Terralaboris asbl

Accueillantes d’enfants et contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 avril 2016, R.G. 2014/AB/1.159 (NL)

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 21 avril 2016, R.G. 2014/AB/1.159 (NL)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 avril 2016, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’un litige né suite à diverses plaintes d’accueillantes d’enfants, vérifie les conditions d’existence du contrat de travail et conclut à l’existence de celui-ci, les éléments constatés étant en l’espèce incompatibles avec la qualification conventionnelle donnée par les parties à leur collaboration.

Les faits

Suite à plusieurs plaintes déposées par des accueillantes d’une pouponnière, l’Inspection sociale mène une enquête dans les divers lieux d’exploitation. Celle-ci aboutit à la conclusion qu’il y a contrat de travail pour plusieurs d’entre elles. Il est précisé qu’elles prestent dans un lien de subordination vis-à-vis de l’exploitante. L’O.N.S.S. informe dès lors l’intéressée que neuf personnes devaient être assujetties à la sécurité sociale des travailleurs salariés vu que les trois éléments caractéristiques du contrat de travail sont réunis (prestations, rémunération et autorité). L’intéressée conteste la chose et une procédure est en fin de compte introduite à la requête de l’Office, en paiement d’un montant de l’ordre 21.000 € au titre de cotisations et accessoires.

Par jugement du 5 septembre 2014, la demande de l’O.N.S.S. est rejetée. La cour du travail est ainsi saisie de l’appel de l’Office.

Position de la cour

La cour reprend les principes directeurs de l’existence d’un contrat de travail. Elle souligne que les parties ont qualifié leur convention et que celle-ci pourra, cependant, être requalifiée si les termes de son exécution démontrent l’existence d’éléments incompatibles avec un contrat d’entreprise.

L’élément essentiel est de savoir si le donneur d’ordre pouvait exercer son autorité sur la personne, dans le cadre de la prestation de service.

La cour rappelle l’abondante jurisprudence rendue par la Cour de cassation sur le lien de subordination et les conclusions de l’Avocat général LENAERTS avant l’arrêt de principe du 16 janvier 1978 (Cass., 16 janvier 1978, Arr. Cass., 1977-78, p. 577). Il doit s’agir de subordination dans l’organisation du travail, ce qui trouve son expression dans le temps de travail ainsi que dans l’organisation du travail lui-même, étant que le travailleur est tenu d’effectuer ses prestations pendant certains jours et à certaines heures déterminées, pendant lesquels il travaille dans un local que l’employeur met à sa disposition et qu’il entretient à ses frais. Elle suppose également la surveillance de l’employeur tant dans l’exécution du contrat que dans le respect du temps de travail. Est également important le fait que l’organisation financière et économique est laissée aux mains de l’employeur, le travailleur n’ayant, sur le plan financier, droit qu’à la rémunération convenue, et ce quels que soient les résultats. M. l’Avocat général avait encore souligné qu’une certaine autonomie dans l’exécution du travail n’empêche pas l’existence d’un lien de subordination.

Ces critères, dégagés il y a plusieurs décennies, ont été confirmés dans la loi sur les relations de travail du 27 décembre 2006, loi qui trouve également à s’appliquer dans les relations entre travailleurs et employeurs.

La cour reprend les articles 331 et suivants de celle-ci, ainsi que de la jurisprudence plus récente rendue à la lumière des critères qu’elle a dégagés. Il faut avoir à l’esprit la volonté des parties telle qu’elle a été exprimée lors de l’engagement, la liberté de l’organisation du temps de travail ainsi que la liberté d’organisation du travail lui-même et, enfin, la possibilité d’un contrôle hiérarchique.

L’Office plaidant que le contrat a été signé par des personnes faibles, qui n’en ont pas saisi les termes exacts, la cour rétorque que ceci n’entame pas la validité des conventions, dans la mesure où il n’est pas démontré que les intéressées étaient soit mineures, soit incapables. La validité ne dépend pas de l’état des connaissances du travailleur lors de la signature. Restent cependant possible les vices de consentement, mais ceux-ci ne sont pas invoqués en l’espèce.

Le seul point à examiner eu égard à la convention conclue est de savoir si ses termes sont contredits par l’exécution qui en a été donnée. Il ne pourra y avoir requalification que s’il y a incompatibilité entre la qualification contractuelle et l’exécution du contrat. Peut dès lors intervenir, en vue de cette requalification, un seul point, étant la vérification de l’autorité que pouvait exercer l’exploitante sur les accueillantes.

La cour retient en l’espèce des éléments particuliers dans l’organisation de la pouponnière. Celle-ci fonctionne dans des bâtiments qui sont la propriété de l’exploitante ou de son conjoint et les locaux sont loués à ces accueillantes, le loyer mensuel devant être payé aux propriétaires. Celles-ci sont liées par une convention de collaboration (par établissement), prévoyant un partage proratisé de toutes les recettes, après retrait des provisions pour coûts de fonctionnement ainsi que pour des coûts généraux (nourriture, jouets, matériel, produits d’entretien, etc.).

La cour examine ainsi les chiffres. A certains moments, l’exploitation est déficitaire pour certains sites et ceci influe fortement sur le solde à répartir entre les accueillantes. Par ailleurs, l’exploitante semble travailler dans chacun de ceux-ci et elle perçoit des recettes importantes.

Il découle du mode d’exécution de la convention que l’intéressée exerçait réellement son autorité sur les (autres) accueillantes dans les différents sites, l’élément important à cet égard étant le fait qu’elle ait été propriétaire ou copropriétaire avec son conjoint des immeubles en cause.

Un second élément déterminant est que l’organisation financière et économique était aux seules mains de l’exploitante, alors que les autres accueillantes n’étaient que des exécutantes et n’avaient droit sur le plan financier qu’à l’indemnisation convenue.

La cour retient encore, à partir de certaines déclarations figurant dans le dossier de l’Inspection, des indices matériels de subordination (pouvoir de décision de l’exploitante sur de nombreuses questions d’organisation, d’aménagement des locaux, d’engagement du personnel, etc.). Pour la cour, il y avait dès lors effectivement, dans l’exécution de la convention, des éléments en contradiction avec la qualification de collaboration indépendante. Elle fait dès lors droit à la demande de l’O.N.S.S.

Intérêt de la décision

Cet arrêt statue manifestement dans une espèce concernant une crèche non encadrée. Le mode d’organisation était dès lors complètement libre et la cour relève divers éléments indiquant, séparément et dans leur ensemble, qu’il y a exercice d’une activité à l’initiative d’une personne, activité pour laquelle celle-ci dispose de toutes les prérogatives décisionnelles – donc patronales-, les partenaires à la convention n’étant que des exécutants des instructions données.

Le secteur des crèches est particulièrement sensible à ce type de situation.

L’on notera enfin, sur le plan de la validité de la convention conclue, que la cour du travail n’admet pas que la faiblesse d’une des parties puisse entamer la validité de celle-ci, seule pouvant être prise en compte la minorité ou l’incapacité du travailleur, ou encore les vices de consentement.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be