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Revenu d’intégration et cohabitation : charge de la preuve

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 novembre 2015, R.G. 2014/AB/19

Mis en ligne le jeudi 31 mars 2016


Cour du travail de Bruxelles, 4 novembre 2015, R.G. 2014/AB/19

Terra Laboris

Dans un arrêt 4 novembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles en matière de cohabitation dans le cadre de la loi du 26 mai 2002, tant en ce qui concerne la notion elle-même que la charge de la preuve.

Les faits

Une étudiante bénéficie du revenu d’intégration au taux cohabitant. Elle réside en effet avec ses parents et ses deux frères, situation qui perdure jusqu’en juillet 2012. L’intéressée déménage ensuite et va occuper un appartement où réside déjà une amie. Elle demande le revenu d’intégration au taux isolé, ce que refuse le C.P.A.S., qui maintient le taux cohabitant. Pour le Centre, l’intéressée ne dispose pas de bail de sous-location et n’a pas payé de garantie locative. Elle a par ailleurs accès à toutes les pièces de l’appartement (sauf la chambre privée de l’autre personne).

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, qui, par jugement du 17 décembre 2013, le déclare non-fondé.

La décision de la cour

Suite à l’appel interjeté par l’intéressée, la cour reprend les principes.

La cohabitation a été définie par le fait que des personnes vivent sous le même toit et qu’elles règlent principalement en commun leurs questions ménagères, ceci quelle que soit la nature des liens qui les unissent. Le critère est de former une entité ménagère et économique (la cour renvoyant à la doctrine de Ph. VERSAILLES, Le droit à l’intégration sociale, Etudes pratiques de droit social, Kluwer, 2014, p. 52).

La notion est dès lors double : outre le partage des tâches ménagères, il faut que le bénéficiaire du revenu d’intégration tire un avantage économico-financier de la cohabitation.

La cour du travail rappelle que tant la Cour constitutionnelle que la Cour de cassation sont intervenues sur la question (C. const., 10 novembre 2011, arrêt n° 176/2011 et Cass., 21 novembre 2011, n° S.11.0067.F).

Par ailleurs, sur le plan de la preuve, c’est au demandeur d’établir qu’il a le statut d’isolé, étant qu’il doit apporter la preuve de l’absence de cohabitation au sens légal. En ce qui concerne les indices, l’inscription au registre de la population peut intervenir, mais ce sont essentiellement les conditions concrètes d’occupation qui doivent être examinées (partage du loyer, compteurs, etc.).

Ces conditions sont dès lors passées en revue.

Un point d’attention particulier de l’arrêt est la question du loyer. Pour la cour, il s’agit du point central. Il n’est pas contesté qu’il n’y a pas de convention de sous-location et, par ailleurs, aucune preuve de paiement d’un loyer n’est produite. En l’absence de reçu, la cour considère que l’on ne peut retenir l’affirmation verbale de paiements intervenus à ce titre.

Dès lors, l’occupation des lieux impliquait une « sérieuse économie » par rapport à un isolé. La cour retient d’ailleurs que, même si un loyer avait été payé, et ce à concurrence d’environ 300 € par mois, comme le soutient l’intéressée, il y aurait encore un avantage économico-financier.

Les deux conditions de la cohabitation sont dès lors rencontrées, étant d’une part le partage des questions ménagères (utilisation de la quasi-totalité de l’appartement) et, d’autre part, l’avantage économico-financier.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, rendu dans une espèce fréquente, rappelle les deux règles à retenir sur la question, étant d’une part la notion de cohabitation et, d’autre part, la charge de la preuve.

La cour du travail renvoie très utilement à deux importantes décisions rendues par les cours supérieures.

Dans un arrêt du 21 novembre 2011 (Cass., 21 novembre 2011, n° S.11.0067.F), la Cour de cassation avait été saisie d’une cohabitation avec une personne en séjour illégal et sans ressources. L’arrêt avait cassé la décision de fond, qui avait admis l’existence d’une cohabitation au sens de l’article 14, § 1er, 1°, de la loi du 26 mai 2002. La cassation est intervenue eu égard au fait que la cour du travail n’avait pas examiné si, outre le partage des tâches ménagères, le demandeur avait tiré un avantage économico-financier de la cohabitation.

Par ailleurs, dans son arrêt du 10 novembre 2011 (C. const., 10 novembre 2011, n° 176/2011), la Cour constitutionnelle avait précisé l’interprétation à donner à la notion de règlement principalement en commun des questions ménagères au sens de la même disposition : si ce règlement, principalement en commun, intervient entre un bénéficiaire du revenu d’intégration et un étranger en séjour illégal, avec lequel il cohabite sous le même toit, ceci suppose, outre le partage des tâches ménagères, que l’allocataire tire un avantage économico-financier de la cohabitation. Interprétée de la sorte, la disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.


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