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Qu’entend-on par « aptitude du travailleur » en matière du licenciement ?

Commentaire de Cass., 14 décembre 2015, n° S.14.0082.F

Mis en ligne le mardi 12 avril 2016


Cour de cassation, 14 décembre 2015, n° S.14.0082.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 décembre 2015, statuant en chambres réunies, la Cour de cassation confirme, comme elle l’avait fait dans la même espèce dans un premier arrêt du 18 février 2008, que le motif de licenciement tiré de l’aptitude du travailleur ne peut pas s’apprécier eu égard aux perturbations de l’organisation du service auquel il était affecté.

Rétroactes

La Cour de cassation avait été saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 12 juin 2006. Il s’agissait d’apprécier l’effet d’absences répétées (dûment justifiées pour raison médicale) sur la licéité de la décision prise par l’employeur de licencier l’intéressée. Une action avait été introduite dans le cadre du contrôle du motif, tel qu’organisé à l’époque par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Conformément à l’approche de la question fréquemment rencontrée alors, la cour avait certes constaté que les absences avaient été nombreuses sur trois années consécutives, mais avait conclu qu’elles ne justifiaient pas le licenciement, dans la mesure où l’employeur ne prouvait pas que ces absences avaient désorganisé l’entreprise.

Un pourvoi avait ainsi été introduit.

La décision de la Cour de cassation du 18 février 2008

L’employeur considérait dans son pourvoi que l’article 63 ne posait pas cette exigence.

Dans son arrêt, la Cour accueille celui-ci, considérant que l’article 63, alinéa 1er, exclut qu’un licenciement soit abusif (au sens de la disposition) dès lors qu’il est fondé sur un motif qui présente un lien avec l’aptitude de l’ouvrier, quelles que soient les conséquences de cette inaptitude sur l’organisation du travail. Le juge du fond ne pouvait dès lors d’une part constater que les absences avaient été nombreuses, et d’autre part que l’employeur ne prouvait pas qu’elles avaient désorganisé l’entreprise. Pour la Cour de cassation, cette motivation ne respecte pas les conditions de l’article 63.

L’affaire fut ainsi renvoyée devant la Cour du travail de Mons.

L’arrêt de la Cour du travail de Mons du 22 juin 2009

La Cour du travail de Mons, réexaminant les faits, aboutit à la conclusion que les absences avaient été répétées et qu’elles avaient même pu être de longue durée. La cour avait considéré que ces absences, résultant d’une incapacité de travail dûment justifiée, pouvaient remettre en cause l’aptitude du travailleur à exercer le travail convenu. Cependant, tout en constatant l’absentéisme important de la travailleuse, la cour avait conclu que celui-ci n’avait pas perturbé l’organisation du service auquel elle était affectée.

L’arrêt de la cour s’était appuyé sur deux ordres de motifs, étant d’une part les nécessités de fonctionnement de l’entreprise (la cour s’étant attachée à examiner les difficultés invoquées, liées à l’échéance prochaine d’un contrat important, et concluant que celles-ci n’existaient pas encore au moment du licenciement et n’avaient d’ailleurs jamais existé qu’en apparence, dès lors que le travail de conditionnement, objet du contrat, avait pu être poursuivi dans d’autres conditions) et, d’autre part, l’aptitude de la travailleuse eu égard à un absentéisme important.

Un pourvoi fut formé contre cet arrêt.

Les moyens du pourvoi

Le pourvoi est articulé en sept branches.

La première porte sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, considérant que le juge ne peut censurer les décisions de l’employeur qui si elles reposent sur un motif manifestement déraisonnable et qu’il ne peut apprécier lui-même l’opportunité d’un licenciement fondé sur les nécessités de l’entreprise, ce qui a été fait à tort par la cour, qui s’est ainsi immiscée dans sa gestion.

La deuxième branche rejoint la première, étant que le juge aurait procédé à une appréciation personnelle des nécessités du fonctionnement de l’entreprise (décision prise par celle-ci de réorganiser les activités de production, étant de modifier sa politique économique).

La troisième branche faisait grief à la cour de ne pas avoir apprécié la situation au moment du licenciement mais de s’être fondée sur des événements postérieurs à celui-ci.

