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Les périodes de suspension des prestations comptent-elles pour l’ancienneté de service ?

Commentaire de C. trav. Gand (div. Gand), 13 mai 2016, R.G. 2015/AG/133

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2016


Cour du travail de Gand, division Gand, 13 mai 2016, R.G. 2015/AG/133

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 mai 2016, la Cour du travail de Gand (division Gand) rappelle qu’il s’agit d’un principe constant : le service auprès du même employeur commence au moment où les parties sont liées par le contrat de travail et se termine au moment où ce n’est plus le cas. Que l’exécution du contrat de travail soit suspendue pendant une partie de cette période, pour quelque motif que ce soit et pour quelque durée que ce soit, est sans incidence.

Les faits

Un employé, bénéficiant d’une ancienneté depuis 1981, signala en octobre 2000 à son employeur qu’il était candidat aux élections communales de son lieu de résidence. Il fut élu et demanda, en conséquence, à être autorisé à prendre une « interruption de carrière » dans le régime général. Une convention fut signée entre les parties, en vertu de laquelle les prestations de travail étaient suspendues à partir du 1er janvier 2001, et ce pour toute la période où le travailleur exercerait son mandat en cours dans la commune en cause. Cette suspension intervient sans droit à la rémunération.

L’intéressé fut réélu aux élections communales de 2006 et il signala alors qu’il allait devenir échevin et qu’il formulait de nouveau une demande d’interruption de carrière pour six ans, eu égard à son mandat politique. L’employeur marqua accord sur la prolongation, mais dans un premier temps uniquement pour une période de six semaines. Une convention fut signée ultérieurement, couvrant la période jusqu’au 31 décembre 2012 et faisant également état d’une suspension pour toute la durée du mandat en cause, et ce sans solde.

Aux élections de 2012, l’intéressé ne fut cependant pas réélu. L’employeur mit un terme au contrat deux mois plus tard et paya une indemnité de rupture de douze mois.

Une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail de Termonde (section Saint-Nicolas) en paiement de diverses sommes, dont une importante indemnité compensatoire ainsi qu’une indemnité de protection, sur la base de la loi du 19 juillet 1976 instituant un congé pour l’exercice d’un mandat politique.

La décision du tribunal

Par jugement du 27 janvier 2015, le tribunal du travail condamna la société au paiement du complément d’indemnité. Il prit en effet en compte une ancienneté de près de trente-deux ans, étant que les périodes de suspension complète d’exécution du contrat de travail devaient compter. Par contre, s’il constata que l’intéressé bénéficiait d’une protection contre le licenciement, il a relevé que la rupture était consécutive à un accident de roulage et qu’existait dès lors un motif étranger à l’exercice du mandat politique, motif tiré de son aptitude.

La société interjeta appel de cette décision, ce qui conduisit également l’employé à introduire un appel incident.

La décision de la cour

Sur l’appel principal, la cour rappelle les principes relatifs à la fixation du préavis convenable. Elle s’attarde sur la notion d’ancienneté de service auprès du même employeur, critère figurant dans l’ancien article 82, § 3, 2e alinéa, L.C.T.

Pour la cour, le service auprès du même employeur commence au moment où les parties sont liées par le contrat de travail et se termine au moment où ce n’est plus le cas. Que l’exécution du contrat de travail soit suspendue pendant une partie de cette période, pour quelque motif que ce soit et pour quelque durée que ce soit, est sans incidence. La cour renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation dans son arrêt du 28 juin 1982 (Cass., 28 juin 1982, n° 3267), ainsi qu’à la doctrine de W. VAN EECKHOUTTE, Sociaal Compendium Arbeidsrecht. 2013-14, Kluwer Malines, 2013, p. 2087, ainsi encore qu’à celle de A. WITTERS, « Anciënniteit en het einde van de arbeidsovereenkomst », Or., 2000, pp. 92-93.

