Terralaboris asbl

Libre circulation : notion de ‘ressources suffisantes’ au sens de la Directive 2004/38 et droits des ressortissants des Etats tiers

Commentaire de C.J.U.E., 16 juillet 2015, C-218/14 (KULDIP SINGH, DENZEL NJUME, KHALED ALY C/ MINISTER FOR JUSTICE AND EQUALITY)

Mis en ligne le lundi 7 mars 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 16 juillet 2015, C-218/14 (KULDIP SINGH, DENZEL NJUME, KHALED ALY C/ MINISTER FOR JUSTICE AND EQUALITY)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 juillet 2015, la Cour de Justice apporte une clarification importante sur le maintien du droit au séjour de ressortissants d’Etats tiers qui ont épousé un citoyen européen ayant exercé son droit de libre circulation, droit remis en question du fait du départ de celui-ci avant l’intentement d’une procédure en divorce à l’étranger ainsi que sur la notion de ‘ressources suffisantes’ exigées dans le chef d’un citoyen européen qui exerce son droit de circulation aux fins de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale du pays d’accueil.

Les faits

L’affaire concerne trois ressortissants de pays tiers, qui à la suite de leur mariage avec une citoyenne de l’Union Européenne résidant et travaillant en Irlande, ont obtenu un droit de séjour pour une durée de plus de trois mois, étant le conjoint accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union dans l’Etat membre d’accueil.

Les points communs de ces affaires sont d’une part le départ du conjoint du territoire irlandais pour s’installer dans un autre Etat membre (le conjoint ressortissant d’un autre pays tiers restant sur place) et d’autre part l’introduction ultérieure d’une demande de divorce par ce conjoint depuis l’étranger.

A titre illustratif, les faits de la première affaire peuvent être brièvement repris. Un ressortissant de pays tiers (Inde) entre en Irlande en 2002 en qualité d’étudiant. Il épouse trois ans plus tard une ressortissante lettone également en Irlande. Ils ont un enfant. L’intéressé se voit octroyer une autorisation de séjour pour une durée de cinq ans, étant le conjoint d’une citoyenne de l’Union résidant dans un Etat membre et y exerçant des droits prévus par le T.F.U.E.. L’épouse travaille de manière continue, de même que son conjoint, qui exploite un commerce. Ultérieurement, l’épouse arrête de travailler. Elle quitte en fin de compte l’Irlande et engage une procédure en divorce.

Le conjoint demande aux autorités irlandaises le maintien de l’autorisation de séjour, ainsi qu’un titre de séjour permanent. Il fait valoir qu’il répond aux conditions fixées par la Directive 2004/38 (mariage avec une citoyenne de l’Union, père d’un citoyen de l’Union, …). La demande est rejetée au motif que l’épouse a quitté l’Irlande. Du fait de son départ, elle ne jouit plus du droit de séjour et le mari ne peut se voir, pour sa part, accorder un droit de séjour dérivé, en conséquence.

Les questions préjudicielles

Deux questions préjudicielles sont posées à la Cour de Justice par la High Court irlandaise. Elles portent toutes deux sur la Directive 2004/38.

La première concerne l’article 13, § 2, le juge national demandant si, en vertu de celui-ci, le ressortissant d’un pays tiers, divorcé d’un citoyen de l’Union avec qui il a été marié au moins pendant trois ans avant le début de la procédure judiciaire dont un an au moins dans l’Etat d’accueil peut bénéficier du maintien de son droit de séjour dans cet Etat sur la base de cette disposition lorsqu’avant le divorce le conjoint (citoyen de l’Union) a quitté le territoire de cet Etat.

La cour rappelle que peuvent bénéficier des droits d’entrée et de séjour dans un Etat membre non tous les ressortissants d’Etats tiers mais uniquement ceux qui sont « membres de la famille » d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit de libre circulation en s’établissant dans un Etat membre autre que celui dont il a la nationalité.

Pour être bénéficiaire de la Directive 2004/38, le membre de la famille est tenu de l’accompagner ou de le rejoindre. Cette condition doit être comprise comme visant non pas l’obligation des époux de cohabiter sous le même toit mais celle de demeurer tous les deux dans l’Etat membre où le conjoint citoyen de l’Union exerce son droit de libre circulation.

