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Emploi des langues : notion de contrat de travail à caractère transfrontalier

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 janvier 2016, R.G. 2014/AB/794

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 22 janvier 2016, R.G. 2014/AB/794

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 janvier 2016, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à l’arrêt LAS de la Cour de Justice de l’Union européenne du 16 avril 2013, sur la non-application du décret sur l’emploi des langues (décret du 19 juillet 1973) à un contrat de travail à caractère transfrontalier, notion dont elle dégage certains critères.

Les faits

Un contrat de travail écrit lie un employé à une société faisant partie d’un groupe international. Les fonctions contractuelles sont visées comme étant celles de « customer support analyst ».

L’engagement date de l’année 2003.

En 2008, une convention collective d’entreprise est signée, relative à la stabilité d’emploi. Elle prévoit qu’en cas de licenciement pour raisons économiques, des avantages particuliers doivent être pris en compte, étant que l’indemnité compensatoire de préavis suivra la « formule Claeys 2008 » avec un minimum de 7 mois, que des indemnités complémentaires pourront être calculées en fonction de l’ancienneté, etc.

Sont exclues du bénéfice de ces dispositions les hypothèses de licenciement pour motif grave ou celui intervenu pour un « disfonctionnement » individuel inhérent à la personne du travailleur.

En l’espèce, le travailleur en cause est licencié en 2010 et perçoit une indemnité compensatoire de 8 mois.

Celui-ci conteste la décision intervenue, au motif qu’elle aurait été prise sur la base d’une évaluation unilatérale et subjective de ses performances. L’évaluation faite est intervenue eu égard à des résultats qui n’étaient pas atteignables, et l’intéressé ajoute qu’il n’a pas été remplacé, son travail ayant été redistribué. Il considère dès lors que son licenciement est intervenu pour raisons économiques.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles aux fins d’obtenir le paiement des avantages visés dans la convention collective.

Par jugement du 22 mars 2013, le Tribunal du travail de Bruxelles signale qu’un arrêt devait être rendu par la Cour de Justice sur la question de l’application du décret sur l’emploi des langues (eu égard aux éléments du dossier concernant la langue utilisée dans les pièces produites) et renvoie l’affaire au rôle. Il statue par jugement du 16 janvier 2014 et rejette la demande.

Appel est interjeté.

La question posée, telle que résumée par la cour, est de savoir si le travailleur a été licencié eu égard à un disfonctionnement individuel inhérent à sa personne ou si la rupture est intervenue pour des motifs économiques.

Le premier de ces deux points est examiné à la lumière du décret du 19 juillet 1973 de la Communauté flamande sur l’emploi des langues dans les relations sociales. En effet, l’intéressé a contesté que puissent être utilisés des documents rédigés en anglais, étant des « worksheets » relatifs à ses performances, ainsi que des e-mails.

Pour le travailleur, il faut, en application du décret sur l’emploi des langues, conclure à la nullité de ces documents, tandis que l’employeur demande qu’il soit tenu compte de l’arrêt de la Cour de Justice intervenu le 16 avril 2013 en cas de contrat de travail ayant un caractère transfrontalier.

La décision de la cour

Après avoir rappelé les principes dégagés par la Cour de cassation en ce qui concerne le champ d’application du décret, ainsi que l’absence d’effet juridique (nullité) des documents rédigés en contravention aux règles qu’il contient, la cour reprend l’enseignement de la Cour de Justice dans son arrêt du 16 avril 2013 (C.J.U.E., 16 avril 23013, n° C-202/11, LAS c/ PSA ANTWERP). Pour la Cour de Justice, l’article 45 T.F.U.E. s’oppose à une réglementation d’une entité fédérée d’un Etat membre tel que le décret sur l’emploi des langues, qui impose à tout employeur ayant son siège d’exploitation sur le territoire de cette entité de rédiger les contrats de travail à caractère transfrontalier exclusivement dans la langue de cette entité fédérée, sous peine de nullité de ces contrats relevée par le juge. La Cour de Justice a précisé que les parties à un contrat de travail à caractère transfrontalier ne maîtrisent pas nécessairement la langue officielle de l’Etat membre concerné et que, dans une situation de ce type, la formation d’un consentement libre et éclairé requiert qu’elles puissent établir leur contrat dans une langue autre que la langue officielle de cet Etat membre.

Pour la cour du travail, il faut dès lors examiner si cette jurisprudence peut être appliquée en l’espèce. Les règles reprises dans le décret sur l’emploi des langues doivent être confrontées à l’article 45 T.F.U.E. (libre circulation des travailleurs).

Dans l’affaire LAS, la Cour de Justice a reconnu le caractère transfrontalier du contrat de travail du fait de la nationalité (néerlandaise) de l’intéressé et de la circonstance que la société employeur était une filiale d’un groupe singapourien, et ce nonobstant le fait que l’employeur soit établi en Belgique et que le travailleur y exerce principalement son activité professionnelle.

En l’espèce, l’on peut aboutir à la même conclusion, la société employeur étant établie en Belgique mais faisant partie d’un groupe international et l’intéressé ayant une double nationalité (néerlandaise et espagnole).

Il est conclu qu’il ne peut invoquer la nullité des documents soumis. La cour examine dès lors les griefs et aboutit à la conclusion qu’il y avait un disfonctionnement individuel au sens de la convention collective.

Quant à l’existence de motifs économiques, ceux-ci ne sont pas prouvés.

La cour confirme dès lors le jugement du tribunal du travail.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est une application logique de la jurisprudence de la Cour de Justice, dans son arrêt LAS, ci-dessus.

Il comporte l’intérêt d’avoir précisé, à partir des critères dégagés dans l’arrêt de la Cour européenne, les éléments d’extranéité susceptibles de conférer au contrat de travail un caractère transfrontalier. En l’occurrence, il s’agit de l’appartenance de la société à un groupe international et d’éléments relatifs au travailleur, ici sa nationalité (élément déjà retenu dans l’arrêt LAS).

Les pièces déposées en langue anglaise ne peuvent dès lors être écartées des débats.


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