Terralaboris asbl

Contrôle des dépenses médicales des hôpitaux à charge de l’AMI

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 janvier 2016, R.G. 2011/AB/963

Mis en ligne le mardi 14 juin 2016


Cour du travail de Bruxelles, 13 janvier 2016, R.G. 2011/AB/963

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 janvier 2016, la Cour du travail de Bruxelles interroge la Cour constitutionnelle sur les mesures de contrôle par l’INAMI, conformément à l’article 56ter de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, du coût des prestations médicales effectuées par les hôpitaux.

Les faits

Suite à un contrôle des dépenses d’un hôpital bruxellois, l’I.N.A.M.I. ordonne le remboursement d’un montant de près de 260.000 €, le contrôle ayant porté sur l’application du système des « montants de référence » (article 56ter de la loi coordonnée le 14 juillet 1994).

Un recours est introduit devant le Comité de l’assurance de l’I.N.A.M.I., concernant la méthodologie suivie.

L’hôpital constate en effet que l’I.N.A.M.I. a inclus le coût de la physiothérapie dans ses calculs. Il fait valoir qu’il s’agit d’un élément structurel, qui le distingue d’autres institutions, des facturations plus importantes pour ce type de traitement intervenant, alors que, pour d’autres (kinésithérapie,…), il y a sous-facturation. Dès lors que l’on ne retiendrait pas ces prestations, les conclusions de l’I.N.A.M.I. seraient modifiées et l’hôpital ne serait pas pénalisé. D’autres éléments sont également exposés – très longuement d’ailleurs – en ce qui concerne la critique de la méthodologie suivie. Il expose enfin avoir respecté la bonne pratique médicale, n’ayant nullement recours à des surfacturations.

La demande est rejetée par le Comité, de telle sorte que le tribunal du travail est saisi. Il déboute l’hôpital par jugement du 15 septembre 2011.

La cour du travail est à son tour saisie de la question.

Position de la cour

Elle dégage dans un premier temps le cadre juridique, constatant que le litige tourne autour de la question des « montants de référence » visés à l’article 56ter de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (remplacé actuellement par l’article 50 de la loi du 19 décembre 2008 portant des dispositions diverses en matière de santé, une nouvelle modification intervenant encore par la loi du 10 décembre 2009 – même intitulé).

Il s’agit d’un système qui organise un contrôle a posteriori de certaines dépenses médicales à charge du système des soins de santé, les dépenses étant comparées à une moyenne nationale.

La cour rappelle qu’il s’agit d’une mesure qui vise à la responsabilisation des hôpitaux quant au coût de certains actes médicaux pris en charge dans le secteur AMI et tendant à éviter une surconsommation d’actes médicaux. Cette disposition organise un système de contrôle par référence à des montants annuels moyens (médians) admis. Des règles sont prévues en ce qui concerne les montants à rembourser par les hôpitaux, et ce tenant compte notamment des groupes de prestations visés.

La cour renvoie aux travaux préparatoires de la loi du 19 décembre 2008, qui visent à réduire les différences de pratiques médicales à pathologie égale. Le système retenu est une pénalisation financière et a posteriori des hôpitaux ayant des pratiques jugées anormalement coûteuses par rapport à un standard (la cour renvoyant aux travaux parlementaires – Doc. parl., Chambre, 2008-2009, doc. n° 52-1491/006).

La cour souligne que cette disposition a déjà fait l’objet de contestations et que la Cour constitutionnelle a été saisie à deux reprises. Dans un premier arrêt (C. const., 27 mai 2010, n° 60/2010), elle avait considéré le recours irrecevable, recours introduit par diverses associations de défense des médecins et par certains médecins individuellement. Ceux-ci invoquaient une atteinte à leur liberté thérapeutique ou à la qualité des soins donnés. La Cour a considéré qu’ils ne justifiaient pas de l’intérêt requis pour agir.

Ultérieurement, elle a été amenée à rendre un deuxième arrêt (C. const., 27 février 2014, n° 33/2014, dans le cadre de l’article 56ter avant son remplacement par l’article 50 de la loi du 19 décembre 2008). Ce recours a fait l’objet d’une réponse négative, la question posée étant tirée d’une violation de la Constitution, ainsi que de la Convention européenne de Sauvegarde et de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Dans le cadre du présent litige, l’hôpital demande que la Cour constitutionnelle soit réinterrogée.

