Terralaboris asbl

Associés actifs et assujettissement au statut social des travailleurs salariés - détention d’une part sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 avril 2007, R.G. 46.024

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 19 avril 2007, R.G. 46.024

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt très fouillé du 19 avril 2007, concernant l’assujettissement d’associés actifs (une part sociale) à la sécurité sociale des travailleurs salariés, la Cour du travail de Bruxelles reprend un à un tous les aspects qu’implique la question posée, concluant, vu la faiblesse du dossier de l’ONSS, à l’absence d’éléments incompatibles avec la qualification donnée. Un intéressant – et limpide – rappel des règles applicables.

Les faits

La SPRL C., PME effectuant des travaux de plomberie est détenue par 7 associés, dont 5 ne disposent que d’une part sociale (les deux autres, détenteurs du capital, sont gérants).

En 1992, une enquête est menée par l’ONSS, à l’issue de laquelle cet organisme conclut à l’assujettissement de trois des 5 associés ne disposant que d’une part sociale, et ce pour la période du 3e trimestre 1989 au 4e trimestre 1990. Un avis rectificatif est adressé, le 9 septembre 1992. Il mentionne « régularisation sur la base des éléments recueillis par notre contrôleur » ainsi que le nom des 3 intéressés.

L’assujettissement étant contesté, l’ONSS cite la société en paiement des cotisations par citation du 19 octobre 2002.

Un jugement est prononcé en date du 30 septembre 1997, donnant gain de cause à l’ONSS, sans cependant motivation ni réponse aux arguments soulevés par la société. Ce jugement n’est pas exécuté (ni signifié).

Bien plus tard, la société fait appel du jugement, par requête déposée le 29 octobre 2004.

La position des parties devant la Cour

La société demande, à titre principal, que l’action soit déclarée irrecevable, la demande de l’ONSS étant illégale du fait de l’absence de motivation de l’avis rectificatif.

A titre subsidiaire, elle soutient que la demande est non fondée, les travailleurs ne pouvant être assujettis. Se basant sur la volonté réelle des parties, la liberté des intéressés quant à l’organisation du travail (temps et contenu), l’absence d’autorité du gérant et l’existence de l’affectio societatis, elle estime qu’aucun élément n’est incompatible avec un statut d’associé actif.

Enfin, à titre encore plus subsidiaire, elle invoque le non fondement de la demande, eu égard à un dépassement du délai raisonnable de la procédure.

L’ONSS estime sa demande légale, rappelant qu’en tout état de cause, les juridictions du travail sont compétentes pour connaître du litige (article 580, 1° C.J.). Il demande la condamnation aux cotisations, sur la base d’un faisceau d’indices (absence de pouvoir de gestion, absence d’autorité dans l’entreprise, conditions de travail identiques à celles des ouvriers salariés, statut de salarié avant d’acquérir la qualité d’associé actif, rémunération mensuelle fixe, paiement de certains jours d’absence, absence d’implication dans la signature des contrats, absence de responsabilité quant aux travaux, travail sur chantier avec les ouvriers salariés et à l’aide des matières premières de l’entreprise).

La décision de la Cour

La Cour examine tout d’abord l’argument tiré de l’irrecevabilité de la demande. Elle considère qu’à partir du moment où l’ONSS ne demande pas de donner effet à un acte administratif mais le paiement des cotisations dues, il s’agit d’une contestation relative à l’obligation de l’employeur de payer des sommes en vertu de la législation relative à la sécurité sociale, soit une action qui tombe dans le champ d’application de l’article 580, 1° du Code judiciaire. Aucune disposition quelconque ne soumettant la validité d’une telle procédure judiciaire à la notification valable et préalable d’une décision d’assujettissement ou de rectification, la demande d’écarter pour nullité les avis rectificatifs ne peut entraîner l’irrecevabilité de la procédure judiciaire elle-même. En conséquence, l’action étant recevable, la Cour estime non pertinent d’examiner la question de la légalité des avis rectificatifs eu égard à l’absence de motivation formelle au sens de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs.

