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Cotisations O.N.S.S. : responsabilité solidaire pour les dettes sociales du co-contractant

Commentaire de C. trav. Mons, 16 mars 2016, R.G. 2015/AM/69

Mis en ligne le mardi 28 juin 2016


Cour du travail de Mons, 16 mars 2016, R.G. 2015/AM/69

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 mars 2016, la Cour du travail de Mons rappelle que, pour éviter l’application de l’article 30bis, §§ 4 et 5, de la loi du 27 juin 1969, il y a lieu, au moment du paiement des factures réclamées par une entreprise pour l’exécution de certains travaux, de prouver la consultation du site O.N.S.S. et, partant, d’établir l’absence de dette au moment du paiement de celles-ci.

Les faits

Une boulangerie fait appel à une entreprise de travaux de rénovation intérieure (secteur la construction), travaux que celle-ci facturera à concurrence de 8.400 € environ. Elle tombe ensuite en faillite. L’O.N.S.S. produit au passif de celle-ci une déclaration de créance provisionnelle de l’ordre de 65.000 €. Il met ensuite le commettant en demeure de payer 35% de la facturation, en application de l’article 30bis, §§ 4 et 5, de la loi du 27 juin 1969. Des majorations d’un montant équivalent sont également réclamées. Il y a refus de payer et une procédure est introduite. Dans le cadre de celle-ci, l’O.N.S.S. limite sa demande à un montant de l’ordre de 5.000 €, ayant pu récupérer une partie de sa créance dans le cadre de la faillite.

Par jugement du 25 novembre 2014, il est fait droit à la demande de l’Office. Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

La partie appelante fait valoir en premier lieu une exception « obscuri libelli », qui a été rejetée par le tribunal. Sur le fond, elle considère avoir été trompée, affirmant avoir traité avec une autre société. Elle précise avoir vérifié sur le portail de l’O.N.S.S. la situation de celle-ci et ne pas y avoir vu qu’elle restait redevable de cotisations sociales. Elle n’a, dès lors, pas opéré de retenues sur les factures.

Quant à l’O.N.S.S., il considère que l’identité de la société à qui les travaux ont été confiés était bien connue et que c’est pour celle-ci que l’appelante doit établir avoir effectué la consultation de la banque de données de l’O.N.S.S.

La décision de la cour

La cour rejette, en premier lieu, l’exception « obscuri libelli », constatant que, si des erreurs ont été commises par l’O.N.S.S. dans l’acte introductif, il ne peut être conclu à la nullité de celui-ci s’il n’y a pas de préjudice. Tel est le cas en l’espèce.

En ce qui concerne le fond, la cour reprend les éléments concrets du dossier et constate qu’aucune confusion n’est possible quant à la société avec laquelle la partie appelante a contracté. Elle reprend ensuite la réglementation, étant l’article 30bis, § 4, de la loi du 27 juin 1969, qui impose au commettant qui effectue le paiement d’une partie ou de tous les travaux en cause, à un entrepreneur ayant, au moment du paiement, des dettes sociales, de retenir 35% du montant (hors TVA) et de le verser à l’O.N.S.S. Lorsque cette obligation est constatée, à partir de la banque de données de l’O.N.S.S. (qui est accessible au public), il doit en outre inviter son co-contractant à lui produire une attestation reprenant le total du montant de ses dettes, aux fins de calculer le montant à verser.

La cour renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2013 (Cass., 18 février 2013, n° S.12.0004.F) sur ces obligations. Il appartient à la société de prouver qu’elle a consulté la banque de données de l’O.N.S.S. et, en conséquence, qu’il n’y avait pas de dette vis-à-vis de l’Office.

Cette preuve n’est pas apportée en l’espèce, la société s’obstinant à viser, dans ses pièces, l’entreprise avec laquelle elle considère qu’il y a eu une confusion. La cour rejette ces éléments et rappelle d’ailleurs que la consultation (qui va impliquer ou non l’obligation de retenue) ne doit pas intervenir au moment de la conclusion du contrat, mais lors de l’acquittement des factures.

