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Maladie professionnelle : aggravation d’une maladie supprimée de la liste

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 30 août 2016, R.G. 2015/AL/116

Mis en ligne le vendredi 13 janvier 2017


Cour du travail de Liège, division Liège, 30 août 2016, R.G. 2015/AL/116

TERRA LABORIS

Dans un arrêt du 30 août 2016, la Cour du travail de Liège examine les conditions dans lesquelles peut être admise l’aggravation d’une pathologie précédemment reconnue dans le système de la liste mais qui n’y figure plus : l’exposition au risque initialement admise doit être retenue et la procédure est à examiner dans le système ouvert.

Les faits

Un ouvrier, qui a commencé à travailler à l’âge de 15 ans, a effectué des travaux lourds. Il a été prépensionné à 55 ans et, dix-sept ans auparavant, il avait introduit une demande de réparation pour maladie professionnelle. La demande avait été faite pour une maladie de la liste et elle fut accueillie, le Fonds admettant une incapacité permanente de 6% (4% d’incapacité physiologique + 2% de FSE). Une demande en aggravation a été introduite six ans plus tard et a abouti à une majoration de l’incapacité permanente de 2%, ceux-ci étant d’ordre physiologique.

En 2002, le code pour lequel la maladie avait été introduit (1.605.01 – maladies ostéo-articulaires provoquées par les vibrations mécaniques) a été abrogé et scindé en deux autres codes, l’un visant les affections ostéo-articulaires des membres supérieurs provoquées par les vibrations mécaniques (code 1.605.11) et l’autre, les affections de la colonne lombaire associées à des lésions dégénératives précoces provoquées par de telles vibrations transmises au corps par le siège (code 1.605.12). Un arrêté royal du 27 décembre 2004 a de nouveau changé les règles, ce second code étant abrogé et un nouveau ayant alors été introduit, visant le syndrome mono ou polyradiculaire objectivé de type sciatique, syndrome de la queue de cheval ou syndrome du canal lombaire étroit (code 1.605.03).

L’intéressé ayant introduit une nouvelle demande d’aggravation en 2010, il visait ainsi l’aggravation d’une pathologie qui n’existait plus dans l’arrêté royal. Le dossier fut cependant traité dans le cadre du code introduit en 2004, comme s’il s’agissait d’une nouvelle demande. La décision du Fonds a été de maintenir le taux précédent.

Un recours a été introduit devant le tribunal du travail, l’intéressé demandant que soient admis 14% d’incapacité physiologique pour une maladie hors liste.

Un expert fut désigné par le tribunal avec une « mission hors liste » aux fins de vérifier l’incapacité, l’exposition au risque mais aussi l’existence d’un lien de causalité déterminante et directe entre l’exposition et la maladie. L’expert a conclu à la reconnaissance d’une maladie professionnelle dans ce cadre. Suite au dépôt de ce rapport, le tribunal conclura à un taux de 11%, les facteurs économiques ayant été portés à 3%.

La cour du travail est saisie de l’appel du FMP.

Décision de la cour

Après un renvoi aux règles de preuve dégagées par la doctrine (la cour citant S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013, p. 484), la cour retient que l’intéressé avait introduit une demande de réparation pour une maladie « dans la liste », maladie qui a été reconnue à l’époque, soit en 1990. La question se pose du sort de l’aggravation (la dernière) introduite alors que la maladie ne figurait plus dans la liste.

L’article 36, alinéa 1er des lois coordonnées prévoit, sur cette question, qu’en cas de suppression de l’inscription de la maladie ou de modification de son libellé, la personne conserve les droits acquis, étant la réparation admise, sans préjudice de toute autre disposition en matière de réparation. Pour le code concerné (1.605.12), il est prévu dans l’arrêté royal du 25 février 2007, relatif aux droit des victimes atteintes d’affections dorsales résultant d’une exposition à des vibrations mécaniques, que l’aggravation sera prise en compte si l’affection et l’exposition au risque admises correspondent à la maladie nouvellement identifiée sous le code 1.605.03. Tel n’est pas le cas en l’espèce, raison pour laquelle l’intéressé poursuit sa demande d’aggravation dans le système « hors liste ».

La cour en vient ensuite à l’exposition au risque professionnel au sens de l’article 32 de la loi, étant que celle-ci doit être inhérente à l’exercice de la profession et être nettement plus grande que celle subie par la population en général dans la mesure où cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées et selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie.

