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Exercice d’un mandat dans une société : droit aux allocations d’interruption de carrière ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 décembre 2015, R.G. 2015/AL/39

Mis en ligne le jeudi 28 avril 2016


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 décembre 2015, R.G. 2015/AL/39

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 décembre 2015, examinant la situation d’une travailleuse salariée ayant également le statut d’administrateur-délégué de la société coopérative qui l’emploie, la Cour du travail de Liège (Div. Liège) rappelle que les conditions d’octroi d’allocations d’interruption en cas d’exercice d’une activité indépendante sont très strictes. Elle définit également la notion d’activité indépendante au sens de cette réglementation.

Les faits

Une ouvrière, travaillant pour une société coopérative, en devient administrateur-délégué-gérant en 1992. Elle effectue les formalités d’affiliation en qualité d’indépendant à titre complémentaire. Cette activité n’est pas déclarée à l’ONEm. L’intéressée bénéficie régulièrement d’allocations de chômage temporaire. En 2005, elle fait une demande d’interruption de carrière à mi-temps. Cette demande est acceptée pour une période du 1er janvier 2006 au 31 janvier 2015 et l’intéressée perçoit les allocations d’interruption.

Elle devient, rapidement, administratrice d’une autre société coopérative (dont elle détient une part sociale).

L’ONEm l’auditionne en 2010, quant à sa situation.

Elle expose que la première société coopérative a une gestion collective et que, en ce qui la concerne, elle a accepté la fonction d’administrateur-délégué aux fins de signer les documents. Elle expose que ce travail n’est qu’une extension de son travail d’ouvrière. Elle fait valoir sa bonne foi, l’activité étant par ailleurs exercée à titre gratuit.

Elle fait l’objet d’une première décision de l’ONEm, qui lui fait grief d’avoir exercé une activité pour compte propre incompatible avec les allocations de chômage. La bonne foi étant retenue, la récupération est limitée aux 150 dernières journées d’indemnisation.

Ultérieurement, l’ONEm réentend l’intéressée à propos de sa situation en matière de crédit-temps, lui reprochant ici de ne pas avoir déclaré son affiliation à l’INASTI et considérant que l’activité exercée durant le crédit-temps n’est pas compatible avec la perception des allocations d’interruption. Le droit aux allocations est alors revu et les allocations perçues indument sont à récupérer.

Suite au recours introduit par l’intéressée devant le Tribunal du travail de Liège (Div. Verviers), celui-ci confirme les décisions administratives.

Appel est interjeté.

Décision de la cour

La cour examine successivement le droit de l’intéressée eu égard aux allocations de chômage économique ainsi qu’aux allocations d’interruption de carrière.

Elle reprend la définition de l’activité exercée pour compte propre, l’activité pouvant être acceptée si elle est limitée à la gestion normale des biens propres. Pour ce, elle ne doit pas être réellement intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et ne doit pas être exercée dans un but lucratif. Tel n’est pas le cas de l’exercice du mandat d’administrateur d’une société commerciale. Cependant, le fait de détenir un mandat n’implique pas nécessairement l’exercice de celui-ci et, s’il ne s’agit pas d’une véritable activité, la cour rappelle que dans cette hypothèse il appartient au travailleur d’établir qu’il n’a nullement exercé celui-ci.

La preuve n’est pas rapportée en l’espèce, l’intéressée ayant décrit ses fonctions de manière détaillée (travaux administratifs, engagement et licenciement du personnel, accès aux comptes bancaires, …). Il s’agit, pour la cour, d’une activité d’administrateur actif. Elle souligne par ailleurs qu’elle n’apporte aucune précision quant à son rôle dans la seconde société coopérative. L’activité n’ayant pas été déclarée et l’intéressée n’ayant par ailleurs pas rempli la carte de contrôle, la décision est confirmée.

En ce qui concerne les allocations d’interruption de carrière, la cour en rappelle le principe, le mécanisme étant prévu dans l’arrêté royal du 2 janvier 1991 relatif à l’octroi des allocations d’interruption. Si la suspension de l’exécution du contrat de travail est complète, il peut y avoir cumul des allocations d’interruption avec des revenus produits par une activité indépendante pendant un an maximum. Toute activité d’indépendant est ici visée, s’agissant de celle soumise au statut social des travailleurs indépendants. Cette situation implique d’avoir avisé préalablement le directeur de l’ONEm.

L’arrêté royal du 12 décembre 2001 (Arrêté royal pris en exécution du chapitre IV de la loi du 10 août 2001 relative à la conciliation entre l’emploi et la qualité de vie concernant le système du crédit-temps, la diminution de carrière et la réduction des prestations de travail à mi-temps) prévoit cependant l’interdiction de cumul des allocations d’interruption avec une activité indépendante complémentaire – sauf l’hypothèse de suspension complète des prestations de travail, et ce à certaines conditions. La notion d’activité indépendante complémentaire est également celle admise dans le cadre du statut social.

La qualité d’indépendant au sens de cette réglementation coïncide dès lors avec celle de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants.

En ce qui concerne les mandataires de sociétés commerciales, la cour rappelle qu’ils sont présumés, de manière réfragable, exercer une activité professionnelle en cette qualité. Tel est le cas en l’espèce, l’intéressée ayant d’ailleurs pris une inscription auprès de l’INASTI à titre complémentaire depuis plusieurs années. Elle est dès lors présumée exercer une activité d’indépendant et elle doit apporter la preuve contraire.

La cour renvoie aux développements faits dans le cadre de l’examen du droit aux allocations pour chômage économique, qui doivent s’appliquer de la même manière aux allocations d’interruption de carrière. Il faut dès lors retenir qu’il y a eu exercice d’une activité professionnelle en tant que travailleur indépendant et que celle-ci aurait dû être déclarée à l’ONEm.

La cour souligne encore le fait que, en l’espèce, ce n’est pas la suspension complète des prestations de travail qui a été demandée mais une suspension partielle. Les décisions administratives sont dès lors confirmées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait un rappel très utile des conditions de cumul des allocations d’interruption avec les revenus produits par l’exercice d’une activité indépendante et reprend les obligations du travailleur qui veut bénéficier de ce système.

Rappelons sur la question un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (Sect. Namur), 6 avril 2010, R.G. n° 2009/AN/8.831), qui a jugé qu’est visée l’activité elle-même, qu’elle produise ou non un bénéfice. Dans cet arrêt, la Cour relève encore que les allocations d’interruption n’ont pas pour objet de financer l’exercice d’une activité indépendante, situation qui créerait une discrimination entre les indépendants qui en bénéficient et ceux qui n’y ont pas droit. Le but est au contraire de permettre à un (ancien) salarié de se lancer dans la carrière d’indépendant à temps plein tout en évitant une concurrence déloyale entre les indépendants, et ce par l’octroi limité dans le temps (deux ans, puis un an) desdites allocations.


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