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Egalité de traitement en matière d’accès aux prestations de sécurité sociale : échec d’un recours en manquement de la Commission

Commentaire de C.J.U.E., 14 juin 2016, Aff. n° C-308/14

Mis en ligne le jeudi 24 novembre 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 14 juin 2016, Aff. n° C-308/14

Terra Laboris

Par arrêt du 14 juin 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne rejette dans son intégralité un recours en manquement introduit par la Commission européenne contre le Royaume-Uni, suite à l’obligation imposée par cet Etat aux ressortissants d’Etats membres de l’Union et résidant sur son territoire de bénéficier d’un titre de séjour légal pour bénéficier de prestations de sécurité sociale.

Les faits

La Commission européenne a reçu de nombreuses plaintes émanant de ressortissants d’Etats membres de l’Union résidant au Royaume-Uni, plaintes relatives au refus de certaines prestations sociales au motif qu’ils ne jouissaient pas d’un droit de séjour.

Le Royaume-Uni, interpellé, a fait valoir qu’il applique certaines restrictions de la notion de « droit de séjour » au sens de la Directive 2004/38, limitant les effets de ce droit notamment en ce qui concerne l’exigence qu’une personne économiquement non-active dispose de ressources financières suffisantes pour ne pas devenir une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale national.

Il estime que son système national n’est pas discriminatoire et que le critère appliqué est proportionné, dans la mesure où il vise à garantir que les prestations soient versées à des personnes suffisamment intégrées.

La procédure

Le recours en manquement

La Commission, se fondant sur l’arrêt BREY du 19 septembre 2013 (C.J.U.E., 19 septembre 2013, Aff. n° C-140/12), limite le recours à la question d’allocations familiales et de crédit d’impôt pour enfant. Initialement, elle avait visé des prestations spéciales en espèces à caractère non-contributif. Celles-ci étant qualifiées d’« assistance sociale », elles ne tombent pas dans le champ d’application du Règlement et la Commission poursuit pour les prestations sociales ci-dessus.

Elle considère qu’il y a manquement au Règlement n° 883/2004, dans la mesure où il est exigé que le bénéficiaire satisfasse au critère du droit de séjour pour être traité comme résidant habituellement dans l’Etat. Dès lors que cette condition n’est pas remplie, les personnes ne bénéficieraient pas de la couverture prévue par la législation interne en matière de sécurité sociale. Pour la Commission, une personne économiquement non-active est en principe soumise à la législation de son Etat de résidence et le Règlement définit (art. 1er, j)) la résidence comme le lieu où elle réside habituellement, cette notion de « résidence habituelle » ayant une signification autonome dans le droit de l’Union. Il s’agit du lieu où se se trouve le centre habituel des intérêts de la personne visée. Les critères permettant de déterminer celui-ci sont la situation familiale, les motifs du déplacement au sein de l’Union, la durée et la continuité de la résidence, le fait d’avoir ou non un emploi stable et l’intention du travailleur telle que résultant de l’ensemble des circonstances de fait. Pour la Commission, ce lieu doit être déterminé en fonction de ces éléments factuels et de la situation des personnes, et ce indépendamment de leur statut juridique dans l’Etat membre d’accueil (et ainsi du bénéfice du droit de séjour sur la base par exemple de la Directive 2004/38).

La notion de résidence est ici indépendante de celle figurant dans d’autres actes du droit de l’Union ou encore dans le droit national.

Subsidiairement, la Commission invoque une discrimination.

La position de l’Etat membre

Le Royaume-Uni fait notamment valoir que les prestations sociales en cause présentent des caractéristiques propres à l’assistance sociale. Il renvoie à l’arrêt DANO du 11 novembre 2014, selon lequel seuls les citoyens de l’Union économiquement non-actifs dont le séjour remplit les conditions de l’article 7, § 1er, b), de la Directive 2004/38 peuvent bénéficier de l’égalité de traitement par rapport aux nationaux en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales.

