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Faut-il payer des cotisations de sécurité sociale sur un « budget saisonnier » alloué au travailleur pour l’achat de vêtements ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 novembre 2015, R.G. 2014/AB/924

Mis en ligne le mardi 9 août 2016


Cour du travail de Bruxelles, 12 novembre 2015, R.G. 2014/AB/924

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 novembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les critères applicables pour qu’il y ait avantage en nature soumis aux cotisations de sécurité sociale, et ce à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation dans son arrêt du 8 décembre 2014.

Les faits

Un contrôle social fait apparaître qu’une société de vente de vêtements aux particuliers met à disposition de ses vendeuses un budget aux fins d’acheter dans ses collections des vêtements à porter pendant le travail. L’autorisation est donnée, en sus, de les porter en dehors des heures de travail et de les conserver après la saison. Pour les vendeuses à temps plein, le budget est de 2.600 € par saison (saison d’été ou saison d’hiver). En cas de prestations à temps partiel, le budget est réduit en conséquence.

Il fut considéré par l’O.N.S.S. qu’il y avait avantage en nature, et ce à raison de 70% du montant. Une demande de régularisation de l’ordre de 20.000 € fut adressée et, tout en contestant, la société effectua le paiement. Elle demanda, parallèlement, dans le cadre d’une action qu’elle introduisit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, le remboursement de cette somme, majorée d’un intérêt légal au taux de 7%.

Par jugement du 5 septembre 2014, la demande fut déclarée fondée en son principe, le Tribunal estimant qu’aucune cotisation ne devait être calculée sur ces montants. Le Tribunal s’écarta de la position de la partie demanderesse en ce qui concerne le taux de l’intérêt, pour lequel il retint le taux légal dans les affaires civiles et commerciales.

L’Office interjette appel et, pour la question des intérêts, la société fait de même.

Position des parties devant la cour

Pour l’Office, il ne peut s’agir de vêtements de travail tels que visés à l’article 19, § 2, 5°, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. Il faut en effet entendre par vêtements de travail exclus de la notion de rémunération ceux qui sont exigés par l’exercice de la profession, ce qui n’est pas le cas dès lors que ces vêtements peuvent être portés dans la vie privée. Il doit s’agir de vêtements spéciaux et non de tenues de ville. L’Office considère qu’en l’espèce, est passible de cotisations de sécurité sociale la réduction de prix dont le personnel bénéficie à l’achat des vêtements fabriqués ou vendus par l’employeur.

Pour la société, par contre, la distinction faite par l’Office entre vêtements de travail et vêtements de ville ajoute à la loi. En l’espèce, il s’agit d’un magasin de détail de vente d’une marque de luxe, et elle trouve normal que l’employeur exige du personnel de porter les vêtements de cette marque pendant le temps de travail et, également, d’autoriser qu’ils soient conservés par les vendeuses, une fois la saison terminée. La société y voit en sus une manière d’intéresser la clientèle à ses produits. Subsidiairement, en ce qui concerne le montant susceptible de constituer un avantage en nature, elle estime que l’on ne peut nullement se fonder sur le chiffre de 70% retenu par l’Office, l’avantage étant de maximum 20%, tenant compte du fait que les vêtements auront été portés intensivement pendant la saison et qu’à l’issue de celle-ci, ils auront perdu pratiquement toute leur valeur.

La décision de la cour

Après la reprise des dispositions légale (article 14, alinéa 1er, de la loi du 27 juin 1969) et réglementaire (article 19, § 2, 5°, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969), la cour rappelle les règles pour que le remboursement de frais à charge de l’employeur aient pour le travailleur un caractère rémunératoire. L’employeur doit contribuer à l’administration de la preuve et établir qu’il s’agissait de frais qu’il était tenu de prendre en charge. Depuis la loi du 23 décembre 2009, d’ailleurs, la loi a été modifiée à cet égard. La cour relève cependant que les faits sont antérieurs et que cette modification ne trouve pas à s’appliquer.

Le débat se résume dès lors à la question de savoir si des « vêtements de ville » ou des « vêtements de travail », mais qui peuvent être portés pendant la vie privée, ne sont pas susceptibles de tomber dans le champ d’application de l’article 9, § 2, 5°.

