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Procédure de récupération d’indu et Charte de l’assuré social

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 8 septembre 2015, R.G. 2014/AL/462

Mis en ligne le mardi 10 mai 2016


Cour du travail de Liège (division Liège), 8 septembre 2015, R.G. 2014/AL/462

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 septembre 2015, la Cour du travail de Liège (div. Liège) rappelle qu’en vertu de l’article 7 de la Charte de l’assuré social les institutions de sécurité sociale et les services chargés du paiement des prestations sociales sont tenus de faire connaître aux personnes intéressées, au plus tard au moment de l’exécution, toute décision individuelle motivée les concernant et que celle-ci doit contenir les mentions légales requises.

Les faits

Un ouvrier communal est mis à la prépension pour inaptitude physique définitive après une vingtaine d’années de service. Il a introduit, quelques années avant la fin de ses prestations, une demande de reconnaissance de maladie professionnelle dans le cadre de la liste (maladie ostéo-articulaire). Son employeur, la Ville de V., a admis l’existence de celle-ci, après avis du Fonds des Maladies Professionnelles, et une rente a été admise sur la base d’un taux de 10% depuis l’année 1997.

Peu de temps après, l’intéressé a introduit une demande en aggravation et celle-ci n’aboutit pas à une majoration du taux, la décision antérieure étant simplement confirmée.

Entre-temps, suite à des erreurs d’encodage, l’intéressé a perçu deux fois la rente et, en 2012, un indu lui est réclamé à concurrence de près de 32.000 €. Le paiement de la rente est suspendu entre-temps. Ces difficultés sont intervenues avec une société mutualiste que la Ville avait chargée de la gestion du dossier.

Une procédure est très rapidement introduite contre la société. L’intéressé demande la poursuite du versement des rentes ainsi que la cessation de l’interruption du paiement. La société introduit une demande reconventionnelle et la Ville est appelée en intervention et garantie. Les trois parties sont dès lors présentes au litige.

Par jugement du 19 décembre 2013, le tribunal du travail admet la recevabilité de l‘action en ce qui concerne la Ville, qui est le débiteur des rentes, mais non la société mutualiste. Celle-ci est, également, déboutée de son action en ce qu’elle porte sur la demande de remboursement, le tribunal relevant qu’elle n’a aucune qualité pour introduire une demande de répétition d’indu en matière d’indemnisation pour maladie professionnelle.

Appel du jugement est interjeté par l’ensemble des parties.

La décision de la cour

La cour confirme, en premier lieu, qu’il n’y a aucun lien de droit entre le travailleur et la société mutualiste, celle-ci n’étant pas débitrice des rentes. En outre, elle n’agit pas comme société d’assurance ou de réassurance, mais en tant que tiers chargé par la Ville de verser les rentes selon les instructions de cette dernière.

La société ne peut dès lors déterminer elle-même si l’intéressé a perçu un indu et s’il doit faire l’objet d’une récupération. Elle ne peut davantage décider de l’action en répétition. La jurisprudence relative aux subventions-traitements versées par la Communauté française au personnel enseignant n’est nullement transposable à ce cas de figure.

Sur la récupération de l’indu, le travailleur s’appuyant sur les principes de la Charte de l’assuré social, la cour constate en premier lieu que la société n’est pas une institution de sécurité sociale dans la mesure où elle n’accorde pas de prestations sociales et qu’elle ne peut davantage être qualifiée d’institution coopérante de sécurité sociale, n’ayant aucun agrément à cette fin. Elle n’est donc pas visée par la Charte. Elle ne l’est pas davantage par la loi du 3 juillet 1967 et son arrêté d’exécution. Enfin, elle ne l’est pas non plus par la loi du 29 juillet 1991, n’étant pas une autorité administrative.

La société se fondant quant à elle sur le Code civil (articles 1235 et 1376), la cour rappelle que la Charte de l’assuré social a édicté des règles dérogatoires au droit commun en ce qui concerne la récupération de l’indu en matière de sécurité sociale et que ces règles s’appliquent à la Ville en sa qualité d’employeur.

La récupération n’est par ailleurs pas une décision de revision, dans la mesure où il n’y a pas d’erreur de droit ou matérielle entachant celle-ci. Par contre, l’article 7 de la Charte contient une obligation de notification des décisions des institutions de sécurité sociale, notification qui doit contenir des mentions permettant l’exercice des droits de défense. La cour souligne que l’action en récupération ne peut s’exercer avant la notification de l’existence d’un indu et qu’il y a lieu que la Ville notifie à l’assuré social la décision le concernant. C’est à l’institution de sécurité sociale de prendre des initiatives en vue de cette récupération, elle seule ayant qualité pour ce faire.

A la Ville, qui demande le remboursement de la seconde rente perçue par l’intéressé, et ce indûment, la cour rappelle sur ce point également l’article 7 de la Charte, ainsi que l’article 16. Ces textes n’ont pas été respectés, la Ville n’ayant, sur la question de ce remboursement, jamais notifié une décision à l’intéressé. L’on ne peut, dès lors, demander en justice l’exécution d’une décision qui n’a jamais été prise.

Enfin, la cour doit traiter une demande de dommages et intérêts. L’intéressé fait en effet valoir que, vu les erreurs commises dans les paiements, il a été induit en erreur quant à son droit d’obtenir une seconde rente suite à l’aggravation de son état de santé et que, s’il avait eu une information correcte quant à l’absence de droit à la seconde rente, il aurait pris d’autres dispositions, étant notamment d’introduire une action judiciaire. Son préjudice est évalué à l’absence de perte d’une chance d’obtenir une majoration de la rente. C’est un dommage moral.

La cour ne fait pas droit à cette demande, dans la mesure où, si elle reconnaît que l’intéressé a pu, vu le comportement de la Ville, penser qu’il était en droit de bénéficier de deux rentes, aucun élément n’est déposé permettant d’aller dans le sens de l’aggravation de son état de santé en raison de la maladie professionnelle. Le dommage n’est pas établi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège resitue le rôle des différents acteurs dans la procédure d’indemnisation des maladies professionnelles dans le secteur public. Le Fonds des Maladies Professionnelles est en effet intervenu en qualité de conseil médical, ayant, à la demande de la Ville, donné un avis en ce qui concerne l’incapacité permanente. La société mutualiste, qui avait une convention avec la Ville en vue de la gestion du paiement des rentes aux membres du personnel indemnisés pour les maladies professionnelles, n’est pas partie au mécanisme légal. La cour relève que la convention entre la Ville et cette société consiste au paiement, pour compte de la Ville, des rentes fixées dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967 sur la base des renseignements donnés par elle. Dans ce cadre, cette société n’est ni une institution de sécurité sociale ni une institution coopérante de sécurité sociale au sens de la Charte de l’assuré social. Son intervention n’est pas prévue dans la loi du 3 juillet 1967 ni dans son arrêté royal d’exécution, et, enfin, elle n’est pas davantage une autorité administrative soumise à la loi sur la motivation des actes administratifs.

Une autre question de grand intérêt est de rappeler qu’en cas d’indu la récupération ne peut intervenir qu’après notification de la décision le constatant. L’article 7 de la Charte de l’assuré social dispose en effet que les institutions de sécurité sociale et les services chargés du paiement des prestations sociales sont tenus de faire connaître aux personnes intéressées, au plus tard au moment de l’exécution, toute décision individuelle motivée les concernant. La notification doit en outre mentionner les possibilités de recours existantes ainsi que les formes et délais à respecter à cet effet.


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