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Récupération d’indu d’allocations de chômage : absence d’inconstitutionnalité des articles 166, alinéa 2, et 167, § 2, de l’A.R. portant réglementation du chômage

Commentaire de Cass., 6 juin 2016 (3e ch.), n° S.12.0028.F

Mis en ligne le vendredi 28 octobre 2016


Cour de cassation, 6 juin 2016 (3e ch.), n° S.12.0028.F

Terra Laboris

Par arrêt du 6 juin 2016, la Cour de cassation a décidé que les articles 166 al.2 et 167§2 de l’A.R. du 25 novembre 1991, qui ont pour conséquence que l’organisme de paiement des allocations de chômage peut récupérer à charge du chômeur l’indu résultant d’une décision erronée qu’il a prise et qui a donné lieu au rejet ou à l’élimination de la dépense par l’Office national de l’emploi (sauf dans l’hypothèse où le chômeur aurait eu droit aux allocations sans la faute ou la négligence de cet organisme payeur), ne sont pas contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Les faits de la cause

La Caisse auxiliaire de paiement des allocations de chômage a versé des allocations de chômage à un taux supérieur à celui auquel Mr R. avait droit suite au passage au forfait de la troisième année de chômage, en violation de l’autorisation de paiement donnée par l’ONEm, qui a rejeté ou éliminé ces dépenses. Elle a entendu récupérer à charge de M. R. lesdites dépenses, ce que celui-ci a refusé. Le tribunal du travail a admis la possibilité de récupération.

La cour du travail de Liège, division Namur, après un 1er arrêt du 07/06/2011 qui ordonne la réouverture des débats notamment sur la rétroactivité des décisions de récupération de l’indu, s’est prononcée sur ce litige par un arrêt du 06/12/2011 (R.G. 2010/AN/193, sur Juridat).

La cour du travail rappelle que l’article 17 al. 2 de la loi du 11/04/1995 visant à instituer la charte de l’assuré social protège les assurés sociaux en prévoyant que lorsque l’indu résulte d’une erreur de l’institution de sécurité sociale, la révision ne peut, en règle, avoir un effet rétroactif. L’article 18bis de la même loi permet au Roi de déterminer les régimes de sécurité sociale pour lesquels une décision relative aux mêmes droits prise à la suite d’un examen de la légalité des prestations payées n’est pas considérée comme une décision nouvelle pour l’application de l’article 17.

Dans la matière du chômage, l’article 166 al. 2 de l’A.R. du 25/11/1991 exclut de la notion de décision nouvelle les décisions prises dans le cadre de la procédure de vérification des dépenses. L’article 167 § 2 al. 2 de l’A.R. permet à l’O.P. de récupérer auprès du chômeur les sommes perçues indûment sauf lorsque son droit aux allocations existait indépendamment de la faute ou l’erreur de cet organisme.

La cour rappelle que ces dispositions sont susceptibles de deux interprétations, la première étant qu’elles permettent le contrôle des dépenses mais pas le report sur le chômeur des erreurs des O.P. et la seconde étant qu’elles autorisent l’O.P. à reporter ses erreurs et fautes sur le chômeur sauf s’il aurait eu droit aux allocations, sans la faute de celui-ci. La Cour de cassation a opté pour cette seconde interprétation (Cass. 09/06/2008, JTT 2008 p. 377, JLMB 2008 p. 1498 et Chron. D. S. 2009 p.143 ; cfr ég. Cass. 27/09/2010 JTT 2010 p.433).
Compte tenu de cette interprétation des dispositions légales par la Cour suprême, la cour du travail s’interroge sur leur compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution, relevant une double discrimination (i) entre les chômeurs selon que la décision de récupération émane de l’ONEm ou de l’O.P. et (ii) entre les chômeurs et les autres assurés sociaux qui bénéficient de la protection de l’article 17 al.2 de la charte. Elle conclut à l’illégalité des articles 166 al. 2 et 167 § 2 de l’A.R. Elle considère que M. R. ne pouvait pas se rendre compte de l’erreur et, par application de l’article 17 al. 2 de la Charte, annule les décisions de récupération.

La décision de la Cour

La Cour casse le second arrêt. Après avoir rappelé les dispositions pertinentes de la Charte et de l’A.R. du 25/11/1991, elle décide que :

« Dès lors que seul l’Office national de l’emploi, débiteur des allocations de chômage, à l’exclusion de l’organisme de paiement, statue sur le droit à ces allocations, la situation d’un chômeur à l’égard duquel le directeur du bureau de chômage revoit une décision entachée d’une erreur juridique ou matérielle commise par le bureau en vertu de laquelle des allocations lui ont été octroyées indûment diffère de celle d’un chômeur qui fait, à la suite du contrôle des dépenses de son organisme de paiement, l’objet par celui-ci d’une mesure de récupération d’allocations qui lui ont été payées indûment.

La situation de ce dernier chômeur n’est pas davantage comparable à celle d’un assuré social à l’égard duquel l’institution de sécurité sociale débitrice de prestations sociales revoit une décision entachée d’erreur de droit ou matérielle en vertu de laquelle ces prestations sociales lui ont été octroyées indûment. »

Dans la mesure où l’arrêt attaqué fonde la discrimination en vertu de laquelle il écarte l’application des articles 166 et 167 de l’A.R. sur la comparaison de ces catégories de personnes, il viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Intérêt de la décision

La Cour de cassation tranche une question controversée, à savoir l’existence dans les articles 166 et 167 de l’A.R. du 25 novembre 1991 d’une discrimination entre les chômeurs selon que la décision de récupération émane de l’ONEm ou de l’organisme de paiement et entre les chômeurs et les autres assurés sociaux.

La Cour constitutionnelle avait déjà fermé une porte dans son arrêt du 2 juin 2010 (n°67/2010) en répondant négativement à une question préjudicielle posée par la cour du travail de Liège, section de Namur quant à une possible discrimination contenue dans l’article 18bis de la Charte. La Cour avait souligné que la question si le Roi avait, sur la base de l’habilitation conférée par cette disposition, créé une différence de traitement inconstitutionnelle entre les assurés sociaux, devait être tranchée par les tribunaux (cfr B. GRAULICH, Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP Anthemis pp 50 et 51). C’est donc chose faite.

L’article 18bis est issu des amendements du Gouvernement postérieurs à la proposition de loi initiale, qui ont été adoptés par les parlementaires et sont entrés en vigueur à la même date que la Charte. Les travaux préparatoires reproduits par l’arrêt cassé (réf. 14 pp 11 et 12) sont révélateurs des craintes, notamment budgétaires, suscitées par l’article 17 de la charte. La doctrine s’est donc rapidement inquiétée des risques de remise en cause de cet article 17 al. 2 qui est une des grandes avancées de la Charte (cfr réf. 15 citée par l’arrêt cassé p.12).


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