La Cour va longuement reprendre les éléments de la problématique des non-actifs. En premier lieu, elle fait une précision de terminologie, dans la mesure où l’arrêt BREY contient des divergences dans ses versions linguistiques (« social benefits » / « social security benefits »). Pour la Cour de Justice, le recours concerne des allocations familiales et un crédit d’impôt pour enfant, prestation qualifiée de « child benefit » et de « child tax benefit ». Il s’agit de prestations en espèces, qui ont pour objet de couvrir des charges et qui sont financées non par des cotisations, mais par la contribution fiscale obligatoire. Il ne s’agit pas de prestations spéciales en espèces à caractère non-contributif reprises à l’annexe X du Règlement. Ce sont des prestations de sécurité sociale au sens de la jurisprudence de la Cour, s’agissant de montants accordés automatiquement aux familles qui répondent à certains critères objectifs.

Sur le fondement du grief principal, étant que ces prestations sont subordonnées à la condition non seulement de « résider habituellement » sur le territoire de l’Etat, mais également de répondre au critère du droit de séjour, la Cour de Justice considère que l’article 11, § 3, e), du Règlement n’a pas pour objet de déterminer les conditions de fond de l’existence du droit aux prestations de sécurité sociale, celles-ci devant en principe relever du pouvoir du législateur national. Le Règlement ne s’oppose dès lors pas à une telle disposition. La Cour rappelle qu’il n’organise pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts. Elle renvoie, pour sa conclusion, non seulement à l’arrêt BREY, mais également à l’arrêt DANO.

Pour la Cour de Justice, la Commission ne démontre pas que le critère du droit de séjour existant dans le droit britannique affecte l’article 11, § 3, e), du Règlement, lu en combinaison avec son article 1er, j).

Elle rejette dès lors le grief.

La Commission ayant fait valoir, à titre subsidiaire, l’existence d’une discrimination (directe ou même indirecte), la Cour rappelle que l’exigence posée est une condition de fond, étant de répondre ou non aux exigences requises pour disposer d’un droit de séjour. La disposition peut cependant être indirectement discriminatoire, dans la mesure où elle va affecter davantage les ressortissants d’autres Etats membres et elle va nécessairement défavoriser ceux-ci plus que les premiers. Une discrimination indirecte peut cependant être justifiée à la condition qu’elle permette de garantir la réalisation d’un objectif légitime et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.

Procédant à un bref examen des conditions posées et rappelant encore sa jurisprudence, elle constate que le contrôle effectué quant aux conditions exigées n’est pas un contrôle systématique. Elle fait dès lors grief à la Commission – qui doit établir l’existence du manquement qu’elle invoque et apporter les preuves permettant la vérification de celui-ci – de ne pas démontrer que les contrôles tels qu’ils sont exercés ne répondent pas aux conditions de proportionnalité et qu’ils ne sont pas propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, celui-ci étant la protection des finances publiques.

Le recours est dès lors rejeté dans son intégralité.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est une nouvelle affirmation de la limitation des droits en matière de prestations sociales des personnes non-actives, citoyennes de l’Union européenne. L’on notera qu’il ne s’agit pas de prestations d’assistance sociale (qui, en tant que telles, ne sont pas couvertes par les règlements de coordination), ni de prestations spéciales en espèces à caractère non-contributif reprises à l’annexe X du Règlement.

La Cour est régulièrement interpellée sur ces prestations spéciales également et, à cet égard, l’on peut renvoyer à l’arrêt du 25 février 2016 (C.J.U.E., 25 février 2016, Aff. n° C-299/14, GARCIA NIETO – précédemment commenté), excluant de ces prestations spéciales les ressortissants d’un Etat membre pendant les trois premiers mois de séjour dans l’Etat d’accueil.

En l’occurrence, dans cet arrêt du 14 juin 2016, il s’agit de prestations de sécurité sociale à proprement parler et la Cour de Justice admet la possibilité pour l’Etat membre de ne pas allouer celles-ci automatiquement, même s’il n’est pas contesté que le citoyen de l’Union a sa résidence habituelle sur son territoire. Sur la définition de la résidence habituelle, la Cour ne fait pas, ici, un renvoi à l’obligation de satisfaire à la condition de séjour visée à l’article 7 de la Directive 2004/38/CE. Elle admet cependant que l’Etat membre peut lui-même décider de subordonner l’octroi des prestations de sécurité sociale à une telle condition.

La libre circulation des non-actifs trouve, dans cette jurisprudence, une nouvelle limitation, et ici en matière de prestations de sécurité sociale.


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