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Maladies professionnelles et extension de la demande au système ouvert : l’arrêt attendu de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 12 décembre 2016, n° S.15.0068.F

Mis en ligne le mardi 14 mars 2017


Cour de cassation, 12 décembre 2016, n° S.15.0068.F

Terra Laboris

Par arrêt du 12 décembre 2016, la Cour de cassation tranche la controverse relative à la recevabilité dans la procédure judiciaire de l’extension au système ‘ouvert’ d’une demande de réparation introduite dans le système de la liste.

Faits de la cause

Le 31 juillet 2008, Mr C. a introduit auprès du FMP une demande d’indemnisation d’une maladie figurant sur la liste des maladies professionnelles établie par l’A.R. du 28 mars 1969 sous le code 1.605.03, à savoir : « syndrome mono ou polyradiculaire objectivé de type sciatique, syndrome de la queue de cheval ou syndrome du canal radiculaire étroit :

  • consécutif à une hernie discale dégénérative provoquée par le port de charges lourdes ou par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège, à la condition que le syndrome radiculaire se produise pendant l’exposition au risque professionnel ou, au plus tard un an après la fin de cette exposition,

ou

  • consécutif à une spondylose-spondylarthrose dégénérative précoce au niveau L-4-L-5 ou L-5-S1, provoquée par le port de charges lourdes ou par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège. »

Par décision notifiée le 17 novembre 2009, le FMP a rejeté cette demande au motif que Mr C. n’avait pas été exposé au risque de cette maladie pendant toute ou partie de la période pendant laquelle il appartenait à une des catégories de personnes visées à l’article 2 des lois coordonnées du 3 juin 1970 (ci-après L.C.).

Cette décision a été contestée par Mr C.

Le tribunal du travail de Charleroi a désigné un expert avec une mission portant sur les conditions d’application de cette maladie professionnelle. Celui-ci a conclu que Mr C. a été soumis au risque d’une arthrose lombaire objectivée et a présenté une arthrose ayant entraîné une lombo-cruralgie mais que celle-ci n’a entraîné ni symptômes subjectifs ni signes objectifs évocateurs d’un syndrome mono ou poly-radiculaire correspondant à la définition de la maladie professionnelle dont la réparation était poursuivie.

Mr C. a alors, par conclusions, introduit une demande nouvelle sur la base de l’article 807 du code judiciaire, portant sur un complément d’expertise en vue de se voir indemniser dans le système ouvert des maladies hors liste.

Par jugement du 12 septembre 2013, le tribunal en a débouté Mr C., au motif que la demande nouvelle ne portait pas sur des faits mentionnés dans la demande originaire.

Mr C. a interjeté appel de cette décision, réitérant sa demande de voir ordonner un complément d’expertise.

L’arrêt attaqué

Par un arrêt du 24 juin 2014 (R.G. n° 2013/AM/401 sur Juridat et sur www.terralaboris.be), la troisième chambre de la cour du travail de Mons confirme le jugement.

Elle indique que « le respect du préalable administratif s’impose non seulement pour la demande introductive d’instance, mais également pour les demandes incidentes formées au cours de cette instance ».

Elle examine les arrêts de la Cour de cassation des 8 décembre 1980 (Pas. 1981, 399) et 15 juin 1981 (Pas. 1981, 1175) ayant posé en règle qu’il n’existe pas, en matière de réparation des dommages résultant des maladies professionnelles, de principe de droit dont l’application serait incompatible avec les articles 807 et 808 du code judiciaire qui imposent au juge de statuer sur les demandes dont il est saisi telles qu’elles ont été légalement modifiées conformément à ces dispositions. Elle relève qu’il s’agissait, dans ces deux causes, d’une aggravation de l’état de la victime après la citation et non de voir reconnaître une autre maladie professionnelle.

