Terralaboris asbl

Exportabilité des pensions hors Union Européenne

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 août 2016, R.G. 2011/AB/951

Mis en ligne le vendredi 27 janvier 2017


Cour du travail de Bruxelles, 9 août 2016, R.G. 2011/AB/951

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 août 2016, la Cour du travail de Bruxelles met un terme à un litige important sur le plan des principes, relatif à la justification de la suspension du paiement des pensions aux travailleurs étrangers résidant dans un pays avec lequel la Belgique n’a pas conclu d’accord de réciprocité. La cour du travail s’appuie ici sur l’arrêt de la Cour de cassation rendu sur la question le 15 décembre 2014.

Les faits

Une citoyenne camerounaise, dont le conjoint avait travaillé en Belgique, demande le bénéfice d’une pension de survie, suite au décès de ce dernier. L’ONP admet celle-ci mais en refuse le paiement en application de l’article 27 de l’arrêté royal n° 50, étant qu’il s’agit d’une ressortissante d’un Etat avec lequel aucun accord international ou bilatéral de sécurité sociale n’a été conclu.

Rétroactes de la procédure

L’intéressée avait introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles en 2010 et il y a été fait droit par jugement du 6 septembre 2011. Le tribunal a dès lors condamné l’ONP à payer la pension, de l’ordre de 180€ par an.

Pour le premier juge, les justifications « objectives et raisonnables » susceptibles d’éviter une discrimination prohibée font défaut et le tribunal renvoie à l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la CEDH (combiné avec l’article 14 de celle-ci).

Appel a été interjeté et la cour du travail a rendu un premier arrêt le 6 février 2013. Dans cet arrêt, elle a rappelé que sur la base de l’article 27, alinéa 1er de l’arrêté royal n° 50, une différence de traitement existe entre belges et étrangers résidant à l’étranger : pour les belges, la pension peut être payée normalement mais pour les étrangers, le paiement est suspendu.

Le fait de suspendre le paiement de la pension peut cependant être attentatoire à l’article 1er du Premier Protocole additionnel de la CEDH. Il s’agit d’un droit patrimonial et la prestation sociale ne peut être réduite que pour autant qu’il y ait un motif « d’utilité publique ». Les différences de traitement dans l’octroi des prestations sociales ne peuvent, pour la cour, être admises que moyennant une justification appropriée. Ici, la différence de traitement constatée est fonction de la nationalité, si l’on compare la situation d’un belge et d’un étranger résidant tous les deux à l’étranger.

La cour du travail décide dès lors d’interroger la Cour constitutionnelle, d’autant que l’article 65, §1er de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 a prévu des catégories d’étrangers dits « privilégiés » auxquels ne s’applique pas la règle qui concerne les étrangers dits « ordinaires ».

La Cour constitutionnelle a répondu par arrêt du 6 juin 2014 (C. const., 6 juin 2014, n° 86/2014). Elle a considéré dans celui-ci qu’il n’y avait pas violation des articles 10 et 11 de la Constitution, non plus que des articles 16 (combiné avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel) et 191.

L’affaire revient, dès lors, devant la Cour du travail de Bruxelles qui vide sa saisine par cet arrêt du 9 août 2016.

Décision de la cour

Après avoir rappelé les dispositions réglementaires ci-dessus, la cour retient que la discussion se focalise sur un seul point, étant que l’intéressée est en principe exclue de la possibilité de toucher sa pension de survie, au motif qu’elle est ressortissante d’un pays avec lequel la Belgique n’a pas conclu de convention de sécurité sociale.

Il faut, selon l’arrêt, examiner cette différence de traitement entre catégories d’étrangers à la lumière des articles 1er du Premier Protocole et 14 de la CEDH. Elle renvoie à la jurisprudence des arrêts GAYGUSUZ et STEC. Il faut dès lors rechercher s’il y a une justification appropriée à la situation. La différence de traitement en l’espèce est fondée uniquement sur la nationalité.

La cour rappelle cependant que dans une autre affaire qui peut être comparée au cas d’espèce examiné, la Cour de cassation a été amenée à statuer par arrêt du 15 décembre 2014 (S.12.0081.F). Dans cet arrêt, la Cour de cassation a relevé que la volonté exprimée dans les travaux préparatoires de l’article 27 d’inciter tous les Etats à conclure avec la Belgique des accords de réciprocité ne constitue pas une considération très forte de nature à justifier la suspension du paiement de la retraite de travailleurs étrangers résidant sur le territoire d’un Etat avec lequel la Belgique n’a pas conclu d’accord. En conséquence, pour la Cour de cassation, dans cet arrêt – dont la cour du travail reprend de très larges extraits – la circonstance qu’il n’y ait pas de convention de sécurité sociale est sans incidence dès lors que rien n’indique que si une telle convention existait, le contrôle du respect des conditions de paiement de la pension aurait pu être différent et que l’absence de signature d’une convention bilatérale n’est pas de nature à justifier la différence de traitement. Il n’est dès lors pas satisfait à l’exigence de l’article 14 de la CEDH selon laquelle il faut prouver l’existence de considérations très fortes.

Pour la cour du travail, cette jurisprudence de la Cour de cassation doit être appliquée dans le présent cas et l’absence de convention est sans incidence. La volonté éventuelle d’inciter l’Etat du Cameroun à signer une convention n’est pas une considération très forte, qui pourrait justifier la suspension du paiement de la pension à l’intéressée. En conséquence, la cour laisse inappliqué l’article 27 et conclut que l’ONP doit verser la pension en cause.

Intérêt de la décision

Cet arrêt met un terme à cette seconde affaire, importante, sur la question. La cour renvoie à une décision de la Cour de cassation du 15 décembre 2014, qui avait rejeté un pourvoi contre l’arrêt de la même cour du travail du 21 mars 2012 (C. trav. Bruxelles, 21 mars 2012, R.G. n° 2009/AB/52.543) concernant un citoyen malgache (pension de retraite). Cet arrêt de la Cour de cassation faisait également suite à un premier arrêt de la Cour suprême du 27 mai 2013 (Cass., 27 mai 2013, n° S.12.0081.F) dans lequel la Cour constitutionnelle avait été interrogée. Celle-ci rendit, ainsi, l’arrêt du 6 juin 2014 (n° 86/2014), joignant les deux questions préjudicielles.

La Cour de cassation a jugé dans cet arrêt (final, du 15 décembre 2014) qu’il fallait conclure à l’absence de considérations très fortes de nature à justifier que le paiement de la pension de travailleurs étrangers résidant sur le territoire d’un Etat avec lequel un accord de réciprocité n’avait pas été conclu soit suspendu.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be