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Maladies professionnelles dans le secteur public : l’épicondylite du facteur-distributeur

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 4 novembre 2016, R.G. 14/1.017/A

Mis en ligne le mardi 11 avril 2017


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 4 novembre 2016, R.G. 14/1.017/A

Terra Laboris

Par jugement du 4 novembre 2016, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) fait application de la présomption légale en vigueur dans le secteur public, s’agissant d’une demande de réparation d’une maladie de la liste : dès lors que celle-ci n’est pas renversée, il y a lieu à indemnisation

Les faits

Un agent des postes statutaire exerçant les fonctions de facteur-distributeur depuis plus de 30 ans introduit une demande de réparation d’une maladie professionnelle, étant une épicondylite du coude gauche. Celle-ci est attribuée aux mouvements répétés d’ouverture de la portière de la camionnette utilisée pour sa fonction de facteur. Il s’agit d’une demande pouvant à la fois figurer sur la liste (code 1.606.22) et dans le système ouvert.

L’ingénieur du Fonds des Maladies Professionnelles conclut à l’absence de risque professionnel. Il applique la procédure d’évaluation OCRA.

Le demandeur conteste, invoquant un nombre d’arrêts par jour de l’ordre de trois-cent-vingt.

La conclusion est maintenue dans un second rapport. Le résultat obtenu suite à un examen plus approfondi aboutit à un risque ˝faible˝. Or, le F.M.P. n’admet l’exposition au risque qu’à partir d’un risque ˝moyen˝.

L’employeur public rejette dès lors la demande.

Les parties se mettent ensuite d’accord sur la désignation amiable d’un sapiteur ingénieur, qui accompagne l’intéressé dans une journée de travail. Les gestes et mouvements effectués sont observés et même filmés. Il conclut, toujours sur la base de l’indice OCRA, que les critères d’exposition ne sont pas rencontrés, et ce tant sur le plan de la force exercée que sur le temps que durent les gestes professionnels. Il conclut que l’épicondylite du facteur ne doit pas être assimilée à une maladie professionnelle.

Le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) est saisi.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend tout d’abord les principes applicables dans le secteur public, étant que l’article 2, alinéa 6, de la loi du 3 juillet 1967 relative à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles dans ce secteur renvoie à la législation applicable dans le secteur privé, étant la loi coordonnée du 3 juin 1970 en ses articles 30 et 30bis. L’arrêté royal d’exécution concernant Bpost est celui du 5 janvier 1971. L’article 30 permettrait l’indemnisation dans le cadre des maladies de la liste. Le tribunal relève ici que le code 1.606.22 (en vigueur depuis le 2 novembre 2012) prévoit l’indemnisation des maladies qui atteignent les tendons, ainsi que les gaines et les insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs suite à une hyper-sollicitation par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables.

Dans le cadre du système hors liste, les règles sont reprises aux articles 30bis et 32. Le tribunal reprend le texte de cette dernière disposition en vigueur dans le secteur privé (souligné par le tribunal) depuis le 1er septembre 2006, qui contient notamment les règles de preuve.

La Cour de cassation a considéré, à propos de l’article 30bis, que le lien de causalité entre l’exercice de la profession et la maladie ne requiert pas une monocausalité, la disposition n’excluant pas la prédisposition et n’imposant par ailleurs pas au bénéficiaire de prouver l’étendue de l’incidence de celle-ci (Cass., 2 février 1998, n° S.97.0109.N).

Pour le tribunal, il en découle que l’exercice de la profession peut être un facteur secondaire et non prépondérant, pour autant qu’il reste déterminant, ce qui signifie qu’il est établi avec certitude que, sans cet élément professionnel, la maladie ne serait pas présentée de la même manière.

Le tribunal en vient à la règle contenue pour le secteur public à l’arrêté royal du 5 janvier 1971 (article 4), selon lequel est présumé jusqu’à preuve du contraire avoir exposé la victime au risque professionnel d’une maladie indemnisable tout travail effectué dans les administrations, services, organismes et établissements au cours des périodes pendant lesquelles le travailleur appartient à l’une des catégories de bénéficiaires des dispositions de l’arrêté royal. Pour le tribunal, s’appuyant sur la doctrine (P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Larcier, 3e édition, 2015, pages 304 et s.) dans le système ouvert, le travailleur a la charge de la preuve, la présomption générale ne « sembl(ant) pas jouer ».

Les éléments du dossier sont cependant examinés dans le système de la liste et le tribunal retient qu’en vertu de la présomption applicable au secteur public, il appartient à l’employeur de démontrer qu’il n’y a pas eu exposition au risque de la maladie, sachant qu’il s’agit d’une exposition qui doit être plus grande que celle subie par la population en général. Renvoyant toujours à la même doctrine, le tribunal estime que cette preuve d’absence d’exposition au risque est plus rigoureuse que celle qui consiste à établir qu’il n’est pas certain que cette exposition ait existé.

Sur l’individualisation, étant la réceptivité individuelle en fonction des particularités physiques propres, celle-ci intervient dans l’appréciation de l’importance professionnelle de l’exposition au risque dans le secteur privé où le caractère professionnel de la maladie s’examine au niveau d’un groupe de personnes exposées à une influence nocive déterminée et non au niveau de l’individu. Cette définition n’est cependant pas applicable dans le secteur public.

Le tribunal en vient ensuite à la méthode OCRA, dont il retient qu’elle ne le lie pas, même si elle n’est pas « dénuée d’intérêt ». Les conclusions tirées à partir de cette méthode ne peuvent être retenues qu’au titre d’avis non-exhaustif.

Sur la base des scores relevés, il retient encore que ceux-ci n’excluent pas le risque professionnel. Celui-ci existe dès lors et, du fait de la présomption légale, qui n’est pas renversée, la demande est accueillie.

La réouverture des débats est ordonnée sur l’indemnisation.

Intérêt de la décision

Le champ d’examen porte sur l’indemnisation de la maladie professionnelle d’un agent d’un service public, dans le cadre des maladies de la liste.

Les difficultés relatives à la question de l’application de la présomption légale dans le système ouvert ne sont qu’effleurées par le tribunal, qui renvoie à une doctrine autorisée, la question étant cependant débattue.

La décision rappelle très utilement un arrêt capital de la Cour de cassation rendu en ce qui concerne les maladies hors liste dans le secteur privé, étant que le lien de causalité ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la seule cause de la maladie. La prédisposition n’est pas exclue et la victime n’est pas tenue d’établir l’étendue de l’incidence de la prédisposition par rapport à la maladie elle-même.

Le tribunal souligne encore que l’article 32 de la loi coordonnée du 3 juin 1970 est applicable au seul secteur privé et que l’arrêté royal du 5 janvier 1971 contient en son article 4 une présomption réfragable d’exposition au risque.

En ce qui concerne l’article 32 des lois coordonnées, le tribunal souligne qu’il s’applique au secteur privé uniquement.

L’on peut très utilement renvoyer sur la question à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2016 (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039.F), ainsi qu’à un article de doctrine de B. GRAULICH et S. REMOUCHAMPS, « Condition d’exposition au risque dans le secteur public : la référence (traditionnelle) à l’article 32 des lois coordonnées n’a pas lieu d’être », consultable sur www.terralaboris.be.


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