Elle décide que le fait invoqué dans la citation est l’existence de la maladie professionnelle désignée, en sorte que l’article 807 ne peut trouver à s’appliquer, et ce d’autant plus que les demandes sont instruites différemment par le FMP selon que la maladie dont la réparation est demandée est dans la liste ou hors liste.

La requête en cassation

La première branche du moyen unique de cassation rappelle l’enseignement des arrêts de la Cour des 8 décembre 1980 et 15 juin 1981. Mr C. soutient que le préalable administratif consacré par les articles 52 et 53 L.C. se limite à l’obligation pour la victime de se soumettre à la procédure administrative prévue et que l’arrêté royal du 26 septembre 1996 déterminant la manière dont sont introduites et instruites par le Fonds des maladies professionnelles les demandes de réparation et de révision des indemnités acquises règle uniquement les modalités d’instruction administrative de la demande. Les juridictions du travail, chargées de statuer sur les contestations des décisions du FMP sont en règle tenues de respecter les dispositions du code judiciaire dont son article 807. Au sens de cette disposition, le fait invoqué dans la citation ne se confond pas avec le fondement juridique donné à sa prétention. Le principe général de droit consacré par l’article 774 de Code judiciaire impose en effet au juge de trancher le litige conformément aux règles juridiques qui lui sont applicables.

L’arrêt commenté

La Cour accueille la première branche du moyen et casse l’arrêt attaqué pour violation des articles 2 et 807 du Code judiciaire, 52 et 53 L.C., 8bis et 9 de l’A.R. du 26 septembre 1996.

Elle relève qu’aux termes de l’article 807 C.J., les conclusions nouvelles peuvent être fondées sur un fait ou un acte invoqué dans la citation même si leur qualification juridique est différente. Le fait invoqué dans la citation n’est pas l’existence de la maladie figurant sous le code 1605.03, qui n’est que la qualification juridique des faits invoqués dans cette citation, à savoir le syndrome radiculaire objectivé de type sciatique, de la queue de cheval ou du canal lombaire étroit, consécutif à une hernie discale dégénérative ou à une spondylose-spondylarthrose dégénérative précoce au niveau L¬4 - L5 ou L5 - S1, provoquée sous certaines conditions par le port de charges lourdes ou par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège.

En vertu de l’article 2 du C.J., les règles énoncées dans ce code - et donc son article 807- sont applicables à toutes les procédures hormis celles dont les dispositions spécifiques s’avéreraient incompatibles avec celles dudit code. Tel n’est pas le cas des articles 52 et 53 L.C et 8bis et 9 de l’A.R. du 26 septembre 1996 qui « n’énoncent aucune règle régissant les demandes incidentes prévues par l’article 807 du Code judiciaire et il n’existe pas, en matière de réparation des dommages résultant des maladies professionnelles, de ‘’principe du préalable administratif’’ ou d’autre principe de droit, dont l’application serait incompatible avec cet article ».

Intérêt de la décision

Sur la question spécifique de l’extension de demande visant à la réparation d’une maladie hors liste alors que la demande administrative et la citation en justice se référaient à une maladie de la liste, la jurisprudence des juges du fond restait divisée.

Terra Laboris a publié de nombreuses décisions et commenté certaines de celles-ci. On se référera notamment, dans le sens de l’arrêt commenté, à l’arrêt, très argumenté, de la cour du travail de Liège du 1er février 2016 (Section Liège), 9e ch., R.G. 2015/AL/309) et à celui de la cour du travail de Bruxelles du 18 février 2015 (R.G. 2013/AB/321).

A titre exemplatif des décisions ayant refusé cette extension et publiées sur Juridat, on peut relever : C. trav. Liège (Section Liège), 15 janvier 2013, 2e ch., R.G. n° 2012/AL/299 et C. trav. Bruxelles, 10 juin 2013, 6e ch., R.G. n° 2011/AB/496).

Du côté de la doctrine, relevons : M. VERWILGHEN : « Le droit administratif et le droit de la sécurité sociale » in Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP, 2012, Anthemis pp.608 et ss.


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