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Délai de prescription d’une action contre le cessionnaire en cas de transfert d’entreprise pour des dettes antérieures à celui-ci

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 novembre 2015, R.G. 2014/AB/307

Mis en ligne le lundi 8 août 2016


Cour du travail de Bruxelles, 2 novembre 2015, R.G. 2014/AB/307

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 novembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne les effets du transfert d’entreprise pour les créances antérieures à celui-ci. Les obligations contractuelles sont incluses dans les créances transférées, en application des articles 7 et 8 de la CCT, mais ne le sont pas des demandes en dommages et intérêts ayant un fondement délictuel.

Les faits

Une ouvrière travaille dans une société de nettoyage pendant une période de 2 mois, de janvier à mars 2009 pour une société A. Elle est reprise le dernier jour de prestation, et ce pour une durée de 10 mois par une société B.

Elle introduira quelques mois plus tard une procédure en justice en paiement d’arriérés de rémunération et primes diverses. La société A est alors déclarée en faillite. La créance de l’intéressée est acceptée par le curateur, qui sollicite l’intervention du Fonds de Fermeture. Celui-ci refuse son intervention au motif qu’une bonne partie du personnel de la société A a été repris par la société B et que c’est dès lors à cette dernière de prendre en charge les indemnités réclamées, et ce conformément à l’article 8 de la CCT n° 32bis du 7 juin 1985 concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur suite à un transfert d’entreprise. L’ouvrière dépose alors une requête contre la société B, demandant à titre principal le paiement des indemnités en cause et, à titre subsidiaire, le paiement de dommages et intérêts correspondants.

Le Tribunal du travail de Louvain rend son jugement le 17 janvier 2014, considérant que la demande est prescrite en ce qui concerne les obligations contractuelles et non fondée sur le fondement délictuel. Il n’y a pas eu, pour le tribunal, de transfert d’entreprise conventionnel entre les deux sociétés.

La demande en appel

La travailleuse interjette appel du jugement. Elle demande à titre principal des dommages et intérêts correspondant aux primes et autres arriérés postulés. A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour retiendrait le transfert conventionnel d’entreprise, mais où aucun délit ne serait établi à charge de la société B, elle demande qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de Justice.

Le Fonds de Fermeture est intervenu volontairement à la cause, demandant qu’il soit dit pour droit qu’il y avait transfert conventionnel d’entreprise et qu’il ne devait dès lors pas intervenir en faveur de la travailleuse, vu qu’elle était passée au service de la société B.

La décision de la cour

La cour reprend des principes importants sur la notion de transfert d’entreprise. Elle rappelle les dispositions applicables, étant la convention collective de travail n° 32bis, qui est la transposition de la Directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, ainsi que le célèbre arrêt TEMCO (C.J.U.E., 24 janvier 2002, Aff. n° C-51/00).

La cour constate que la situation de l’intéressée est tout à fait comparable à celle tranchée dans cette affaire et qu’il y a dès lors eu changement d’employeur suite à un transfert d’une partie de l’entreprise de la société A à la société B. Ce transfert est conventionnel. A la suite de celui-ci, la société A n’occupait plus de personnel et n’avait plus d’activité, celle-ci consistant en l’entretien de magasins de grande surface avec un groupe organisé de travailleurs et des moyens correspondants, l’ensemble ayant été transféré à la société B.

Cette situation étant précisée, la cour examine les arriérés dont la société A était redevable au moment du transfert. En vertu des articles 7 et 8 de la CCT, les indemnités dues à la travailleuse en vertu du contrat pouvaient être réclamées à la société B, demande cependant soumise au délai de prescription d’un an de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978. Pour celle-ci, le cédant et le cessionnaire sont tenus in solidum en vertu de l’article 8. Vu le type de responsabilité mis à leur charge, l’article 1206 du Code civil, selon lequel les poursuites faites contre l’un des débiteurs solidaires interrompent la prescription à l’égard de tous n’est dès lors pas applicable. Les demandes formées contre la société A ont interrompu la prescription vis-à-vis de celle-ci mais non vis-à-vis de la société B. L’intéressée ayant introduit son action plus de 4 ans après la fin des relations contractuelles, elle est prescrite.

Celle-ci fait cependant valoir qu’en ne payant pas les montants en cause, la société A s’est rendue coupable d’une infraction sur la base de l’article 42 de la loi sur la protection de la rémunération (non-paiement de primes, ainsi que d’indemnités pour vêtements de travail rendues obligatoires dans la convention collective de secteur).

La cour relève qu’une telle action bénéficie d’un délai de prescription de 5 ans. Elle ne peut cependant être mue vis-à-vis de la société B, qui ne peut être considérée responsable de cette infraction. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 1997 (Cass., 20 octobre 1997, n° S.97.0006.N), selon lequel l’obligation de payer des arriérés de rémunération constitue une obligation du cédant résultant du contrat de travail et est visée par l’article 7 de la CCT, mais que ne l’est pas celle de payer des dommages et intérêts réclamés sur la base d’une infraction qualifiée de « non-paiement de la rémunération due », dès lors que celle-ci ne résulte pas d’un contrat de travail ou d’une relation de travail, mais d’une infraction.

La cour souligne qu’il ne découle pas des termes de la CCT que la société B aurait commis une infraction par le fait de ne pas avoir payé spontanément les arriérés, et ce après le transfert d’entreprise, pour des prestations relatives à la période antérieure au transfert. Elle renvoie encore à un autre arrêt de la Cour de cassation (Cass., 17 février 1997, n° S.96.0035.F), qui a considéré qu’en soi, le transfert de l’obligation de payer une indemnité compensatoire de préavis en vertu de la CCT n° 32bis n’a pas pour effet d’ériger l’inexécution de cette obligation en infraction à la convention collective de travail et que l’action en paiement de cette indemnité dirigée contre le cessionnaire n’est pas régie par le délai de prescription de l’action civile découlant d’une infraction. La Cour de cassation y avait considéré que la cour du travail ne pouvait dès lors appliquer à l’action le délai de prescription quinquennale.

Sur la question à la Cour de Justice, fondée sur les articles 3, 4 et 5 de la Directive 2001/23/CE, la cour n’y fait pas droit, répondant que le droit belge a correctement transposé la norme européenne. Celle-ci ne contient en effet en cas de transfert d’entreprise aucune obligation d’indemnisation sur la base d’un délit.

Le fait d’avoir érigé certains comportements (non-paiement de sommes sanctionné pénalement) en infractions relève du droit interne et c’est cette faculté qui permet au travailleur de se retourner, même après le transfert, contre le cédant, sur la base d’un élément infractionnel. La cour souligne que ce délit peut être imputé non seulement à l’employeur, mais également à ses préposés et mandataires.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle un point tout à fait particulier du mécanisme du transfert d’entreprise, à l’occasion d’une affaire où le délai de prescription annal n’a pas été respecté, mais où, dans le cadre du délai quinquennal, une action est introduite contre le cessionnaire (et non contre le cédant), s’agissant d’arriérés antérieurs au transfert.

La cour rappelle que le délit ne peut passer du cédant au cessionnaire, dans le cadre du mécanisme légal, mais que, par contre, le droit belge autorise le travailleur à introduire une action contre le cédant, après le transfert d’entreprise, en cas d’infraction. Il bénéficie, pour ce, du délai de prescription de 5 ans.


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