l’action pénale n’influence en rien le litige civil, même si des éléments du dossier répressif peuvent être utiles.

La cour en vient, ainsi, à l’examen des faits ayant justifié le désassujettissement. Il s’agit de deux décisions, l’une du 25 septembre 2008 et l’autre du 21 septembre 2009. Pour ce qui est de la première, elle reprend l’ensemble des éléments ayant permis de conclure à l’absence totale d’activités de la société pendant la période litigieuse (la société étant ultérieurement tombée en faillite). Il s’agit de l’absence de tout bien au siège social, l’absence de déclaration de créance à la faillite, l’inexistence de comptes annuels, ainsi que d’autres éléments tirés du dossier de faillite.

La seconde décision, relative à l’occupation pour une autre société, également déclarée en faillite, se fonde sur les mêmes circonstances (absence de tout actif, absence de comptes annuels, etc.).

En ce qui concerne la charge de la preuve, la cour rappelle que, dans son arrêt du 17 septembre 1990 (Cass., 17 septembre 1990, n° 80/7982), la Cour de cassation a posé le principe selon lequel la partie qui se prévaut d’un contrat de travail doit apporter la preuve que les faits qu’elle avance démontrent l’existence de celui-ci. Celui qui entend être assujetti au régime de la sécurité sociale des travailleurs salariés doit dès lors établir le lien de subordination. Mais tel n’est pas exactement le problème en l’espèce. Ce n’est pas la nature des prestations qui importe, mais l’existence de celles-ci, s’agissant vraisemblablement d’une simulation. C’est ici à l’O.N.S.S. de prouver l’absence de prestations, et la cour renvoie à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 12 mars 2014 (C. trav. Bruxelles, 12 mars 2014, R.G. 2012/AB/323). L’Office doit donc prouver que, contrairement à l’apparence, il n’y a eu aucune prestation de travail contre rémunération.

Reprenant l’ensemble des éléments de fait, la cour motive longuement sa conclusion, selon laquelle il y a effectivement absence totale d’activités des sociétés concernées et, par voie de conséquence, absence totale de prestations dans le chef du travailleur. Parmi les éléments repris dans l’arrêt, figure notamment la circonstance que l’intéressé n’a pas été en mesure d’apporter des précisions sur le travail qu’il aurait effectué.

La cour conclut, en conséquence, à la confirmation du jugement.

Intérêt de la décision

Avec la doctrine récente (M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, Manuel de procédure pénale, 2e éd., 201 à 203 et A. JACOBS, J.L.M.B., 36/2013, 1853-1854), la cour souligne que, si le fondement de la règle selon laquelle le pénal tient le civil en état est d’éviter des contradictions entre décisions rendues au pénal et au civil, l’autorité de chose jugée au pénal n’est plus absolue à l’égard de la décision civile ultérieure.

La cour reprend les nuances qui ont été apportées par la Cour de cassation, particulièrement dans son arrêt de principe du 24 avril 2006, qui permet à la partie qui n’était pas présente au procès pénal de contester des éléments de celui-ci dans un procès civil auquel elle est partie plus tard. Il s’agit d’une application de la règle du procès équitable.

Aux fins d’appuyer le principe de l’autonomie du juge civil par rapport à la décision qui sera rendue par la cour d’appel, la cour du travail relève que l’objet des actions est différent et que le dossier administratif contient suffisamment d’éléments permettant à la cour du travail d’apprécier l’existence du contrat de travail, non en tant qu’il s’opposerait à un contrat d’entreprise, mais sur le plan de son effectivité, à savoir si des prestations de travail ont été accomplies pour le compte des deux sociétés en cause.

Une deuxième question juridique importante est celle de la charge de la preuve dans une telle situation, la cour du travail rappelant qu’il appartient à l’Office d’établir l’absence de prestations – ce que celui-ci fait à suffisance de droit en l’espèce.


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