Pour la cour, dans cette hypothèse, l’avantage en nature existe mais il est partiel. Il faut en effet faire une distinction entre l’usage professionnel et l’usage privé. Elle renvoie pour ce à la doctrine du Professeur VAN EECKHOUTE (W. VAN EECKHOUTE, « Begrip loon in de bijdrageregeling van de sociale zekerheid voor werknemers, algemene beginselen », in R. JANVIER e.a. Het loonbegrip, Die keure, 2005, p. 116).

En l’espèce, il n’est pas contesté qu’il s’agissait de vêtements de luxe et que les vendeuses avaient un budget de 2.600 € par saison, qui devait être affecté à des achats de vêtements à porter pendant le travail, mais qui ne devaient pas être payés. Le montant de 2.600 € est le prix de vente, l’arrêt soulignant que le prix d’achat était de l’ordre de 750 €.

La cour retient que pour cette somme l’on pouvait acheter deux pantalons, quatre tops/tee-shirts/chemisiers et une jupe, soit au total sept pièces. La cour ne cache pas son étonnement quant à ce. Elle souligne cependant que l’Office n’a pas mené d’enquête sur cet aspect des choses.

Elle conclut qu’il y a avantage en nature, mais partiellement, soulignant qu’il n’est pas exigé que ces vêtements soient effectivement portés en dehors des heures de travail. Mais ils peuvent l’être et cette circonstance suffit. La fixation de la valeur de l’usage privé est difficile, eu égard à l’ensemble de ces éléments, de telle sorte que l’on ne peut se fonder uniquement sur le prix de vente. C’est donc un montant inférieur que la cour retient, étant de 20%.

Enfin, sur l’appel incident, la cour doit trancher entre le taux d’intérêt à appliquer sur les cotisations payées mais dont le remboursement est demandé, et ce vu leur caractère indu. La demande de remboursement n’est pas régie par la loi du 27 juin 1969, mais par l’article 1235 du Code civil. Il ne s’agit dès lors pas d’une affaire « civile » ou « sociale ». La cour souligne encore que fixer à 7% le taux d’intérêt sur le remboursement de l’indu, alors que le taux obtenu par l’institution de sécurité sociale en cas de retard de paiement est différent, n’a certainement pas été le souhait du législateur et qu’en outre, cette distinction pourrait être inconstitutionnelle.

Intérêt de la décision

Le type d’avantage en nature visé dans le cas d’espèce est certes particulier. La cour du travail a néanmoins appliqué fidèlement les principes rappelés par la Cour de cassation dans son arrêt du 8 décembre 2014 (S.13.0099.N – S.13.0126.N). Elle a précisé, dans cette décision, à propos de l’usage personnel fait d’un ordinateur ou d’une connexion internet, qu’une telle utilisation de ces facilités mises gratuitement à disposition du travailleur (ainsi que l’abonnement internet) fait l’objet d’une évaluation fiscale. Ainsi, le PC mis gratuitement à disposition “vaut“180 € par an, la connexion internet et l’abonnement, 60 €.

Il en découle, pour la Cour suprême, que, lorsque l’employeur met gratuitement à la disposition du travailleur un ordinateur à utiliser à des fins personnelles, c’est-à-dire à utiliser chez soi librement, celui-ci est censé jouir d‘un avantage en nature pour la valeur du forfait prévu au CIR (article 18, § 3, 10° de l’arrêté royal d’exécution du 27 août 1993).

En l’espèce, aucune évaluation fiscale n’existait et la cour s’est attachée à rechercher la partie de l’avantage censée représenter une économie, voire une gratuité pour les intéressées.

L’on peut également signaler que, dans un autre arrêt du même jour (C. trav. Bruxelles, 12 novembre 2015, R.G., 2014/AB/925), la même cour a considéré que peut être considéré comme frais à charge de l’employeur (non passible de cotisations de sécurité sociale) un montant (raisonnablement fixé) attribué à certaines catégories de travailleurs (d’un niveau de compétences élevé) au titre de frais relatifs à un bureau au domicile dans la mesure où la nature des fonctions et leurs exigences de performance peuvent rendre indispensables des prestations au domicile et dans un délai très court. Dans cette affaire existait un ‘ruling’ fiscal, dont l’O.N.S.S. faisait valoir qu’il ne lui était pas opposable. La cour a admis que de telles prestations étaient inhérentes à la fonction et pouvaient être requises par l’employeur.


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