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Travailleurs bénévoles : risque d’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés

Commentaire de C. trav. Mons, 20 avril 2016, R.G. 2013/AM/338

Mis en ligne le vendredi 28 octobre 2016


Cour du travail de Mons, 20 avril 2016, R.G. 2013/AM/338

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 avril 2016, la Cour du travail de Mons conclut à l’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés bénévoles au service d’une A.S.B.L. pour lesquels il y avait dépassement des forfaits journaliers et annuels autorisés.

Les faits

Une A.S.B.L. ayant obtenu l’agrément comme service de transports médico-sanitaires (Région wallonne) exerce son activité essentiellement en tant que service d’ambulances et de transport routier de passagers. Elle occupe uniquement des ambulanciers-secouristes bénévoles, n’ayant jamais employé de personnel salarié.

Suite à une plainte d’un travailleur, en décembre 2008, l’Inspection des lois sociales prend, à l’issue de son enquête, la décision d’informer l’O.N.S.S. d’une régularisation à opérer en ce qui concerne 21 travailleurs occupés, au motif du non-respect de la loi du 3 juillet 2005 (modifiée par celle du 19 juillet 2006).

Sont essentiellement constatés l’absence de convention écrite pour de nombreux travailleurs, ainsi que le non-respect des forfaits légaux des indemnités annuelles et/ou journalières. Pour l’I.L.S., il s’agit de rémunérations passibles de cotisations sociales. Il est parallèlement constaté que l’A.S.B.L. fait l’objet d’une enquête auprès du SPF Finances, concernant sa requalification en société commerciale.

Suite à cette notification, l’O.N.S.S. décide de l’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés et réclame un montant de cotisations de plus de 18.600 €. Celles-ci sont payées.

Deux ambulanciers introduisent cependant des recours devant le Tribunal du travail en contestation de cet assujettissement, l’une des deux faisant valoir qu’elle était en invalidité et avait exercé sans autorisation du médecin-conseil et, le second, qu’il était chômeur complet indemnisé et était dans la même situation.

L’annulation de la régularisation d’office est demandée au Tribunal du travail. L’A.S.B.L. sollicite également l’annulation de celle-ci. Devant le Tribunal du travail de Charleroi, les causes sont jointes et l’O.N.S.S. est débouté.

Il interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’Office – appelant – demande que les actions des ambulanciers soient déclarées non fondées, de même que celle de l’A.S.B.L.

Celle-ci considère pour sa part que, même s’il n’y avait pas de contrat écrit, l’ensemble des travailleurs étaient de véritables bénévoles et que, s’il y a eu dépassement des forfaits, les sommes versées étaient destinées à couvrir des frais (location de matériel, etc.).

La décision de la cour

La cour procède en premier lieu au rappel des règles fixées aux articles 10 et 11 de la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires, reprenant les montants autorisés au titre d’indemnités de volontariat. Elle souligne que, en vertu de l’article 10, si les montants perçus dépassent ceux-ci, les indemnités ne peuvent être considérées comme un remboursement des frais supportés par le volontaire pour l’organisation qui l’occupe que si la réalité et le montant de ces frais sont justifiés au moyen de documents probants. Le texte légal renvoie, pour la fixation de ceux-ci, à l’arrêté royal du 26 mars 1965 portant réglementation générale des indemnités et allocations de toute nature accordées au personnel des SPF. Si la preuve exigée ne peut être apportée, l’article 11 dispose que la personne ne peut être considérée comme volontaire.

Elle examine ensuite longuement les éléments du dossier (qui a connu un détour pénal, suite à une plainte déposée par des ambulanciers) et constate que l’A.S.B.L. avait fourni des quads à une organisation sportive (quads équipés médicalement) et que ceux-ci étaient, lors des manifestations organisées, conduits par le personnel ambulancier. Une discussion est intervenue sur la question du paiement de ces prestations, les intéressés soutenant n’avoir perçu aucune rétribution pour celles-ci. La cour constate cependant qu’il y a eu de nombreux retraits en liquide du compte de l’A.S.B.L., qu’il y avait par ailleurs perception dans le chef des intéressés de prestations de sécurité sociale et que ceux-ci n’avaient de ce chef pas intérêt à accepter des paiements bancaires (ayant par ailleurs refusé de signer un contrat de bénévole).

