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Accident du travail dû aux conditions atmosphériques : un rappel complet des principes

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 27 juin 2016, R.G. 2015/AL/196 et 2015/AL/250

Mis en ligne le vendredi 13 janvier 2017


Cour du travail de Liège, division Liège, 27 juin 2016, R.G. 2015/AL/196 et 2015/AL/250

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 juin 2016, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle, dans la ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation, que le gel (froid intense) peut être un événement soudain et être l’élément déclencheur d’un accident du travail.

Les faits

Un ouvrier fumiste se voit affecté à des travaux de démolition d’un incinérateur pendant plusieurs jours (1er décembre – 4 décembre 2010). Les travaux se font au marteau-piqueur et à l’extérieur, dans le gel (la température allant entre –4 °C et –7 °C).

Le mois suivant, il constate un engourdissement douloureux des doigts et consulte. L’on croit diagnostiquer une maladie « de Raynaud » débutante. Il est ensuite hospitalisé au service de chirurgie cardio-vasculaire d’un centre hospitalier pour ischémie des extrémités des deux mains, surtout à droite. En fin de compte, il sera amputé des dernières phalanges des trois premiers doigts de la main droite.

Parallèlement, une demande a été introduite auprès du F.M.P. dans la liste (atteinte des membres supérieurs – code 1.605.02). Le F.M.P. rejette celle-ci un an plus tard, concluant … à un accident du travail.

C’est alors que la demande d’accident du travail a été introduite par l’intéressé, son employeur restant en défaut de ce faire.

Dans la déclaration d’accident envoyée à l’assurance qui couvre le risque d’accident du travail de l’employeur, les faits consistent en un travail sur deux chantiers, travail de démolition au marteau-piqueur alors qu’il gelait. Il est médicalement relevé que les doigts se sont ankylosés et sont devenus insensibles.

Un recours judiciaire a été introduit contre la décision du F.M.P. ainsi que contre une décision de refus de l’assurance, intervenue suite à la déclaration, au motif d’une part de l’absence d’événement soudain et, d’autre part, de l’existence… d’une maladie professionnelle.

Le Tribunal du travail de Liège (division Huy) a considéré par jugement du 6 février 2015 qu’il y avait un accident du travail. Le F.M.P. a été mis hors cause et un expert judiciaire a été désigné.

L’assureur a interjeté appel.

La décision de la cour

La cour pose une première question, étant de déterminer si l’on se trouve dans le cadre d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, relevant que le critère de distinction est la soudaineté de l’événement qui est à l’origine des lésions.

Elle renvoie aux principes d’appréciation du critère de soudaineté eu égard aux exigences d’instantanéité et d’immédiateté. La notion de soudaineté a en la matière pris un sens autonome et distinct. Si ce qui est immédiat ou instantané est retenu, ceci ne constitue pas une exigence de la définition. L’événement peut même être permanent, durable, soit par nature, soit dans une circonstance déterminée, et la cour de renvoyer aux cas cités du vent, des intempéries, du feu, du courant électrique, des rayons d’énergie nucléaire, etc.

Ce qui importe c’est de pouvoir donner à l’événement une date certaine. Il faut pouvoir le situer dans le temps. La cour du travail rappelle que c’est la Cour de cassation française qui a donné cette définition dans plusieurs arrêts, dont un du 25 juin 1964 (Cass. fr. civ., sect. soc., 25 juin 1964, Dall., 1964, p. 529). Les exemples en jurisprudence se réfèrent en général à un délai raisonnable, à un délai raisonnablement confiné, à un certain laps de temps ou encore à un laps de temps court.

Des critères particuliers peuvent intervenir et relativiser la durée retenue. La cour du travail rappelle que la force de résistance de la victime à la surcharge intervient également.

Dans un ancien arrêt du 5 novembre 1965 (Cass., 5 novembre 1965, Pas., 1966, I, p. 299), la Cour de cassation avait admis une intoxication due à l’inhalation de gaz toxiques, qui s’était prolongée pendant plusieurs jours, la Cour ayant retenu l’accident du travail, dans la mesure où il suffit qu’à un moment donné, l’événement fasse subitement fléchir la capacité de résistance de l’ouvrier.

Par ailleurs, dans une situation qui perdure, l’on peut prendre en compte les dernières manifestations de celle-ci. Dès lors, une certaine persistance de l’événement soudain peut être admise et il est renvoyé à un important arrêt du 28 avril 2008 (Cass., 28 avril 2008, n° S.07.0079.N), où la Cour de cassation a admis que constitue un événement soudain le fait de lier des fers à béton dans une position inconfortable, la cour du travail ayant constaté que l’intéressé avait été accroupi dans un espace confiné sur la pointe des pieds, alors qu’il portait des chaussures de sécurité et qu’il était resté dans cette position pendant cinq heures. Dans cet arrêt, la Cour de cassation n’établit pas de limite de durée, laissant ce soin au juge du fond.

Suite à cette décision, il a été jugé notamment, comme le rappelle la cour du travail, que pouvaient être retenus des travaux exécutés pendant deux jours et demi dans un contexte d’exposition à un produit de peinture ayant intoxiqué le travailleur ou le fait de pelleter pendant plusieurs jours, dans la mesure où l’accident s’est produit à un moment bien déterminé.

En outre, les circonstances atmosphériques peuvent également donner lieu à un accident du travail, ainsi un froid exceptionnel. Le fait que ce froid ait persisté n’enlève en rien à la sensation de froid son caractère d’événement soudain. La cour admet, dès lors, qu’il y avait un tel événement soudain en l’espèce et que les séquelles doivent être réparées dans le cadre de la loi sur les accidents du travail.

En ce qui concerne les séquelles, il y a une discussion d’ordre médical et la cause est renvoyée devant le premier juge, qui avait désigné un expert judiciaire.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend, dans une espèce intéressante, la ligne de démarcation entre la réparation du risque professionnel dans le secteur des accidents du travail et dans celui des maladies professionnelles, étant qu’il y a lieu de déterminer si existe un fait accidentel pouvant répondre aux conditions exigées de l’événement soudain au sens de la loi du 10 avril 1971.

En l’espèce, la cour a scrupuleusement rappelé l’acception de la notion, remontant d’ailleurs à un très ancien arrêt rendu par la Cour de cassation du 5 novembre 1965, où était déjà appliqué le principe : l’exposition à un risque pendant plusieurs jours peut constituer l’événement soudain requis. Celui-ci est, par ailleurs, multiforme.


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