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Intervention des inspections sociales et secret de l’instruction pénale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 avril 2016, R.G. 2015/AL/30

Mis en ligne le vendredi 28 octobre 2016


Cour du travail de Liège (div. Liège), 11 avril 2016, R.G. 2015/AL/30

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 avril 2016, la Cour du travail de Liège (division Liège) s’interroge sur la portée des articles 5 et 6 de la loi du 16 novembre 1972 concernant l’inspection du travail, dans le cas de la communication d’éléments d’un service vers l’autre (transmission interne d’un département ou transmission vers un autre service), ainsi que sur la régularité des preuves matérielles ainsi recueillies.

Les faits

L’affaire tranchée par la Cour du travail de Liège fait partie d’un contentieux plus large, inscrit dans un contexte de fraude sociale organisée ayant régné au sein d’un consortium d’entreprises. Le système mis sur pied consistait à recourir au chômage économique ou à admettre une incapacité en AMI, alors que les travailleurs continuaient à prester sur chantiers et étaient rémunérés (sans être déclarés pour ces prestations). L’affaire impliquait une collaboration entre les parties.

Suite à celle-ci, une instruction fut menée dans l’arrondissement de Hasselt, l’Auditorat saisissant le juge d’instruction des faits en cause.

Dans les suites de ces dossiers, l’ONEm prit des décisions, dont, pour la présente espèce, une décision d’exclusion et de récupération (avec sanction, tenant compte du caractère frauduleux).

Un recours fut introduit devant le Tribunal du travail de Liège.

Dans le cas de l’intéressé, l’Auditorat opta pour un classement sans suite mais, le dossier étant connexe à d’autres qui faisaient l’objet de poursuites pénales, l’Auditorat attendit l’issue de la procédure pénale aux fins de faire traiter l’ensemble des dossiers dans lesquels existait une contestation de décision de l’ONEm.

Pour ceux des travailleurs qui étaient poursuivis devant les juridictions correctionnelles, le Tribunal correctionnel de Liège rendit un jugement en mars 2012, déclarant l’action publique éteinte par prescription. Les prévenus furent ainsi renvoyés des poursuites entamées contre eux.

Objet du litige

Le présent litige concerne plus spécifiquement la question de la violation du secret de l’instruction, ainsi que la régularité des renseignements communiqués par les services d’inspection aux institutions de sécurité sociale concernées.

L’avis du Ministère public

Sur la question de la violation du secret de l’instruction, le Ministère public renvoie essentiellement à un arrêt de la Cour de cassation du 30 octobre 2012 (Cass., 30 octobre 2012, n° P.12.0330.N), qui a considéré que, si des enquêteurs constatent au cours d’une perquisition des infractions étrangères à l’objet initial de celle-ci, ils peuvent, de leur propre habilitation et dans les limites de leurs compétences, en dresser procès-verbal initial.

L’instruction a en l’espèce été menée à charge des employeurs (sociétés et personnes physiques) et ne concerne pas des infractions éventuelles commises par les travailleurs.

Pour le Ministère public, en vertu de leur propre habilitation tirée de la loi du 16 novembre 1972 (article 9), les inspecteurs ont pu dresser valablement des Pro Justitia concernant les travailleurs. Il s’agit d’une prérogative qui leur appartient et ni le juge d’instruction ni l’auditeur du travail ne sont habilités à leur enjoindre d’y procéder ou non. Le moyen tiré de la violation du secret de l’instruction est dès lors non fondé.

Se pose également, dans ce même registre, la question de l’autorisation préalable de transmission des informations, question sur laquelle le Ministère public renvoie à deux arrêts de la Cour de cassation du 27 octobre 2007 : dès lors que c’est dans le cadre d’une enquête personnelle que les inspecteurs ont décidé d’eux-mêmes de dresser des Pro Justitia à charge des travailleurs, il n’y a pas lieu de solliciter une autorisation préalable de communiquer les informations recueillies.

Le Ministère public examine encore les éléments relatifs à la régularité de la preuve eu égard à la jurisprudence Antigone, concluant qu’il n’y a pas eu d’irrégularité intentionnelle ni d’atteinte au procès équitable.

Enfin, sur le principe non bis in idem, celui-ci ne peut s’appliquer qu’aux éléments d’ordre pénal des décisions contestées et non, comme le soutient l’intéressé, à la récupération de l’indu. Il n’est dès lors pas applicable, dans la mesure où les travailleurs n’ont été ni condamnés ni acquittés.

