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Admissibilité aux allocations de chômage : examen d’une discrimination

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 décembre 2015, R.G. 2014/AB/59

Mis en ligne le mardi 9 août 2016


Cour du travail de Bruxelles, 10 décembre 2015, R.G. 2014/AB/59

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 décembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles examine à l’aune du principe d’égalité les conditions d’admissibilité aux allocations de chômage, eu égard à la condition de stage, rappelant que peu importent pour le calcul de celle-ci les conditions spécifiques de mise à l’emploi des demandeurs d’allocations.

Les faits

Un agent contractuel subventionné est engagé par une A.S.B.L. en novembre 2008. Ce contrat se termine suite à un licenciement avec préavis à prester, fin février 2010, moment où il est admis aux allocations de chômage. L’ONEm considère que la condition de stage n’est pas remplie, au motif de l’absence des 312 journées de travail requises, dans les 18 mois précédant la demande d’allocations. La décision se fonde également sur le fait que l’on ne peut tenir compte des prestations effectuées dans le cadre d’un programme de remise au travail, dans la mesure où il n’y a pas eu de reprise à temps plein pendant une période ininterrompue d’au moins 24 mois. L’ONEm fait ici application de l’article 37, § 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Suite au recours introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, celui-ci rend un jugement par lequel il fait droit à la demande, admettant que, dans le stage, peuvent être prises en compte les journées de travail (et assimilées) de la période d’occupation au service de l’A.S.B.L. Le tribunal écarte l’application de l’article 37, § 3, de l’arrêté royal, au motif de discrimination en défaveur des personnes engagées en qualité de travailleurs contractuels subventionnés.

L’ONEm interjette appel de cette décision.

Position des parties devant la cour

Pour l’ONEm, l’article 37, § 3, qui exige, dans le cas des personnes engagées dans le cadre de programmes de remise au travail en qualité d’agents contractuels subventionnés, une occupation interrompue de 24 mois ne peut entraîner une violation du principe d’égalité.

Il reprend la volonté du législateur, lorsque ce régime a été mis en place, étant qu’il s’est agi de créer des emplois dans le secteur public ou non-marchand, emplois fortement subsidiés par l’Etat et dans lesquels il y a dispense de paiement de cotisations de sécurité sociale.

L’ONEm insiste sur la circonstance qu’il n’y a pas, pour ce type d’occupation, de contribution au financement de la sécurité sociale et que les conditions d’admissibilité ne peuvent dès lors être identiques à celles d’un emploi ordinaire. En conséquence, l’exigence d’une période d’occupation plus longue est la légitime contrepartie des conditions dans lesquelles ce type d’occupation est autorisé. A supposer, pour l’ONEm, que les travailleurs occupés normalement et ceux mis au travail dans ce type de programmes de remise au travail constituent des catégories comparables, la différence de traitement est justifiée raisonnablement, chacun des régimes devant être apprécié dans son ensemble.

L’ONEm renvoie également à l’arrêté royal du 23 juillet 2012, qui a instauré la dégressivité renforcée des allocations de chômage. Ces nouvelles dispositions ont aligné les règles d’admissibilité de ce type de demandeurs d’allocations sur les conditions générales. L’ONEm plaide cependant qu’il faut examiner celles en vigueur au moment où la demande d’allocations a été faite, soit, en l’espèce, avant cette modification.

Quant à l’intéressé, il demande la confirmation du jugement, considérant que, si l’employeur est dispensé du paiement des cotisations patronales, cet avantage n’est pas de nature à justifier la différence de traitement au niveau de l’admissibilité aux allocations de chômage. La mesure n’est pour lui pas pertinente et n’est pas proportionnelle au but poursuivi. Il se réfère également aux mises au travail dans le cadre de la loi du 8 juillet 1976 sur les C.P.A.S., pour lesquels est appliqué le régime ordinaire du stage pour l’admissibilité aux allocations.

La décision de la cour

La cour reprend les dispositions applicables étant, essentiellement, l’article 37, § 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, disposition critiquée, qui renvoie à l’article 116, § 1er, alinéa 2, pour les conditions à remplir, étant celles de prestations pendant une période ininterrompue d’au moins 24 mois.