Ceci amène la cour du travail à rappeler en premier lieu les conditions dans lesquelles il y a lieu de poser une question préjudicielle dans le cadre de l’article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Les principes sont qu’il faut vérifier (i) si la question est pertinente, c’est-à-dire indispensable pour trancher le litige, (ii) si elle a un caractère véritable, c’est-à-dire si la constitutionnalité paraît suffisamment douteuse et (iii) si elle est utile, ce qui implique que la Cour ne se soit pas déjà prononcée. La cour du travail fait un examen de l’application de l’article 6 C.E.D.H. au contentieux constitutionnel, relevant par ailleurs que poser des questions de constitutionnalité est le seul moyen dont dispose l’hôpital pour contester la réclamation de l’I.N.A.M.I.

Elle se livre, ensuite, à un examen de fond de la pertinence, de l’utilité et du caractère véritable des questions qui sont proposées. La condition de pertinence est remplie et, sur l’utilité, les circonstances du litige sont distinctes, les griefs formulés n’étant pas les mêmes.

Dès lors que le premier des deux arrêts rendus par la Cour constitutionnelle (arrêt n° 60/2010) a abouti sur une conclusion d’irrecevabilité à défaut d’intérêt, la cour considère que cet arrêt a une autorité de chose jugée limitée. Il reste dès lors utile d’interroger valablement la Cour constitutionnelle.

En effet, sur le caractère véritable des questions, la première de celles-ci concerne le respect du principe de non-rétroactivité de la loi en tant que garantie destinée à prévenir l’insécurité juridique. La cour du travail renvoie à divers arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui ont admis que le droit aux prestations de sécurité sociale est un droit patrimonial au sens de l’article 1er du Premier Protocole. L’arrêt MOSKAL (Cr.E.D.H., 15 septembre 2009, MOSKAL c/ POLOGNE, Req. n° 10.373/05) a relevé que cette disposition trouve également à s’appliquer en cas de récupération d’indu. En l’espèce, jusqu’à la décision contestée, l’hôpital pouvait légitimement s’attendre à conserver les montants qui lui avaient été versés pendant l’année 2006.

Elle fait dès lors droit à la demande d’interroger la Cour constitutionnelle, explicitant toutefois la question posée. Celle-ci est très longue et complexe. Elle concerne uniquement l’article 56ter de la loi du 14 juillet 1994 tel que remplacé par l’article 50 de la loi du 19 décembre 2008 et en demande l’examen de constitutionnalité avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme, ainsi qu’avec les principes du droit que sont le principe de sécurité juridique et de non-rétroactivité de la loi.

Est également demandé un examen de cette disposition au regard du principe de proportionnalité sur les différentes règles qu’il contient (traitement identique d’hôpitaux se trouvant dans une situation différente, notamment sur le plan du profil de la patientèle, ainsi que de son hinterland ou de son type, système de calcul du montant effectif à rembourser entraînant une disproportion manifeste entre les dépassements constatés et les montants à rembourser, sanction des hôpitaux et non des médecins prescripteurs, alors que les hôpitaux ne sont pas responsables de la surconsommation sanctionnée, et, enfin, garanties du procès équitable ainsi que du principe non bis in idem).

Intérêt de la décision

Ce sera la troisième intervention de la Cour constitutionnelle sur la question.

Dans son arrêt du 17 février 2014, statuant sur l’article 56ter de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, avant son remplacement par l’article 50 de la loi du 19 décembre 2008 portant des dispositions diverses en matière de santé, elle avait dégagé des pistes quant à la raison d’être de la méthode choisie par le législateur étant que le système des montants de référence a été instauré afin de supprimer les différences de pratiques dans les procédures standard appliquées dans les hôpitaux pour certaines prestations courantes.

Dans son arrêt n° 60/2010, elle avait déjà souligné que le système tend à responsabiliser les acteurs des soins de santé, afin de réduire les dépenses de sécurité sociale et que, en prenant en compte un montant moyen des dépenses nationales, le législateur a préféré instaurer non pas un système a priori de forfait théorique mais un système a posteriori de moyenne, qui tend ainsi à se rapprocher au maximum de la pratique en se fondant sur les montants qui ont réellement été facturés aux patients. Cette réglementation vise tout autant à responsabiliser les personnes concernées.

Il s’ensuit, pour la Cour constitutionnelle, que la mesure en cause, en ce qu’elle prévoit un remboursement, ne revêt pas un caractère pénal. Et que celui-ci ne peut pas davantage être considéré comme une sanction pénale au sens de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme considérant qu’une mesure ne peut être considérée comme une sanction pénale, au sens de l’article précité, que si elle revêt un caractère pénal de par sa qualification en droit interne ou si la nature de l’infraction, à savoir sa portée générale et le caractère préventif et répressif de la sanction, montre qu’il s’agit d’une sanction pénale ou encore s’il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l’intéressé qu’elle a un caractère punitif et donc dissuasif.

L’arrêt sera donc reçu avec grand intérêt.


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