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Eléments déterminants dans la qualification de la relation de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 septembre 2016, R.G. 2015/AB/776

Mis en ligne le lundi 13 mars 2017


Cour du travail de Bruxelles, 9 septembre 2016, R.G. 2015/AB/776

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 septembre 2016, statuant à propos d’un interprète juré, la Cour du travail de Bruxelles pose la question des contraintes liées à l’exercice de la profession en tant qu’éléments d’appréciation de l’existence d’un contrat de travail.

Les faits

L’I.N.A.S.T.I. a introduit une procédure en paiement de cotisations, contre un interprète, qui a effectué des prestations à la demande des tribunaux et des services du Procureur du Roi, prestations pour lesquelles il a été rémunéré par le SPF Justice.

Considérant qu’il y a exercice d’une activité professionnelle dans le cadre d’une relation de travail indépendante, l’I.N.A.S.T.I. demande paiement de cotisations de l’ordre de 11.000 €.

L’intéressé conteste, considérant ne pas devoir être affilié en qualité de travailleur indépendant.

Suite au recours introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, il est débouté par jugement du 8 juillet 2015. L’Etat belge (SPF Justice) est intervenu volontairement à la cause, de telle sorte que l’intéressé, qui interjette appel, forme une demande à la fois contre l’I.N.A.S.T.I. et contre l’Etat belge.

Pour l’intéressé, ses prestations ont été occasionnelles. Il sollicite que l’Institut annule la décision d’affiliation d’office et, à titre subsidiaire, demande la condamnation de l’Etat belge à régulariser la situation dans le cadre de la sécurité sociale des travailleurs salariés.

La position de la cour

La cour examine la situation particulière des traducteurs et interprètes appelés à prester pour les tribunaux et les parquets (étant « requis » par ceux-ci).

Elle constate que ceux-ci n’ont pas de statut et ne sont pas engagés dans le cadre d’un contrat de travail exprès. Il s’agit dès lors de fonctions exercées conformément à l’arrêté royal n° 38 organisant le statut social des travailleurs indépendants. Le principe est l’assujettissement du prestataire de services au statut social. Celui-ci peut cependant établir que, vu l’existence d’un lien de subordination, il y avait contrat de travail et, dès lors, qu’il ne doit pas être assujetti. C’est la thèse que l’appelant, qui considère d’une part qu’il avait une activité occasionnelle et, d’autre part, que celle-ci s’exerçait dans le cadre d’un lien de subordination.

La cour examine dès lors, logiquement, en premier lieu la nature de la relation de travail. Les critères passés en revue sont, en premier, la rémunération des prestations de l’interprète. Pour celles-ci existe un tarif fixé par arrêté royal. Quant au moment où il devait les effectuer, l’interprète n’avait le choix ni du jour ni de l’heure, ces points étant fixés par l’autorité judiciaire.

Il existe en outre une vérification de la qualité des prestations, prévue à l’article 3, alinéa 2, de la loi-programme (II) du 27 décembre 2006. Cette vérification est effectuée par le magistrat, ainsi que le contrôle de la conformité de la rémunération à la tarification légale et la taxation de l’état de frais.

Enfin, la cour relève que ces interprètes ne peuvent refuser les missions, sous peine d’amende (celle-ci étant prévue à l’alinéa 4 de la même disposition).

Il faut dès lors déterminer s’il y avait contrat de travail ou non et la cour renvoie ici aux critères des articles 331 à 334 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, dont elle reprend le texte, en ce compris, pour ce qui est de l’article 332, les versions successives, une modification étant intervenue à partir du 21 septembre 2012.

Il y a dès lors lieu, dans la mesure où les parties n’ont pas fait le choix d’une qualification pour leur relation de travail, de vérifier les modalités d’exécution des prestations. Il ne fait pas de doute que le travailleur ne disposait pas de la liberté d’organisation de son temps de travail, non plus que de la liberté d’organisation du travail lui-même. La cour rappelle l’existence de l’amende prévue par la loi-programme (II) du 27 décembre 2006. Par ailleurs, existe bel et bien un contrôle hiérarchique sur l’interprète. Celui-ci est tiré du rôle du magistrat dans la vérification des prestations de travail (qualité, conformité et taxation de l’état de frais). La cour souligne encore la possibilité pour le magistrat de réduire l’état de frais, et ce par décision motivée.

L’ensemble de ces éléments milite, selon le texte de l’arrêt, en faveur de l’existence d’un contrat de travail, mais se posent néanmoins des questions qui n’ont pas été abordées par les parties en l’état, questions relatives aux contraintes inhérentes à l’exercice de la profession.

L’article 333, § 2, de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 prévoit en effet que, sans préjudice de l’article 332 lui-même, les contraintes inhérentes à l’exercice de la profession, imposées par ou en vertu d’une loi, ne peuvent être prises en considération pour apprécier la nature de la relation de travail.

La question reste dès lors entière, pour la cour, de savoir si les contraintes relevées ci-dessus ne constituent pas des contraintes inhérentes à l’exercice de la profession d’interprète pour compte de l’Etat belge. La cour relève en outre l’existence d’une possible contradiction entre l’article 332 et l’article 333, § 2, de la loi.

Elle ordonne dès lors la réouverture des débats sur la question.

Intérêt de la décision

Cet arrêt – bref – présente un intérêt tout à fait particulier, non seulement pour la question de la qualification de la relation de travail, mais également pour les spécificités de la profession d’interprète juré.

Pour ce qui est de la méthode retenue par la cour, il s’agit d’une application des critères énumérés par la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, étant (i) la recherche de la qualification éventuelle donnée par les parties à leur relation de travail, (ii) le contrôle de l’organisation du temps de travail, (iii) le contrôle de l’organisation du travail lui-même et (iv) un contrôle hiérarchique.

Ces trois derniers critères sont relevés, en l’espèce, le peu de liberté laissé au prestataire étant souligné par la cour.

La question se pose, cependant, eu égard aux spécificités de la profession. S’il ne fait aucun doute que, dans la très grande majorité des cas, les interprètes de conférence ont un statut de travailleur indépendant (voire un statut européen ou international), il s’agit en l’espèce de prestataires requis par l’Etat belge dans les conditions prévues par la loi-programme (II) du 27 décembre 2006.

Celle-ci énumère – vu les spécificités de la mission – des contraintes, qui font apparaître un contrôle serré des prestations de l’interprète par l’Etat belge. Pour la cour du travail, ces contraintes peuvent être inhérentes à l’exercice de la profession elle-même, mais ne pas être révélatrices de l’existence d’un lien de subordination. Elle ne tranche cependant pas, à ce stade, les parties étant tenues de développer leur argumentation sur la question soulevée. La cour demande également des développements sur l’application des articles 332 et 333 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006…

Affaire à suivre avec grand intérêt donc. L’audience de réouverture des débats est fixée au 14 avril 2017.


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