Après le départ de ce conjoint, celui ressortissant d’un pays tiers ne remplit plus les conditions pour bénéficier d’un droit de séjour au titre de l’article 7, § 2 de la Directive. Il faut cependant examiner s’il peut se prévaloir d’un droit de séjour sur pied de l’article 13, § 2, 1er alinéa, a) lorsque le départ du citoyen de l’Union est suivi d’un divorce. Le divorce n’entraîne en effet pas la perte du droit de séjour des membres de la famille (ressortissants d’Etats tiers) lorsque le mariage a durée au moins trois ans avant le début de la procédure judiciaire de divorce dont un an au moins dans l’Etat membre d’accueil. Il faut, comme le rappelle la Cour, comprendre cette disposition comme offrant une protection juridique aux membres de la famille en cas de décès, de divorce, d’annulation du mariage ou de cessation d’un partenariat enregistré, des mesures devant être prises pour que les membres de la famille qui séjournent déjà sur le territoire puissent conserver leurs droits de séjour sur une base individuelle.

Est visée l’hypothèse du divorce et non celle d’un départ ayant précédé cette procédure. La Cour relève que si, avant le début de la procédure, le citoyen de l’Union a déjà quitté l’Etat membre, le ressortissant de l’Etat tiers ne bénéficie plus du droit de séjour dérivé sur pied de l’article 7, § 2 et ne peut plus être maintenu sur le fondement de l’article 13, § 2.

Pour la Cour, une demande de divorce ultérieure ne peut avoir pour effet de faire renaître le droit au séjour, perdu du fait du départ du conjoint citoyen de l’Union. Cependant, le droit national peut accorder une protection plus étendue, ce qui a été mis en œuvre dans la situation visée puisqu’un titre de séjour temporaire a été octroyé, titre en principe renouvelable.

La réponse à la question posée est dès lors que, même si ici est respectée la condition de durée du mariage reprise à la Directive, le droit ne vaut pas si la procédure judiciaire de divorce est introduite après le départ du conjoint (citoyen de l’Union).

Sur la deuxième question, la Cour est interrogée sur l’article 7, § 1, b) de la Directive, le juge demandant si celui-ci autorise que pour la détermination des ressources suffisantes dont doit disposer le citoyen de l’Union (ressources pour lui-même et membres de sa famille), ressources nécessaires aux fins de ne pas devenir une charge pour le système d’assurance sociale de l’Etat d’accueil au cours du séjour, lesdites ressources peuvent provenir en partie de celles du conjoint, ressortissant d’un pays tiers.

Dans les situations exposées à la Cour (et dont la première est reproduite ci-dessus), le conjoint (en réalité l’épouse), citoyen de l’Union n’a pas travaillé dans l’Etat membre pendant une période de temps, les besoins de la famille ayant été assurés par le conjoint ressortissant de l’Etat tiers.

La Cour répond ici qu’un citoyen de l’Union doit disposer pour lui et pour les membres de sa famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assurance sociale de l’Etat membre d’accueil en cours de séjour. Les termes « disposer de ressources suffisantes » impliquent que les citoyens de l’Union aient ces ressources à disposition. Aucune exigence n’est posée quant à la provenance de celles-ci, qui peuvent être fournies, notamment, par le ressortissant d’un Etat tiers.

Intérêt de la décision

Deux questions préjudicielles distinctes trouvent une réponse, dans cet arrêt.

La première est certes la plus délicate, puisque la Cour y rappelle que, selon les termes de la Directive 2004/38, les droits des ressortissants d’un pays tiers sont maintenus en cas de divorce, de décès, de cessation d’une cohabitation légale (ou partenariat enregistré), mais que tel n’est pas le cas lorsque le citoyen de l’Union dont le ressortissant de l’Etat tiers tire son droit (droit dérivé) a quitté l’Etat membre avant d’introduire une procédure de divorce.

La seconde question clarifie la notion de « ressources suffisantes » dont le citoyen de l’Union doit disposer aux fins de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale. La Cour y précise qu’il s’agit de ressources à sa disposition, sans que la provenance de celles-ci ne doive faire l’objet d’une vérification.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be