Terralaboris asbl

Temps de travail à rémunérer dans le secteur de la construction

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Marche-en-Famenne), 9 juin 2016, R.G. 15/426/A

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2016


Tribunal du travail de Liège, division Marche-en-Famenne, 9 juin 2016, R.G. 15/426/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 juin 2016, le tribunal du travail de Liège (division Marche-en-Famenne) reprend la réglementation relative aux heures supplémentaires ainsi qu’au temps de travail lui-même, aux fins de vérifier si les règles applicables dans le secteur de la construction sont conformes au droit européen.

Les faits

Une société, relevant de la commission paritaire de la construction (124), a engagé un chauffeur pendant une période de près de 3 mois. Après la fin du contrat, sont réclamées environ 200 heures supplémentaires, une régularisation de salaire, ainsi que l’indemnité d’entretien de vêtements de travail et des frais de déplacement.

Les parties n’arrivant pas à se rapprocher, un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Marche-en-Famenne).

Position du tribunal

Le tribunal statue en premier lieu sur le respect des barèmes, rappelant la distinction dans ce secteur entre la deuxième catégorie (admise par l’employeur) et la troisième catégorie (réclamée par le travailleur), et ce conformément à la convention collective du 13 octobre 2011 rendue obligatoire par arrêté royal du 20 septembre 2012 (M.B., 11 octobre 2012). La catégorie 3 suppose la connaissance approfondie d’un métier acquise à la faveur d’un apprentissage sérieux, ainsi que l’exercice de celui-ci pendant trois ans au moins avec habileté et rendement.

Si des exemples sont donnés, le tribunal admet que la liste de la convention collective n’est pas limitative et que la fonction exercée par l’intéressé supposait une connaissance particulière, vu qu’il conduisait une balayeuse (fauchage des accotements et balayage public).

Mais c’est sur la question des heures supplémentaires que le tribunal soulève les difficultés existant dans le secteur.

L’employeur explique que l’activité qu’il exerce (préparation de sites et nettoyage public) suppose beaucoup d’imprévus, ainsi que des demandes urgentes (accident de circulation, incident divers, etc.). Les prestations sont tributaires, parfois, des instructions de la Police et une partie des horaires se trouve en dehors du temps normal de travail.

La société expose qu’elle a fait une demande de dérogation en ce qui concerne la durée du travail auprès du SPF. Aucune dérogation ne semble cependant être intervenue.

Existe dans l’entreprise un système de récupération des heures supplémentaires, mais celles-ci ne sont habituellement pas payées.

Ceci amène le tribunal à faire une mise au point sur la question.

La notion d’heures supplémentaires est définie à l’article 29 de la loi sur le travail du 16 mars 1971, étant qu’est à considérer comme tel tout travail effectué au-delà de 9 heures par jour ou de 40 heures par semaine (ou des limites inférieures fixées conformément à l’article 28). Est également à ne pas considérer comme heures supplémentaires le travail effectué dans le respect des conditions et des limites applicables à des régimes de travail particuliers, visés aux articles 20, 20bis, 22 (1° et 2°), ainsi que 23 de la loi.

La loi sur le travail prévoit en son article 29, § 4, qu’une convention collective de travail (conclue conformément à la loi du 5 décembre 1968) peut permettre le remplacement du sursalaire par un repos compensatoire, celui-ci ayant un caractère complémentaire. Dans le cadre d’une telle convention, toute heure supplémentaire qui donne lieu au paiement du sursalaire à un taux de 50% ouvre le droit à un repos d’au moins une demi-heure. Toute heure donnant lieu au paiement d’un sursalaire de 100% ouvre le droit à un repos d’au moins une heure (sauf dérogation, conformément aux articles 20 et suivants de la loi).

