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Procédure de suivi du comportement actif du chômeur : précisions de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 5 octobre 2015, n° S.14.0055.F

Mis en ligne le jeudi 31 mars 2016


Cour de cassation, 5 octobre 2015, n° S.14.0055.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 5 octobre 2015, la Cour de Cassation examine la question de la motivation de la décision administrative et l’incidence de ce que la personne exclue n’était plus chômeuse à la date de cette décision.

Les faits et antécédents de la cause

Mme N.D.K. a signé le 18 février 2009 un deuxième contrat écrit dans le cadre du suivi du comportement actif des chômeurs (article 59quinquies, § 5 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991). Elle a été convoquée par courrier simple du 17 juillet 2009 pour le troisième entretien. Elle ne s’y est pas présentée et a donc été reconvoquée par recommandé pour le 11 septembre 2009. Mme N.D.K. ne s’y est pas présentée mais a, par l’envoi d’un formulaire C59, porté à la connaissance du directeur du bureau de chômage qu’elle ne chômait plus depuis le 1er août 2009 et se trouvait à charge de son compagnon.

Le 17 septembre 2009, le directeur du bureau de chômage l’exclut du bénéfice des allocations sur la base de l’article 59sexies, § 1er, alinéa 4 et § 6, alinéa 1er. Selon l’O.N.Em., le motif invoqué n’est pas valable.

Mme N.D.K. introduit un recours près du tribunal du travail, recours accueilli.

Sur appel de l’O.N.Em., la cinquième chambre de la cour du travail de Mons, par un arrêt du 20 mars 2014 (publié partiellement in Chron. Dr. Soc., 2014, p. 250) a tout d’abord annulé la décision administrative pour défaut de motivation. La cour du travail, qui s’est référée à un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2011, a en effet considéré que l’O.N.Em. aurait dû vérifier si la dame N.D.K. n’avait pas recherché activement un emploi conformément à l’engagement qu’elle avait souscrit. La cour du travail s’est ensuite substituée à l’O.N.Em. pour statuer sur les droits de Mme N.D.K. et a constaté que la chômeuse, en avisant l’O.N.Em. qu’elle ne chômait plus et se trouvait à charge de son compagnon, justifiait par un motif valable sa non-présentation au troisième entretien d’évaluation. La cour du travail en déduit que l’O.N.Em. n’était pas en droit de prendre une décision d’exclusion.

L’O.N.Em. s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.

On retiendra de ce pourvoi :

  • la première branche prise de la violation des articles 1, 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ;
  • la deuxième branche qui critique la décision que du fait de sa renonciation au bénéfice des allocations de chômage, Mme N.D.K. n’était plus soumise aux obligations de la procédure de suivi du comportement actif et avait donc un motif valable de ne pas se présenter à la convocation.

L’arrêt de la Cour de cassation

Sur conclusions conformes du ministère public (publiées avec l’arrêt sur Juridat), la Cour a accueilli ces deux branches du moyen.

Examinant d’abord la deuxième branche, la Cour de cassation déduit de l’article 59sexies, § 1er, alinéas 1, 3 et 4, que le chômeur qui ne donne pas suite à la convocation par recommandé pour le troisième entretien est assimilé à un chômeur qui n’a pas respecté l’engagement souscrit dans le contrat écrit et est exclu du bénéfice des allocations conformément aux dispositions du § 6. Elle relève également que l’article 143 de l’arrêté royal prévoit que le directeur du bureau du chômage peut prendre des décisions sur le droit aux allocations à l’égard du travailleur qui n’a pas perçu ou demandé d’allocation le jour où la décision est prise, le jour où elle a été notifiée ou le jour où elle produit ses effets. En règle, la circonstance que le travailleur ne demande plus d’allocation ne fait donc pas obstacle à l’application de la sanction et ne constitue pas davantage un motif valable pour ne pas donner suite à l’entretien.