La question particulière en l’espèce est de savoir si les périodes de suspension totale, intervenues dans un premier temps sur la base de la loi du 19 juillet 1976 et, ultérieurement, sur une base purement conventionnelle, doivent être prises en considération. La cour rappelle que l’ancienneté récompense la « fidélité » à l’entreprise. La société plaidant qu’elle a ainsi, en fin de compte, été victime des ambitions politiques de son employé, la cour rétorque que tel aurait peut-être pu être le cas pour la première période de suspension, mais certes pas pour la seconde, qui est intervenue en pleine connaissance de cause. Elle rejoint la conclusion du premier juge, qui a admis une ancienneté de trente et un ans et onze mois.

En ce qui concerne l’appel incident, la cour examine l’article 2, § 1er, de la loi du 19 juillet 1976 instituant un congé pour l’exercice d’un mandat politique. Cette disposition consacre le droit à un congé politique dans le chef des membres d’un conseil (provincial, communal, d’agglomération ou de fédération), ainsi que d’autres institutions communautaires et, encore, du conseil de l’aide sociale, afin de remplir leur mandat ou fonction. Ceci vaut également pour la fonction ou le mandat de bourgmestre, d’échevin et de président, le travailleur ayant le droit, pour l’exercice de celui-ci, de suspendre complétement l’exécution de son contrat de travail pendant la durée du mandat ou de la fonction. Ce droit n’est accordé que pour l’exercice d’un seul mandat ou d’une seule fonction. La durée est fixée à au moins douze mois, mais la suspension est renouvelable avec ou sans interruption entre les périodes et, à chaque fois, pour une période d’au moins douze mois (article 4bis).

La cour confirme que la deuxième période de suspension n’a pas été décidée dans ce cadre. Il s’est agi d’une simple suspension conventionnelle et, pendant celle-ci, l’intéressé ne peut plus bénéficier de la protection contre le licenciement prévue par la loi. Cependant, pendant sa deuxième période de suspension, il a eu la qualité d’échevin et il a ainsi continué malgré tout à bénéficier de la protection eu égard à sa qualité de membre du Conseil communal. En vertu de la nouvelle Loi communale (articles 7 et 15), les échevins sont élus dans le Conseil communal et ne perdent pas leur qualité de conseiller lorsqu’ils acquièrent la qualité d’échevin.

Le droit à la protection étant acquis, la cour considère qu’il y a en effet lieu d’examiner si le licenciement est intervenu pour un motif étranger à l’exercice du mandat politique et, ici encore, la cour confirme la conclusion du tribunal, étant que le licenciement n’est pas intervenu à cause de ce mandat, mais qu’existe un motif lié à l’aptitude, la cour relevant que l’intéressé avait, par son fait, été impliqué dans un accident spectaculaire et que la société craignait que son comportement ne se reproduise, eu égard au fait qu’il en était en tout cas en partie responsable vu son état.

Intérêt de la décision

La notion de durée du service a été précisée dans l’ancien arrêt de la Cour de cassation cité par la cour du travail, étant qu’il s’agit de prendre en considération, pour déterminer le délai de préavis, les périodes pendant lesquelles le contrat de travail a été suspendu. La Cour suprême avait statué dans le cadre des lois relatives au contrat d’emploi et cette jurisprudence vaut également pour la loi du 3 juillet 1978.

Les points examinés par la cour du travail sont bien entendu relatifs à un licenciement intervenu avant le « statut unique ». Si les critères ont été modifiés, il n’en demeure pas moins que la notion d’ancienneté, à savoir la durée de service du travailleur, reste d’actualité, dans la mesure où elle constitue actuellement le critère essentiel à prendre en compte pour le calcul du délai de préavis.

L’on notera que, rappelant la doctrine, la cour du travail précise que l’ensemble de la période doit être prise en compte, et ce quel que soit le motif de la suspension ou sa durée. Le seul élément pouvant modifier cette conclusion est l’existence d’une interruption dans les prestations. Une suspension n’est cependant pas à assimiler à une interruption du contrat.

L’on notera encore que, comme ceci est judicieusement relevé dans l’arrêt, la deuxième période de suspension n’avait plus la même nature que la première et qu’il s’agit d’un « simple » congé sans solde. L’enseignement de l’arrêt est dès lors que l’ancienneté continue à courir pendant une telle période.


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