Terralaboris asbl

Caractère non subordonné de prestations de nettoyage effectuées dans le cadre d’une sous-traitance

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 octobre 2007, R.G. 44.050

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 24 octobre 2007, R.G. 44.050

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 24 octobre 2007, la cour du travail de Bruxelles tranche une contestation quant à la qualification (contrat de travail ou contrat d’entreprise) de prestations de nettoyage effectuées par un travailleur pour le compte d’une entreprise.

Retenant l’existence d’indices neutres et d’indices allant dans le sens de l’indépendance, la cour du travail refuse la requalification du contrat d’entreprise en contrat de travail. Elle se prononce par ailleurs sur deux points supplémentaires, à savoir la possibilité pour l’ONSS d’obtenir des cotisations de sécurité sociale sur un avantage en nature accordé à une personne qui n’est pas encore membre du personnel et la qualification de remboursement de frais forfaitaires.

Les faits

Une société S., déployant une activité dans le secteur du nettoyage (nettoyage de vitres et nettoyage de locaux), emploie du personnel salarié pour la réalisation de ses chantiers. Elle fait également appel à des personnes qualifiées de « sous-traitants indépendants », avec certains desquels elle a conclu des contrats écrits.

Dans le cadre de son activité de nettoyage de locaux, le matériel est mis à disposition des travailleurs par la société et reste sur place, chez les clients.

La périodicité de l’entretien des locaux est fixée avec le client et est contrôlée soit par téléphone auprès du client, soit par visites sur le chantier.

L’ONSS pratique une enquête au sein de l’entreprise en août et octobre 1996, enquête suite à laquelle il conclut à l’assujettissement d’office d’un travailleur.

Dans le cadre de l’enquête effectuée, l’ONSS opère également d’autres rectifications, à savoir pour une travailleuse C., l’assujettissement de remboursements de frais effectués sans justificatifs (frais forfaitaires). La rectification porte également sur un remboursement de cours de néerlandais pour une autre travailleuse (X), s’agissant, d’après l’ONEm, d’un avantage en nature donnant lieu à perception de cotisations de sécurité sociale.

Vu l’absence de paiement par la société, l’ONSS cite celle-ci par trois citations successives en janvier 1998, juin et octobre 1999.

Les actions de l’ONSS sont jointes.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail ne fait droit à la demande de l’ONSS que en ce qu’elle vise la perception de cotisations de sécurité sociale sur les montants perçus par la travailleuse C. au titre de remboursement de frais.

En ce qui concerne la requalification du contrat d’entreprise, le tribunal déboute l’ONSS de sa demande, estimant que les indices invoqués sont soit neutres, soit révélateurs d’une indépendance juridique.

L’ONSS interjette appel de ce jugement tandis que la société, par la voie d’un appel incident, sollicite la réformation du jugement en ce qu’il a estimé que les montants alloués au titre de remboursement forfaitaire de frais doivent donner lieu à la perception de cotisations.

La décision de la Cour

En ce qui concerne la requalification du contrat d’entreprise, la cour du travail confirme le jugement déféré à sa censure.
La cour note en premier lieu que les parties ont donné à leurs conventions une qualification, étant le contrat d’entreprise, qualification dont il doit être tenu compte même si aucun écrit n’a été établi. La cour rappelle ensuite que, vu l’évolution des méthodes de travail, les conventions d’entreprise et de travail se sont nettement rapprochées. Pour la cour, les parties peuvent situer leur relation contractuelle dans un cadre proche du contrat de travail, pour autant qu’il soit distinct de celui-ci sur la question de la subordination.

Eu égard aux similitudes qui peuvent être constatées dans les deux figures, la cour précise la distinction existant entre les deux mécanismes, étant :

  • en ce qui concerne le contrat de travail, il est caractérisé par une autorité juridique, qui consiste dans le droit pour l’employeur de donner des ordres et de contrôler l’exécution de ceux-ci ainsi que l’obligation pour le travailleur de se conformer aux ordres et instructions ;
  • en ce qui concerne le contrat d’entreprise, il est caractérisé par une subordination économique, définie comme la dépendance matérielle de la personne qui exerce le travail à l’égard de celle qui le fournit. Pour la cour, cette dépendance économique implique nécessairement des directives données au travailleur pour l’exercice d’un travail déterminé mais également un contrôle du respect des directives données.

La cour rappelle encore que le secteur d’activité ne peut constituer une preuve de l’existence d’un lien de subordination. Elle estime en conséquence que l’activité d’entretien peut parfaitement être exercée dans l’une ou l’autre des figures juridiques énoncées.

Passant ensuite en revue les indices invoqués par l’ONSS, la Cour du travail écarte certains indices, qualifiés de neutres, étant le mode de rémunération (en l’espèce forfaitaire) ainsi que l’absence de matériel propre dans le chef de l’exécutant. Quant à l’indice lié au fait que le travailleur aurait eu un écolage, la cour l’écarte dès lors que la preuve que cet « écolage » ait été dispensé par l’employeur lui-même n’est pas rapportée. Se fondant par ailleurs sur le type d’activité exercée, la cour estime qu’il ne nécessite pas une formation particulière.

La cour relève encore les indices relevés par le premier juge, qui révèlent l’existence d’une indépendance dans les rapports entre les parties contractantes. La cour se fonde à cet égard sur la possibilité de travailler pour d’autres donneurs d’ordre, l’importance du chiffre d’affaires (au-delà de 55%) provenant des autres donneurs d’ordre, la possibilité de refuser le travail, l’absence de volume de travail garanti, la liberté dans l’organisation du travail ainsi que l’immatriculation à la TVA et le paiement de cotisations de sécurité sociale en tant qu’indépendant.

Sur ces bases, elle confirme la décision prononcée par le premier juge.

Quant au deuxième point litigieux, à savoir le paiement de cotisations de sécurité sociale sur un prétendu avantage en nature (cours de néerlandais) octroyé à une travailleuse, la cour confirme le jugement dès lors que les cours de néerlandais payés l’ont été à un moment où la travailleuse n’était pas encore au service de l’employeur. Enfin, en ce qui concerne le troisième point, à savoir la débition des cotisations de sécurité sociale sur les frais forfaitaires payés par l’employeur à la travailleuse C., la cour réforme le jugement. Elle rappelle à cet égard que la preuve repose sur l’ONSS, tandis que l’essence même du forfait est de couvrir des frais dont la preuve ne peut être rapportée facilement par le travailleur. Examinant la réalité de l’exposition de frais professionnels dans le chef de la travailleuse C. (fréquents déplacements en voiture en vue de la surveillance du travail sur chantier) couplée au caractère estimé non excessif du montant des frais (130 Bef / jour ouvrable), la cour estime que les frais en question ne constituent pas une rémunération déguisée.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision réside essentiellement dans les développements réservés par la cour du travail de Bruxelles à la question de la requalification des contrats d’entreprise en contrat de travail.

Dans cet arrêt, la cour admet que la figure juridique du contrat d’entreprise et du contrat de travail tend à se rapprocher et, pointant les différences existant encore entre ceux-ci, la réduit à la question de l’autorité patronale, présente dans la figure du contrat de travail mais absente, à tout le moins partiellement, dans la figure du contrat d’entreprise.

Il faut relever que les données de l’espèce n’étaient pas très propices à une requalification, le travailleur ayant également d’autres donneurs d’ordre, qui contribuaient, pour plus de moitié, à la réalisation de son chiffre d’affaires.

La décision présente également un autre intérêt, en ses développements sur la question du caractère rémunératoire des remboursements de frais opérés par l’employeur.


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