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Réviseurs d’entreprise et contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 août 2016, R.G. 2014/AB/895

Mis en ligne le vendredi 27 janvier 2017


Cour du travail de Bruxelles, 9 août 2016, R.G. 2014/AB/895

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 août 2016, la Cour du travail de Bruxelles examine l’adéquation entre une convention de collaboration indépendante et les conditions effectives de celle-ci, s’agissant d’un réviseur d’entreprise prestant pour un bureau de réviseurs en exécution d’une convention qui renvoie expressément au statut de travailleur indépendant.

Les faits

L’ONSS poursuit la condamnation d’un bureau de réviseurs d’entreprise pour l’assujettissement d’un « collaborateur indépendant ».

Celui-ci a travaillé pour ce bureau depuis 1992 et les conditions de l’engagement visaient distinctement le statut d’indépendant. Des instructions étaient données quant aux heures de prestations, du lundi au vendredi, de 9hrs à 18hrs et il était également prévu de devoir « occasionnellement » faire face à des pointes d’activité. Une période de 20 jours ouvrables de congés rémunérés par an figurait également dans la convention, la société prévoyant en outre le paiement d’une indemnité kilométrique au barème des agents de l’Etat. Enfin, une indemnité pour repas pris les journées passées en dehors de l’agglomération bruxelloise était prévue.

Il a été mis fin à la collaboration d’indépendant un an plus tard, la société considérant devoir y mettre un terme eu égard à la manière selon laquelle la collaboration avait été apportée. Il était cependant prévu de discuter des modalités financières du départ.

L’intéressé fit alors valoir qu’il considérait avoir travaillé comme employé et fit intervenir son organisation syndicale, de même que l’ONSS.

En janvier 1996, l’ONSS demanda dès lors condamnation de la société au paiement des cotisations de sécurité sociale pour la période d’occupation (neuf trimestres).

Une deuxième demande fut introduite par l’Office et les deux procédures pendantes devant le tribunal furent jointes.

L’affaire n’a manifestement plus bougé jusqu’en 2014, les intérêts, fixés à ce moment, étant de plus de 21.000€.

Par jugement du 24 juillet 2014, le tribunal a débouté l’ONSS, au motif que n’existaient pas d’éléments incompatibles avec la qualification conventionnelle.

L’ONSS saisit la cour du travail.

Décision de la cour

La cour reprend les principes sur la question, étant les conditions d’existence d’un contrat de travail. Elle rappelle l’abondante jurisprudence de la Cour de cassation et insiste sur l’arrêt rendu le 23 décembre 2002 (Cass., 23 décembre 2002, J.T.T., 2003, p. 271), qui a retenu que n’étaient pas incompatibles avec le statut de travailleur indépendant le fait que le collaborateur ne disposait pas, en raison des prestations attendues de lui, du temps qui lui aurait permis de satisfaire une clientèle personnelle, le fait que le commettant fixe les prix, ainsi que l’absence d’indices d’une quelconque autonomie de gestion ou de propriété du fonds de commerce et encore la circonstance que l’outillage, les locaux et les matériaux étaient fournis par le commettant et le fait que le prestataire ne prenait pas en charge le risque économique ou financier.

C’est l’application de l’article 1134 du Code civil. Il en découle que, si les parties ont qualifié leur convention de manière claire et même non écrite, le juge ne peut y substituer une qualification différente si les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d’exclure la qualification conventionnelle. La cour renvoie ici à un arrêt de sa propre jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 4 septembre 2013, R.G. n° 2012/AB/96).

En l’espèce, même s’il n’y a pas eu de convention écrite, la lettre d’engagement renvoie au statut d’indépendant.

La cour examine, dès lors, successivement les critères de l’organisation du temps de travail, ainsi que de liberté de travail et d’organisation de celui-ci.

Elle constate que la société a prévu un régime en matière de congés (congés d’affilée). Est également prévue la possibilité de congés pour convenances personnelles, et ce à prendre dans des conditions déterminées. La cour conclut ici à une liberté de choix du collaborateur extrêmement réduite.

Il en va de même pour les horaires de prestations.

Il ressort par ailleurs de la teneur de notes et d’instructions de travail que les prestations du réviseur faisaient l’objet d’un encadrement général de la part de la société. Si elles peuvent être considérées comme des directives qualifiées de « assez générales », il y a néanmoins des instructions précises et/ou impératives, notamment la fixation de réunions d’office, le renvoi à des « instructions de travail », des instructions en matière de suivi d’avancement des contrôles et enfin, la demande d’affichage des plannings individuels.

Pour la cour, un encadrement aussi précis de l’activité professionnelle va au-delà du respect de directives générales et particulièrement au-delà de ce qu’imposent les règles de la profession de réviseur d’entreprises.

La cour pointe particulièrement le contrôle hiérarchique, celui-ci n’étant pas compatible avec le statut de travailleur indépendant. Il faut encore y ajouter une restriction quant au choix du lieu de résidence – dont la cour retient d’ailleurs qu’il s’agit d’une intrusion excessive dans la vie privée.

La conclusion est que, eu égard aux éléments produits, l’appel de l’ONSS est fondé.

Une réouverture des débats est cependant ordonnée sur certains points du dossier insuffisamment instruits, dont la question du montant exact des cotisations.

En ce qui concerne les intérêts, il est demandé que ceux-ci soient suspendus pendant une partie de la procédure, celle-ci ayant excédé les limites du délai raisonnable.

Examinant la jurisprudence de la Cour européenne rendue dans le cadre de l’article 6, § 1er de la CEDH, la cour rappelle que le caractère raisonnable s’apprécie eu égard aux circonstances de la cause. Il a été dépassé en l’espèce, s’agissant d’un litige « relativement simple » qui a cependant connu plus de vingt ans de procédure.

Relevant l’inertie de l’ONSS pendant une période déterminée, la cour suspend les intérêts pendant quatorze mois pour une première période et pendant huit ans ensuite.

Intérêt de la décision

Si la conclusion de la cour du travail est un classique, eu égard à la méthode suivie et aux éléments d’appréciation retenus, l’intérêt de la décision réside dans la profession visée, étant celle de réviseur d’entreprise.

La cour y a relevé que, particulièrement eu égard à celle-ci, les instructions atteignaient un degré de précision tel qu’elles signifiaient un contrôle hiérarchique. Les éléments retenus vont au-delà de simples directives et la cour renvoie dans son examen aux règles régissant la profession.

L’arrêt contient un second point d’intérêt, étant le rappel des conditions dans lesquelles les intérêts peuvent être suspendus en cours de procédure, en cas d’inertie avérée d’une partie.


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