Terralaboris asbl

Subordination juridique : éléments distinctifs et méthode d’examen

Commentaire de C. trav. Liège, 11 juin 2007, R.G. 33.497/05

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Liège, 11 juin 2007, R.G. n° 33.497/05

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 11 juin 2006, la Cour du travail de Liège complète les principes énoncés dans sa jurisprudence, rendue dans des situations contractuelles antérieures au 1er janvier 2007 (date d’entrée en vigueur des dispositions nouvelles contenues dans la loi programme du 27 décembre 2006 sur la nature juridique de la relation de travail).

Les faits

Les faits sont relativement simples, s’agissant d’une procédure mue à l’initiative de l’O.N.S.S., en vue d’assujettir des hôtesses de bars, travaillant pour le compte de la propriétaire de ceux-ci et ce sous statut de travailleuses indépendantes.

Pour l’O.N.S.S., il ressortait des éléments de l’enquête qu’il y avait contrat de travail. Il immatricula d’office la gérante en raison de l’emploi de personnel devant être assujetti à la sécurité sociale de travailleurs salariés.

Celle-ci assigna l’Office afin de faire déclarer cette décision nulle et non avenue et fut assignée à son tour en vue d’obtenir condamnation au paiement de cotisations sociales d’un montant de plus de 40.000 EUR, montant porté en cours d’instance à 55.000 EUR.

La position du tribunal

Le tribunal retint l’existence d’un contrat de travail.

La position des parties en appel

L’intéressée développait deux moyens en appel, étant d’une part un courrier de l’Office qui pouvait être interprété comme signifiant que les conditions d’assujettissement n’étaient pas réunies et un second, qui soutenait que l’O.N.S.S. était en défaut de rapporter la preuve d’éléments incompatibles avec le statut de travailleur indépendant choisi par les parties, et plus précisément avec la qualification de contrat d’entreprise qui s’appliquait à la convention qu’elles avaient conclue.

La position de la Cour

Tout en signalant d’emblée qu’il s’agissait de statuer dans l’état de la législation avant la loi programme du 27 décembre 2006, la Cour considéra devoir rappeler les principes applicables et déjà explicités dans sa jurisprudence antérieure, principes qu’elle déclara compléter, et ce eu égard aux derniers développements de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Elle rappela les principes habituels relatifs à la détermination de l’autorité patronale, critère qui permet de distinguer le contrat de travail de certains contrats voisins dont le contrat d’entreprise, celui-ci étant défini par référence à l’article 1710 du Code civil comme étant un contrat par lequel une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles. La caractéristique du contrat d’entreprise est la situation d’indépendance à l’égard du maître de l’ouvrage.

En ce qui concerne les instructions et directives générales, ainsi que le contrôle des prestations, ceux-ci sont présents dans le contrat d’entreprise, tout en existant également dans le contrat de travail. Pour la Cour, si les instructions sont strictes et précises, elles évoquent le lien de subordination mais, lâches et générales, elles inclinent du côté de l’indépendance.

Sur le plan de la méthode, la Cour rappelle qu’il faut examiner si les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d’exclure la qualification donnée par les parties à la convention qu’elles ont conclue. Dans cette hypothèse, le juge du fond ne peut y substituer une qualification différente. Positivement, lorsque les éléments soumis à son appréciation permettront d’exclure la qualification donnée par les parties à la convention conclue, le juge du fond pourra y substituer une qualification différente. La Cour rappelle ici l’arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2006 (S.05.0014.F).

Pour être inconciliable avec un travail non salarié, les éléments en cause doivent être précis et certains et, séparément ou conjointement, ils doivent faire apparaître une stricte subordination juridique, laquelle ne peut être confondue avec un état de dépendance économique. Ils doivent en outre démontrer l’exercice ou la possibilité de l’exercice d’un pouvoir d’autorité et de surveillance, qui serait incompatible avec les instructions générales, ou le simple contrôle autorisé dans le cadre du contrat d’entreprise. Rappelant un autre arrêt de la Cour de cassation (Cass., 20 mars 2006, n° S.05.0069.N), la Cour précise qu’il faut établir comment les instructions données au travailleur sont incompatibles avec l’exécution du travail indépendant.

Dans cet examen, et toujours selon la Cour suprême (Cass., 22 mai 2006, cité), les éléments qui établissent, séparément ou conjointement, la subordination juridique peuvent tenir notamment dans les contraintes relatives à l’organisation des conditions de travail, à la détermination des heures de prestations, aux absences et aux vacances.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour va constater qu’elle est saisie de « conventions type » excluant tout lien de subordination et contenant des dispositions diverses (mise d’un local à disposition de la cocontractante, calcul d’une commission sur le pourcentage de la recette, fixation mensuelle de ces commissions et délais de liquidation, …). Pour la Cour, il s’agit d’un contrat d’entreprise.

Il y a lieu ensuite d’examiner les éléments manifestement étrangers à la subordination juridique et la Cour les passe en revue, ces éléments de fait ne paraissant pas, séparément ou conjointement, incompatibles avec un contrat d’entreprise (détermination de la commission, absence d’autonomie des serveuses dans la gestion de l’établissement, …). Ensuite, examinant les autres éléments de la relation de travail, la Cour va considérer que ni l’organisation du travail, ni les heures de présence au travail (celles-ci étant fixées par les co-contractantes, selon leurs convenances et leurs horaires propres), ni la possibilité pour la gérante d’exercer une surveillance (du fait qu’elle occupait un logement dans les lieux) ne lui paraissent de nature à établir l’existence d’un contrat de travail.

Elle conclut à l’insuffisance des constatations contenues dans le rapport de l’inspection sociale pour établir les indices révélateurs de la subordination. Pour la Cour, si pareils indices ont peut être existé, ils ne sont pas révélés.

Intérêt de la décision

Dans une espèce de fait, la Cour du travail a complété, eu égard à deux arrêts de la Cour de cassation rendus dans le courant de l’année 2006, les critères a prendre en compte dans la recherche du lien de subordination, dans une hypothèse où existent également des éléments permettant de conclure à l’existence d’un contrat d’entreprise. L’intérêt particulier de l’arrêt est qu’il devrait permettre d’établir, au niveau de l’inspection sociale, les indices à définir, dans les faits, afin de pouvoir prouver l’existence de la subordination juridique.


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