L’O.N.S.S. apporte, pour sa part, la preuve de la situation de la société à son égard à ce moment.

La cour constatant qu’il est établi que les retenues n’ont pas été effectuées au moment du paiement, elle conclut au fondement de la demande de l’Office.

Reste cependant à examiner la question de la majoration, dans la mesure où l’article 30bis prévoit en son § 5 que, au cas où l’obligation de retenue n’a pas été correctement exécutée, le commettant est redevable vis-à-vis de l’O.N.S.S. d’une majoration égale à ce montant, en sus.

Sur cette question, la cour rappelle qu’elle ne peut accueillir une demande de réduction de majoration. Selon le texte de la loi, le Roi peut déterminer sous quelles conditions la majoration peut être réduite. Le juge ne le peut cependant pas.

Le principe de la séparation des pouvoirs ne fait pas obstacle au contrôle judiciaire des actes administratifs, dans la mesure où les juridictions n’excèdent pas les limites de leurs compétences (renvoyant ici à un arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2011, n° C.10.0625.F). Les cours et tribunaux n’ont cependant pas de pouvoir de substitution, pour ce qui est, à tout le moins, des aspects relevant de la libre appréciation de l’administration. Le contrôle judiciaire est dès lors un contrôle de légalité externe et de légalité interne des actes administratifs, sans pouvoir porter atteinte au pouvoir discrétionnaire des autorités.

La cour rappelle encore la distinction entre le pouvoir discrétionnaire et les compétences liées. Si le législateur a conféré à l’administration une certaine liberté dans l’exercice de ses compétences, lui permettant de choisir la solution la plus adéquate dans les limites qui auront été définies, le contrôle du juge sur la décision administrative portera sur la justification de celle-ci en droit et en fait, ainsi que sur le respect des dispositions légales et les principes généraux qu’elle doit respecter, dont le principe de proportionnalité. Par contre, s’il y a compétence liée, c’est-à-dire lorsque la règle détermine le contenu ou l’objet de la décision que l’administration doit prendre, c’est-à-dire lorsque le contenu est imposé par la loi, le juge va vérifier si celle-ci a bien été appliquée.

Elle renvoie encore à la doctrine (H. MORMONT, « Le contrôle judiciaire des décisions de l’ONSS en matière de renonciation aux sanctions civiles », La sécurité sociale des travailleurs salariés – assujettissement, cotisations, sanctions, Larcier, 2010, p. 449 et suivantes) pour définir l’étendue du pouvoir judiciaire : celle-ci est déterminée par la nature de celui de l’administration. Seul en l’espèce l’O.N.S.S. peut accorder la réduction ou l’exonération de la majoration. La compétence est ici discrétionnaire et a été confiée au comité de gestion.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle très utilement deux points de droit importants, en ce qui concerne la matière. En premier lieu, il appartient à celui qui fait appel à une société aux fins d’effectuer les travaux repris à l’arrêté royal du 29 décembre 1992 (article 20, § 2) de prouver qu’il a consulté la banque de données de l’O.N.S.S. et, ainsi, de prouver que son co-contractant n’avait pas de dette vis-à-vis de l’Office au moment où lui-même lui a payé les factures réclamées pour les travaux en cause.

Par ailleurs, la loi prévoit, en cas d’absence de retenue, une majoration équivalente au montant à payer, et ce aux fins de réduire le poids de la solidarité prévue par la loi (selon les termes de l’arrêt). La majoration peut faire l’objet d’une réduction, celle-ci ne pouvant cependant intervenir qu’au niveau de l’administration. Il s’agit d’une compétence discrétionnaire, les juridictions ne pouvant exercer sur celle-ci qu’un contrôle de légalité interne et externe.


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