La Cour passe ensuite à l’examen de l’existence d’un lien de subordination. Elle relève qu’il appartient à l’ONSS d’établir que les prestations de travail sont des prestations salariées, c’est-à-dire prouver l’existence, dans les modalités d’exécution des prestations, d’éléments incompatibles avec la qualification donnée par les parties à leurs relations de travail (collaboration comme associé actif).

Sur le plan des principes, après avoir rappelé que la détention de parts sociales (et a fortiori d’une seule) ne fait pas en soi obstacle à l’existence d’un contrat de travail, l’affectio societatis n’étant par ailleurs pas contestée par les intéressés (non entendus par l’ONSS), la Cour précise que, s’agissant de la recherche du lien de subordination d’associés, il ne faut pas confondre la domination économique (liée à la participation minoritaire dans le capital) avec l’autorité juridique, qui est la caractéristique du contrat de travail. Le travailleur économiquement dépendant n’est assujetti, hors le cas d’une présomption, à la sécurité sociale des travailleurs salariés que s’il y a subordination juridique. En l’absence de cette subordination, le juge ne peut qualifier les prestations de prestations salariées quoiqu’il y ait dépendance économique, et dès lors une partie faible au contrat qui pourrait mériter protection.

La subordination/autorité juridique exprime les prérogatives de l’employeur dans un aspect structurel : celui de donner des ordres sur la manière dont le travail doit être exécuté (modalités, contrôle, sanctions), auxquels le travailleur est tenu d’obéir dans l’exécution du travail confié. Le fait ou le droit de donner une mission, un ordre ou une instruction ne suffit pas : l’employeur doit avoir l’autorité de déterminer à tout moment comment la tâche doit être exécutée ainsi que celle de contrôler son exécution.

Quant aux critères généraux dégagés par la loi programme du 27 décembre 2006 (présomption de contrat de travail sur la base d’indices), la Cour estime qu’ils ne sont pas de nature à modifier la conception de la subordination telle que décrite, quoiqu’il ne soit pas impossible qu’une évolution résulte de son application. Il est cependant, à l’estime de la Cour, trop tôt pour en tenir compte.

Sur la preuve de l’existence d’un lien de subordination, la Cour relève que l’ONSS se fonde exclusivement sur le rapport de son inspectrice, établi sur la seule base des déclarations du gérant (d’ailleurs non consignées et signés par celui-ci) et sans qu’aucune audition des intéressés n’ait été effectuée. La Cour estime en conséquence que les éléments avancés par l’ONSS doivent être examinés avec prudence.

Elle passe ensuite en revue un à un les éléments avancés par l’ONSS. Elle rejette certains d’entre eux, vu le manque de preuve et d’autres parce qu’ils n’excluent pas l’existence d’un lien de subordination. Il en va ainsi de l’absence de pouvoir de gestion des associés actifs (le pouvoir de gestion n’étant pas requis pour qu’il y ait activité indépendante), le fait que ceux-ci prestent sur les mêmes chantiers que les ouvriers, selon les commandes de la société ou encore qu’ils bénéficient d’une rémunération mensuelle fixe, l’existence d’une rémunération allouée en contrepartie des prestations d’associé actif (en sus de la rétribution du capital) n’étant pas incompatible avec la qualification donnée.

La Cour rejette donc la demande, stigmatisant au passage la faiblesse du dossier constitué par l’ONSS (absence d’explication quant à l’assujettissement incomplet des associés actifs non gérants et d’ailleurs pour une partie seulement des prestations effectuées, absence d’audition des intéressés, dossier fondé sur le seul rapport d’inspection).

Intérêt de la décision

Il s’agit ici d’un arrêt très bien charpenté tant dans ses aspects factuels que juridiques qui donne une vision claire et compréhensible des règles jurisprudentielles actuelles en matière d’assujettissement.

L’arrêt contient ainsi bon nombre de points intéressants, au nombre desquels l’on peut pointer l’examen de l’incidence de la dépendance économique, une définition précise et pratique de l’autorité caractéristique du contrat de travail, l’incidence actuelle de la modification légale (nouvelle « présomption »), …


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be