La cour conclut à l’existence de paiements faits aux intéressés, étant en tout cas admis qu’il y a eu des « remboursements de frais d’entretien et de réparation de matériel et véhicules ». La cour renvoie sur ce point à l’article 19, § 2, 4°, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, selon lequel, en cas de contestation sur le caractère rémunératoire de telles sommes (étant les dépenses faites par le bénévole mais qui sont occasionnées du fait de la réalisation de l’activité bénévole), il appartient à l’organisation de démontrer qu’il s’agit bien d’un remboursement de frais. Des conditions sont mises par l’arrêté royal pour qu’il y ait exonération des cotisations O.N.S.S., étant que (i) elles doivent correspondre à des dépenses supplémentaires (ceci excluant les dépenses inhérentes à la vie quotidienne), (ii) elles ne doivent pas nécessairement être inhérentes à l’exécution du contrat, mais au moins être liées à l’occupation du bénévole, et (iii) leur remboursement doit incomber à l’employeur.

En conclusion, sur les éléments soumis à son appréciation, la cour constate qu’il n’est pas établi que les interventions constituent un remboursement de frais et que, par leur nature (entretien ou réparation d’éventuels dégâts subis au véhicule personnel du bénévole), il ne s’agit pas de frais qui incombent à l’employeur. Ils ont donc un caractère rémunératoire.

La cour examine, ensuite, la nature des relations de travail de l’ensemble des travailleurs. En cas de dépassement des forfaits autorisés, l’article 17quinquies de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 (abrogé par l’arrêté royal du 9 mai 2007 – entré en vigueur le 1er août 2006), disposait que l’intéressé et l’organisation sont soumis à la loi du 27 juin 1969 prévoyant l’assujettissement automatique, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La doctrine (M. DAVAGLE, « L’exonération de cotisations ONSS sur certaines indemnités accordées aux bénévoles », Les dossiers d’ASBL – Actualités – La nouvelle législation relative aux volontaires, Edipro, 2007, p. 194 et 195) considère à cet égard qu’il n’est pas nécessaire de rechercher l’existence ou non d’un lien de subordination, puisque la loi du 27 juin 1969 vise également des catégories de travailleurs qui exercent leur travail dans des situations similaires à celles des travailleurs salariés.

En l’occurrence, à partir des constatations de fait, la cour conclut cependant à l’existence d’un tel lien de subordination, l’Avocat général ayant par ailleurs retenu – dans le même sens – que le contrat – lorsqu’il existait – imposait de se conformer aux instructions données par le directeur du service d’ambulances, que le bénévole prestait sous l’autorité d’un « supérieur » et que toute demande de congé devait être rentrée préalablement dans un délai déterminé, le nombre de jours étant également limité et les vacances dans les mois de juillet et août étant réservées aux familles avec enfants en âge scolaire.

Elle réforme dès lors le jugement et confirme la décision administrative.

Intérêt de la décision

Les conditions d’occupation de travailleurs bénévoles sont strictes. L’on constatera en l’occurrence le nombre très important de travailleurs prestant sous ce statut, dans le cadre d’une activité dont l’arrêt ne permet pas de déterminer si, en fin de compte, elle a pu conserver son caractère non commercial.

La cour a, dans son raisonnement quant à la nature des relations de travail de l’ensemble des travailleurs, fait un détour par l’article 17quinquies de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. Celui-ci – dont elle rappelle qu’il est abrogé depuis le 1er août 2006 – imposait, en cas de non-respect du forfait, l’application de la loi du 27 juin 1969. Depuis cette abrogation, comme le souligne la cour elle-même, le « soi-disant volontaire » n’est plus nécessairement assujetti à l’O.N.S.S., mais peut également (en cas de perception d’indemnités supérieures au forfait légal) être engagé sous contrat d’entreprise.


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