La quatrième branche était plus technique, étant tirée du caractère contradictoire des motifs.

C’est la cinquième branche qui – visant particulièrement la question de l’aptitude – sera retenue par la Cour de cassation. Celle-ci précise que, lorsque l’absentéisme du travailleur, même justifié par des certificats médicaux, est tel que cela remet en cause son aptitude au travail convenu, l’employeur qui licencie en raison de celui-ci n’a pas à prouver la désorganisation de l’entreprise. Ce n’est, dans l’examen de ce motif d’inaptitude à exercer le travail convenu, que l’examen du caractère manifestement déraisonnable du motif qui peut conduire à la reconnaissance du caractère abusif du licenciement.

Quant aux deux dernières branches, également fondées sur l’aptitude, elles faisaient à la cour grief d’avoir dépassé le cadre du contrôle marginal, portant sur l’existence du motif et non sur l’opportunité de l’invoquer. La dernière était plus particulièrement tirée de l’absence de réponse à l’argumentation de l’employeur sur certains points repris dans les conclusions (violation de l’article 149 de la Constitution).

L’arrêt de la Cour du 14 décembre 2015

La Cour commence par rappeler que la cinquième branche du moyen a la même portée que celle qui fut accueillie par l’arrêt du 18 février 2008 et que ceci justifie dès lors l’examen par les chambres réunies.

Dans une très brève motivation, elle accueille le pourvoi, sur la base de cette seule branche.

Après avoir rappelé la formulation de l’article 63, elle énonce que, s’il revient à l’employeur d’apprécier si le motif de licenciement n’est pas manifestement déraisonnable, le juge ne peut déduire le caractère abusif de celui-ci de la circonstance que l’inaptitude du travailleur n’a pas affecté le fonctionnement de l’entreprise de l’établissement ou du service. Ce faisant, l’arrêt attaqué n’a pas justifié légalement sa décision que le licenciement ne peut être mis en relation avec l’absentéisme de la travailleuse et qu’il est dès lors abusif.

L’arrêt renvoie la cause devant la Cour du travail de Liège, qui devra se conformer à la décision rendue sur le point de droit jugé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est important – même s’il a été rendu dans le cadre du défunt article 63 –, dans la mesure où, dans le cadre du contrôle du motif organisé par la C.C.T. n° 109 du 12 février 2014, il est précisé que les motifs du licenciement s’inspirent de ceux repris dans cette disposition. Elle est dès lors certes défunte quant au mécanisme qu’elle a organisé, mais non quant aux motifs de licenciement qu’elle prévoyait.

En l’espèce, s’agissant d’absences répétées (dûment justifiées), il était communément admis d’examiner l’effet de ces absences sur le fonctionnement de l’entreprise pour retenir ou non que le motif d’aptitude était présent.

Ceci était une simplification et – il est vrai – une interprétation particulière de l’article 63. Dans son arrêt du 18 février 2008, la Cour de cassation a dû faire ce rappel à l’ordre, étant que le motif d’aptitude s’examine indépendamment des critères exigés dans le cadre d’un autre motif, qui est celui où le licenciement est fondé sur les nécessités de l’entreprise, de l’établissement ou du service. Selon le motif invoqué, il faut dès lors examiner la condition d’aptitude en elle-même, ou bien les nécessités de l’entreprise (celles-ci impliquant ou non la nécessité de licencier).

Rappelons encore que, dans un arrêt du 3 février 2014 (précédemment commenté – Cass., 3 février 2014, n° S.12.0077.F), la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Mons du 8 décembre 2011, avait eu l’occasion de réexaminer cette problématique, non à partir du critère de l’aptitude du travailleur, mais de celui d’absences répétées désorganisant l’entreprise. La Cour suprême avait ici admis que la cour du travail avait pu procéder à cet examen dans le cadre de ce critère et, ici, vérifier si les absences avaient eu des effets négatifs sur l’organisation de l’entreprise. Tel n’est pas le cas du critère d’aptitude et il n’échappera pas que celui-ci a dès lors un contenu propre dans le cadre du contrôle du motif, puisqu’il s’agira de vérifier si le travailleur est, pour les raisons invoquées, toujours en mesure d’effectuer le travail convenu.


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