L’on ne peut dès lors parler d’« heures supplémentaires » que s’il y a dépassement de la durée hebdomadaire (40 heures) ou journalière (9 heures), sauf régime plus favorable dans des C.C.T., à moins que d’autres conditions et limites autorisées n’aient été respectées. Il s’agit dans ces hypothèses de l’existence d’une C.C.T. ou d’un règlement de travail qui admettrait un dépassement de 9 heures par jour et de 45 heures par semaine : ceci exige une adaptation du règlement de travail. Une seconde hypothèse est l’annualisation ou la trimestrialisation dans certaines hypothèses (articles 25 – surcroît extraordinaire de travail –, 26, § 1er, 3° – nécessités imprévues – et 20bis, § 4). Ces situations ne semblent pas visées en l’espèce. Viennent encore les cas d’équipes successives ainsi que de l’introduction de nouveaux régimes de travail (C.C.T. du C.N.T. n° 42), ainsi que de l’impossibilité d’appliquer les limites des articles 19 et 20, avec autorisation du Roi.

Pour déterminer, cependant, les heures supplémentaires, le tribunal relève qu’il faut en premier lieu définir les heures de prestation elles-mêmes. Dans le secteur, le tribunal relève que le temps de travail rémunéré débute sur le chantier. Le temps de déplacement est indemnisé en tant qu’heures de mobilité. Les trajets visés sont ceux vers le domicile, mais non les trajets effectués en cours de journée pour se rendre au siège d’exploitation de la société.

Le tribunal renvoie à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 10 septembre 2015 (affaire n° C-266/14), qui a précisé la portée de l’article 2.1 de la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, étant que, si les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du temps de travail au sens de la disposition le temps de déplacement consacré aux trajets quotidiens entre le domicile et les sites du premier et du dernier client désigné par leur employeur.

Le tribunal demande aux parties d’examiner les éléments de l’espèce à la lumière de ce principe, aux fins de déterminer notamment si l’indemnité de mobilité correspond à la juste rétribution des heures de travail, telle qu’exigée par la Cour de Justice, le tribunal précisant qu’une question préjudicielle pourrait lui être posée.

Il soulève les difficultés rencontrées en l’espèce, vu l’organisation du travail, la nature des travaux effectués (dérogations possibles en raison de leur nature). S’il est aisé de faire la différence entre les heures réellement prestées sur chantier et les heures de mobilité, qui ne constitueraient pas du temps de travail au sens des conventions collectives applicables au secteur, le tribunal retient que le calcul de l’employeur ne peut être admis, la distinction ne dépendant en effet pas du fait de savoir si les heures de déplacement sont faites pendant les heures de travail, mais bien selon que le déplacement est réalisé par des moyens personnels (auquel cas les indemnités de déplacement et de mobilité sont dues) ou par des moyens mis à disposition par l’employeur (cas impliquant que seule l’indemnité de mobilité le serait). Il faut dès lors distinguer les heures prestées sur chantier et celles qui justifieraient l’octroi d’indemnités de mobilité.

Ces questions exigent une réouverture des débats.

D’autres points annexes sont également examinés par le tribunal (indemnité pour vêtements de travail et frais de déplacement pendant les week-ends).

Intérêt de la décision

Ce jugement du tribunal du travail renvoie très utilement à l’arrêt de la Cour de Justice du 10 septembre 2015 (Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (CC.OO.)). Dans cet arrêt, la Cour de Justice avait rappelé que la Directive 2003/98 a pour objet de fixer les prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des réglementations nationales concernant notamment la durée du temps de travail (considérant 23). Il s’agit d’aller dans le sens d’une harmonisation au niveau de l’Union européenne en matière d’aménagement du temps de travail afin de garantir une meilleure protection de la sécurité de la santé des travailleurs en faisant bénéficier ceux-ci de périodes minimales de repos – notamment journalier et hebdomadaire –, ainsi que de périodes de pause adéquates et en prévoyant un plafond de 48 heures pour la durée moyenne de la semaine de travail, limite maximale qui inclut les heures supplémentaires. La Cour avait renvoyé à divers arrêts de la sa jurisprudence.

Elle avait repris également sa définition du « temps de travail », étant qu’il s’agit de toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou aux pratiques nationales. La même notion doit être appréhendée par rapport à la période de repos, ces deux notions étant exclusives l’une de l’autre (considérant 25).

En l’espèce, l’application de ces principes au secteur de la construction nécessitera d’attendre le jugement rendu après la réouverture des débats fixée au 24 novembre 2016. Le tribunal a déjà indiqué qu’il pourrait être amené à interroger la Cour de Justice de l’Union européenne.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be