La cour constate, ensuite, que les dispositions spécifiques relatives aux programmes de remise au travail (TCT, occupation dans le cadre du Fonds budgétaire interdépartemental de promotion de l’emploi, programme de promotion de l’emploi dans le secteur non-marchand en Région flamande, programme PRMI, occupation comme agent contractuel subventionné, occupation dans le cadre d’un programme de transition professionnelle, ou encore occupation dans un poste de travail reconnu) ont été abrogées à partir du 1er novembre 2012, l’arrêté royal du 23 juillet 2012 ayant d’ailleurs également abrogé l’article 37, § 3.

La cour se livre, ensuite, à une longue et minutieuse analyse des conditions d’engagement, dans la mesure où l’article 93 de la loi-programme du 30 décembre 1988 vise « certains pouvoirs publics ». Ceux admis comme tels par le texte bénéficient dès lors de primes dans les limites des crédits budgétaires. En Région bruxelloise, l’arrêté du Gouvernement du 28 novembre 2002 a exécuté la mesure et prévoit notamment l’occupation dans le secteur non-marchand. Une prime est accordée à l’employeur, d’un montant annuel de l’ordre de 5.000 €, celle-ci pouvant être augmentée.

En ce qui concerne la différence de traitement au niveau des conditions d’admissibilité aux allocations de chômage, la cour s’écarte de la décision du tribunal en ce qui concerne le caractère discriminatoire de la mesure issu de la distinction faite entre les types de travailleurs. La cour admet que l’exigence d’une période d’occupation plus longue est une contrepartie au fait qu’il s’agit d’un emploi subventionné et pour lequel il n’y a pas de cotisations patronales de sécurité sociale.

Cependant, elle relève, avec le premier juge, qu’il y a d’autres catégories de travailleurs se trouvant dans une situation comparable, c’est-à-dire occupés dans le cadre de programmes de remise au travail. Or, ceux-ci sont traités plus favorablement. Il s’agit de ceux bénéficiant de toute une série de mesures dans le secteur public : convention de premier emploi, emploi des jeunes dans le secteur non-marchand, bonus de démarrage et de stage, régime d’aide annuelle visant à suppléer des postes de travail en Région wallonne, etc. Il s’agit également des bénéficiaires de mesures dans le secteur privé : intérim d’insertion, titres-services, plan Activa, etc. La cour souligne également que le tribunal s’est référé à l’article 60 de la loi du 8 juillet 1976, hypothèse dans laquelle les emplois sont totalement « subsidiés » par le secteur public, aucune cotisation de sécurité sociale n’étant à charge des C.P.A.S.

Elle examine dès lors les conditions spécifiques mises par les divers textes aux programmes de promotion à l’emploi ou de remise à l’emploi. Lors de l’élaboration de l’arrêté royal du 23 juillet 2012, la différence de traitement est manifestement apparue, ce qui a amené à l’abrogation de l’article 37, § 3. L’absence de justification de la distinction apparaît également dans la position de l’ONEm, qui a relevé l’évolution intervenue, évolution en vertu de laquelle les raisons qui justifiaient à l’origine ce traitement différencié avaient en partie disparu, puisque certains travailleurs du secteur privé bénéficiaient désormais d’un régime comparable.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, très doctrinal, sur la question, fait une analyse d’ensemble de la situation des demandeurs d’emploi sur le plan de l’admissibilité, eu égard à des types spécifiques d’occupation, dans le cadre des mesures prises dans le secteur public et dans le secteur privé non-marchand.

Il rappelle la justification mise à l’abrogation de la disposition en cause, par l’arrêté royal du 23 juillet 2012.

L’espèce était, comme on l’a compris, antérieure à cette période, le droit aux allocations de chômage ayant été demandé le 1er mars 2010.

L’enseignement de l’arrêt est néanmoins important sur la question de l’égalité dans les conditions d’admissibilité aux allocations de chômage eu égard à la condition de stage, la cour rappelant que peu importent les conditions spécifiques mises à l’emploi du travailleur amené ultérieurement à solliciter le bénéfice des allocations.


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