Sur la première branche, la Cour décide que les articles 1 à 3 de la loi du 29 juillet 1991 imposent à l’O.N.Em. de motiver formellement sa décision relative au droit aux allocations mais ne lui imposent pas de procéder à un examen déterminé avant de prendre cette décision, cet examen déterminé étant, d’après la cour du travail de Mons, de vérifier si le chômeur qui ne s’est pas présenté n’a pas recherché activement un emploi.

Intérêt de la décision

Ainsi que l’avait relevé la cour du travail de Mons, l’arrêté royal du 28 septembre 2010 a inséré un §10 dans l’article 59bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, aux termes duquel la procédure de suivi est suspendue pendant la période pour laquelle le chômeur renonce, par une déclaration préalable, écrite et irrévocable, aux allocations de chômage pour six mois au moins. Cette modification n’était pas applicable au litige.

Nonobstant cette modification qui ne suspend la procédure que lorsque les conditions en sont réunies, il n’en reste pas moins qu’il n’est pas inutile de rappeler que, en règle, en vertu de l’article 143 de l’arrêté royal, le directeur peut prendre des décisions sur le droit aux allocations à l’égard du travailleur qui n’a pas reçu ou demandé d’allocations le jour où la décision est prise, le jour où elle a été notifiée ou le jour où elle doit produire ses effets.

Ainsi que le rappelait le ministère public, cette règle a été introduite par un arrêté royal du 20 août 1984 insérant un article 172bis dans l’arrêté royal du 20 décembre 1963, article identique à l’actuel article 143 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La Cour de cassation a fait application de cet article 172bis à propos du chômage se prolongeant au-delà d’une certaine durée (Cass., 27 avril 1998, Pas., 1998, n° 215). Les conclusions du ministère public permettent de déterminer le rôle du juge lorsque le chômeur ne se présente pas à la troisième convocation dans le cadre de l’article 59sexies A.R.

On rappellera que par un arrêt du 3 juin 2010, la cinquième chambre de la cour du travail de Mons avait décidé que le chômeur était d’office considéré comme n’ayant pas respecté l’engagement souscrit dans le deuxième contrat et devait par conséquent être exclu, sans qu’il doive être vérifié si d’autres obligations ont ou non été respectées.

Par son arrêt du 23 mai 2011 (Pas., 2011, n° 340), auquel se référait l’arrêt de la cour du travail de Mons du 20 mars 2014, la Cour casse cette décision. Il ressort de cet arrêt que, lorsque, devant la juridiction du travail, le chômeur absent au troisième entretien a soutenu avoir respecté ses engagements, le juge doit trancher la contestation sur le droit du chômeur aux allocations dont il est exclu et contrôler la légalité de la décision d’exclusion.

La dame N.D.K. aurait donc pu, en l’espèce, établir l’existence de recherche active d’emploi conformément au contrat souscrit. L’entretien deviendrait alors sans intérêt et l’absence de la chômeuse à l’entretien ne permet pas de l’assimiler, sans plus de vérification, à un chômeur qui n’a pas respecté ses engagements.

Par contre, lorsque le chômeur s’est borné à invoquer les effets de sa renonciation aux allocations de chômage, l’O.N.Em. peut se borner à vérifier si le motif invoqué était valable. Les conclusions du ministère public précisent à cet égard que l’appréciation de l’O.N.Em. quant à la validité du motif « n’implique pas en soi de lui imposer dans le cadre de ses obligations de motivation découlant tant de la Charte de l’assuré social que de la loi du 29 juillet 1991, celle d’exposer explicitement les raisons pour lesquelles il estime qu’il n’y a pas de motif valable. Cette seule affirmation, conforme au texte de la loi, suffit (...) à la partie concernée pour connaître à suffisance le grief qui lui est fait et donc pour répliquer en connaissance de cause à la question précise du caractère valable ou non d’un motif qu’elle peut donc utilement avancer ».

C’est dans la ligne de ces conclusions que la Cour de cassation décide que les articles 1 à 3 de la loi du 29 juillet 1991 n’imposent pas à l’O.N.Em. de procéder à un examen déterminé avant de prendre sa décision.


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