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Un nouvel arrêt de la Cour de Justice sur la notion de discrimination indirecte en sécurité sociale

Commentaire de C.J.U.E., 17 novembre 2015, C-137/15 (MARÍA PILAR PLAZA BRAVO C/ SERVICIO PÚBLICO DE EMPLEO ESTATAL DIRECCIÓN PROVINCIAL DE ÁLAVA)

Mis en ligne le vendredi 25 mars 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 17 novembre 2015, C-137/15 (MARÍA PILAR PLAZA BRAVO C/ SERVICIO PÚBLICO DE EMPLEO ESTATAL DIRECCIÓN PROVINCIAL DE ÁLAVA)

Terra Laboris

La Cour de Justice de Luxembourg rappelle dans un arrêt du 17 novembre 2015 que, en l’absence de données statistiques précises relatives aux effets d’une règle nationale (en l’occurrence le mode de calcul des allocations de chômage), il ne peut être conclu que celle-ci conduit à l’existence d’une discrimination indirecte dont les femmes seraient victimes au motif qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à occuper des postes à temps partiel.

Le contexte de la question préjudicielle soumise à la Cour

La Cour de Justice est interrogée par le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Autónoma del País Vasco (étant la Cour supérieure de justice de la Communauté autonome du Pays basque, Espagne) dans la cadre de la Directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale.

La question se pose, eu égard aux règles de calcul des allocations de chômage dans le droit espagnol, pour les prestations de travail effectuées à temps partiel.

L’action est introduite par une travailleuse ayant presté dans le secteur Horeca à temps partiel et qui a été licenciée dans le cadre d’un licenciement collectif. Elle demande à bénéficier d’allocations de chômage (prestations contributives). Selon la loi espagnole, le système lui applicable est le suivant : l’allocation est calculée en deux temps, étant que le montant de l’allocation journalière est obtenu en multipliant le montant de base quotidien par 70%, ce montant de base étant lui-même calculé en fonction du salaire mensuel perçu pendant les 180 derniers jours de travail. Le montant de cette prestation est ensuite limité à un montant maximal tenant compte de la situation de famille selon un indicateur public de revenus. Le chiffre obtenu est alors affecté d’un coefficient de 60%, correspondant au temps de travail à temps partiel, soit 60% du temps de travail à temps plein.

L’intéressée introduit un recours administratif, considérant que ce mode de calcul, appliqué aux emplois à temps partiel, affecte dans leur très grande majorité les femmes. Celles-ci sont en effet titulaires de la plupart de ce type d’emplois, ce qui est confirmé par l’Institut national de statistique, étant que le nombre de femmes travaillant à temps partiel en Espagne est de l’ordre de 25%, soit une sur quatre alors que, pour les hommes, il s’agit de moins de 8%, soit moins d’un homme sur douze.

Le juge espagnol pose la question d’une atteinte à l’égalité de traitement et à l’interdiction de discrimination sur le genre, dans la mesure où, en calculant le montant de l’allocation de chômage sur la base du salaire perçu, l’on serait en présence d’une différence de traitement qui affecte principalement les femmes.

La question préjudicielle

La question posée à la Cour de Justice est dès lors de savoir si l’article 4, § 1 de la Directive 79/7/CEE s’oppose à une disposition nationale en vertu de laquelle en cas de perte de l’emploi à temps partiel, lors de l’entrée en chômage, l’allocation doit être calculée en appliquant un coefficient réducteur relatif à la durée du travail à temps partiel (étant le pourcentage que représente le temps de travail effectué par rapport à celui d’un salarié à temps plein, coefficient appliqué au montant maximal des prestations de chômage établi par la loi), et ce eu égard au fait que les salariés à temps partiel sont dans leur immense majorité des femmes.

La décision de la Cour

La Cour rend une ordonnance, rappelant que lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une sur laquelle elle a déjà statué, elle peut statuer par voie d’ordonnance motivée. Elle renvoie en effet à l’arrêt CACHALDORA FERNÁNDEZ rendu en matière de pension d’invalidité (C.J.U.E., 14 avril 2015, C-523/13, précédemment commenté). Chaque Etat membre conserve, en l’absence d’harmonisation de la législation en matière de sécurité sociale, la compétence de déterminer les conditions d’octroi des prestations, à la condition toutefois de respecter le droit de l’Union. Ce droit n’interdit pas d’appliquer un coefficient réducteur au travail à temps partiel. La Cour relève cependant qu’il faut vérifier si en l’espèce ce choix est conforme à la Directive 79/7/CEE, qui a pour objet de réaliser progressivement le principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en sécurité sociale.

En l’espèce, la Cour relève que la réglementation s’applique indistinctement aux hommes et aux femmes. Il faut dès lors voir si elle ne constitue pas une discrimination indirecte. La prémisse du juge national est que la mesure vise essentiellement le groupe de travailleurs à temps partiel, constitué dans une grande majorité de femmes. Or, pour la Cour, cette disposition s’applique non à tous les travailleurs à temps partiel mais uniquement à ceux auxquels, compte tenu du salaire perçu dans la période de référence (180 derniers jours de travail), il faut appliquer des montants minimaux ou maximaux. Les statistiques relatives aux groupes de travailleurs à temps partiel en général, soit pris dans leur ensemble, ne permettent pas de conclure que davantage de femmes que d’hommes sont touchés par cette disposition. Reprenant, par ailleurs, l’arrêt ÖSTERREICHISCHER GEWERKSCHAFTSBUND C/ VERBAND ÖSTERREICHISCHER BANKEN UND BANKIERS (C.J.U.E., 5 novembre 2014, C-476/12), elle rappelle que n’est pas contraire au droit de l’Union le fait d’ajuster au pro rata temporis les montants maximaux d’allocations accordés aux fins de tenir compte d’une durée de travail réduite, ce procédé ayant pour effet de garantir le même montant maximal de prestation par heure travaillée et, ainsi, de favoriser l’égalité de traitement.

La Cour conclut dès lors à l’absence de contrariété de la loi espagnole (Ley General de la Seguridad Social) en son article 211 avec l’article 4, § 1 de la Directive 79/7/CEE.

Intérêt de la décision

Cette ordonnance de la Cour de Justice s’inscrit dans la jurisprudence de l’arrêt du 14 avril 2015 (Aff. CACHALDORA FERNÁNDEZ, C-523/13), rendu en matière de pension d’invalidité. Il s’agissait également de statuer dans le cadre d’une discrimination indirecte dont elle avait rappelé la définition dans sa jurisprudence : celle-ci suppose l’application d’une mesure nationale, qui, quoique formulée de manière neutre, désavantage en fait un nombre plus élevé de femmes que d’hommes.

La preuve de celle-ci n’est pas rapportée en l’espèce, le critère de calcul de la prestation étant la rémunération perçue les 180 derniers jours de travail. Cette situation touche de la même manière les hommes et les femmes et la circonstance que les femmes sont plus nombreuses à occuper des emplois à temps partiel ne peut suffire, pour la Cour, en l’absence de données statistiques spécifiques aux effets de cette mesure, à fonder une discrimination.


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