Renvoyant toujours à la même doctrine, elle retient qu’il existe une causalité à vérifier même s’il ne s’agit que d’une causalité potentielle. Il faut en effet distinguer la causalité collective inhérente à la notion d’exposition et le lien causal direct déterminant, qui constitue la troisième condition d’octroi de l’indemnisation. L’exposition au risque suppose l’existence d’une causalité théorique potentielle et, selon les propres termes de l’arrêt, rien de plus.

La cour relève qu’en l’espèce, il n’y a pas de trace de l’enquête de l’exposition faite lors de la demande originaire, celle-ci devant cependant s’être conclue favorablement. L’instruction du dossier est en outre rendue plus difficile dès lors que les examens successifs sont intervenus dans le cadre de critères de référence qui ont varié.

Peu importe, cependant, que la pathologie soit codifiée ou non et que le nom du code ait évolué ou non, l’intéressé a été soumis à des vibrations mécaniques importantes. Pour la cour, l’exposition au risque est une donnée largement factuelle. Exiger la persistance de l’exposition reviendrait à nier le caractère évolutif de nombreuses pathologies alors que celles-ci peuvent continuer à se développer parce qu’un processus a débuté et alors même que le facteur déclenchant ou aggravant a disparu.

Elle relève encore que l’exclusion d’une maladie de la liste de l’arrêté royal du 8 mars 1969 n’a, en tant que telle, aucune influence sur l’exposition au risque.

Pour ce qui est du lien causal, elle reprend l’arrêt de la Cour de cassation du 2 février 1998 (Cass., 2 février 1998, RG n° S.97.0109.N), la Cour ayant dans celui-ci jugé qu’il ne ressort pas des travaux parlementaires que, par les termes « déterminante et directe », l’article 30bis exige que le risque professionnel soit la cause exclusive ou même principale de la maladie. En outre, le lien de causalité prévu par cette disposition entre l’exercice de la profession et la maladie ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la cause exclusive de celle-ci. La disposition n’exclut pas une prédisposition et n’impose pas que l’ayant droit établisse l’importance de l’influence exercée par celle-ci.

Renvoyant encore à la doctrine de S. REMOUCHAMPS (ibid. idem), elle retient que le lien causal doit être considéré comme existant dès lors que, sans le risque, la maladie ne serait pas survenue telle quelle. Dès que l’exposition a aggravé la maladie, le lien causal est présent. Tel est le cas en l’espèce, ainsi qu’il ressort des conclusions de l’expert.

Enfin, sur la réparation des facteurs socio-économiques, la cour reprend l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 11 septembre 2006 (Cass., 11 septembre 2006, RG n° S.05.0037.F), selon lequel l’incapacité permanente répare la perte ou la diminution de potentiel économique de la victime sur le marché général du travail. Parmi les critères à retenir pour évaluer l’étendue du dommage, figure certes l’existence d’une incapacité physiologique mais le taux de cette dernière ne constitue pas nécessairement l’élément déterminant pour évaluer le degré de l’incapacité permanente.

La cour considère dès lors devoir confirmer le jugement.

Intérêt de la décision

L’évolution de la réglementation intervenue en 2002 et 2004 autour des codes retenus en vue de l’indemnisation des vibrations mécaniques n’a pas fini de poser question.

La Cour du travail de Liège retient, dans cet arrêt du 30 août 2016, une solution logique et équilibrée.

Dans la mesure où l’aggravation ne peut plus être demandée dans le cadre de la liste, l’affection originaire ayant disparu, la victime est autorisée à poursuivre l’indemnisation dans le cadre du système ouvert.

L’exposition au risque professionnel telle que retenue initialement doit valoir dans le cadre de cette demande en aggravation, et la cour retient qu’exiger la persistance de l’exposition reviendrait à nier le caractère évolutif de nombreuses pathologies alors qu’elles peuvent encore continuer à se développer même si le facteur déclenchant a disparu.

Quant au lien causal, c’est la jurisprudence de la Cour de cassation qui est rappelée, à juste titre, étant que le lien de causalité entre l’exercice de la profession et la maladie ne requiert pas que cet exercice soit la cause exclusive de celle-ci. Une prédisposition peut exister et par ailleurs, l’ayant droit ne doit pas établir l’importance de l’influence exercée par cette dernière.


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