La décision de la cour

La cour examine les dispositions pertinentes de la loi du 16 novembre 1972 (les faits étant antérieurs à l’entrée en vigueur du Code pénal social). Après avoir exposé les contours des articles 5 et 6, § 1er, dont elle rappelle les conditions dans lesquelles l’autorisation de l’autorité judiciaire qui a prescrit les devoirs (ou celle du Procureur général, ou encore de l’Auditeur général) est nécessaire, elle pose la question de l’application de la loi en l’espèce. En effet, après que l’affaire a été mise à l’instruction, en 2004, le juge d’instruction a fait savoir à la police judiciaire fédérale que l’enquête serait menée en concertation avec les services d’inspection sociale concernés (Inspection sociale, Contrôle des lois sociales, Services d’inspection de l’ONEm et Services d’inspection de l’INAMI). Un mandat de perquisition a été signé à destination de la Police judiciaire fédérale et des autres fonctionnaires compétents pour exécuter cette perquisition. Pour la cour du travail, les inspections sociales ont ainsi été amenées à agir en qualité d’enquêteur ou d’expert, et ce pour le compte du juge d’instruction. L’on ne peut dès lors – contrairement à la position du Ministère public – considérer que les pièces auraient été saisies hors saisine du juge d’instruction.

Se pose plus particulièrement la question de la transmission d’une audition par un bureau de chômage à un autre (soit Hasselt vers Liège). Pour la cour, l’ONEm ayant la personnalité juridique, unique, qui s’étend à tous ses démembrements, la transmission d’une cellule à un autre bureau reste une communication interne, non visée par les articles 5 et 6 de la loi du 16 novembre 1972. Ces dispositions supposent en effet un échange d’informations avec un autre service. Il n’était dès lors pas nécessaire que l’ONEm sollicite l’autorisation de l’Auditorat du travail de transmettre cette audition.

La cour ne règle, cependant, pas complétement le litige, dans la mesure où elle considère devoir ouvrir les débats sur la question de l’application ou non de la loi du 16 novembre 1972. De cette application (ou non) va dépendre la question de l’écartement des preuves matérielles recueillies. En effet, il ne peut être contesté que des pièces venant de l’instruction à charge des employeurs aient été utilisées par des enquêteurs/experts à d’autres fins, étant d’entamer des poursuites contre les travailleurs.

Rappelant que le secret de l’instruction est garanti par l’article 57 du Code d’instruction criminelle (qui renvoie à l’article 458 du Code pénal), la cour veut vérifier que le secret a été respecté tant sur le plan interne (parties concernées par l’affaire) qu’externe (tiers à celle-ci). Se pose dès lors la question de savoir si, en dehors de l’application de la loi du 16 novembre 1972, l’Auditeur du travail pouvait demander une enquête, et ce tout en respectant le secret de l’instruction. La cour renvoie ici à la doctrine (O. MICHIELS, « Le Ministère public est-il tenu au secret de l’instruction ? Ou les incidences du secret de l’instruction sur l’intervention de la partie publique dans les procédures civiles et pénales », Rev. Fac. Dr. Liège, 2007, p. 155 et s.). Il y aura dès lors lieu, pour les parties, de préciser quelles conséquences doivent éventuellement être données au cas où il y aurait eu violation de ce secret.

Eu égard au fait que la poursuite du dossier suppose que la cour soit mise en possession d’autres éléments du dossier d’instruction, celle-ci demande le concours de l’Auditorat général pour y accéder, dans l’intérêt d’une bonne justice.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège pose une question essentielle, relative aux limites du secret de l’instruction et à l’intervention de divers services d’enquêteurs dans la cadre de la recherche d’infractions. Le Ministère public avait considéré que les services d’inspection avait chacun, pour la matière de leur compétence, pu dresser des Pro Justitia, les adressant à l’Auditeur du travail, ce dernier ayant décidé de ne pas les joindre au dossier de l’instruction et leur ayant réservé un traitement autonome (transaction ou citation en cas de refus).

Pour la cour du travail, les inspections sociales ont ici été amenées à agir pour le compte du juge d’instruction, dans la mesure où celui-ci avait signalé à la Police judiciaire fédérale que l’enquête serait menée en concertation avec l’ensemble des services concernés et avait également autorisé ceux-ci à perquisitionner. S’il apparaît, eu égard à ces éléments, que les inspections n’ont pas agi hors saisine du juge d’instruction, se pose encore la question de savoir dans quelle mesure les pièces étaient susceptibles d’être exploitées par les inspecteurs sociaux pour les analyser au regard de la législation sociale.

Affaire à suivre donc…


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