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Occupation de travailleurs étrangers dans le cadre d’un détachement : conditions de rémunération

Commentaire de C. trav. Bruxelles (réf.), 21 octobre 2016, R.G. 2015/CB/7 (NL)

Mis en ligne le mardi 2 mai 2017


Cour du travail de Bruxelles (réf.), 21 octobre 2016, R.G. 2015/CB/7 (NL)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 octobre 2016, la Cour du travail de Bruxelles, siégeant dans le cadre des référés, rappelle qu’existent, en cas de détachement, des obligations strictes, en matière de conditions de rémunération notamment, issues de la Directive n° 97/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996.

Les faits

Une société ayant son siège social en Pologne travaille comme sous-traitant pour une société belge (secteur de la construction). L’Inspection sociale adresse une mise en demeure à la société belge, considérant qu’elle est responsable des dettes de salaire de la société polonaise, qui n’a pas payé le minimum légal pour l’occupation de travailleurs sur des chantiers dont la société belge était entrepreneur principal. Il s’agit de cinq travailleurs. Le SPF relève que ceux-ci n’ont reçu qu’un montant horaire variant entre 2,13 € et 4,61 €, alors que le minimum barémique de la rémunération en droit belge est de 14,189 € l’heure. Une notification est adressée à la société polonaise en Pologne.

Celle-ci introduit une procédure en référé à charge de l’Etat belge, aux fins de lever la notification adressée à la société belge, et ce avec astreinte et demande de publication de la décision dans toute une série de journaux. Un montant de l’ordre de 12.500 € provisionnels de dommages et intérêts est également postulé.

La demande est rejetée par le Président du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, dans une ordonnance du 26 mai 2015. L’argument essentiel quant au fond, développé par la société polonaise, est que les intéressés percevaient des indemnités journalières qui ne doivent pas être considérées comme des indemnités de frais mais comme de la rémunération.

Cette argumentation est écartée et le non-paiement du minimum barémique est considéré comme un manquement grave au sens de l’article 49/1 du Code pénal social.

Appel est interjeté.

Le SPF forme appel incident, dans la mesure où le tribunal a rejeté son argumentation sur l’irrecevabilité de la demande originaire, au motif de défaut d’intérêt.

La décision de la cour

La cour se prononce dès lors d’abord sur la recevabilité de la demande originaire, étant sur la question de l’intérêt de la société polonaise à demander la levée de la notification faite par le SPF à la société belge. Avec le Ministère public, la cour conclut que la société appelante a au moins un intérêt moral à la demande. Des tensions sont en effet nées entre les deux sociétés suite à la notification et la société polonaise précise d’ailleurs qu’il a été mis fin par la société belge à la collaboration entre parties.

La cour en vient ensuite à la validité de la notification, eu égard à une question d’adresse, la société n’ayant pas répondu à une demande expresse qui lui avait été faite de communiquer son adresse officielle. La cour rejette dès lors que la notification – qui a touché la société – ne soit pas régulière.

En ce qui concerne le fond, étant la question du caractère rémunératoire des indemnités « diety » accordées, la cour renvoie à la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 sur le détachement des travailleurs et reprend le texte de l’article 3 relatif aux conditions de travail et d’emploi, qui vise notamment (c) les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires. Par « salaire minimal », il faut entendre la notion au sens de la législation et/ou de la pratique nationale de l’Etat membre où le travailleur est mis à disposition.

La cour reprend ensuite la loi du 5 mars 2002, qui a transposé cette Directive en droit interne, soulignant ici également une disposition particulière, étant son article 5, § 1er. L’employeur qui occupe en Belgique un travailleur détaché est tenu de respecter, pour les prestations de travail qui y sont effectuées, les conditions de travail, de rémunération et d’emploi qui sont prévues par des dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles, sanctionnées pénalement.

En l’espèce, les travailleurs bénéficient d’une indemnité journalière de 48 euros, dont la société demande qu’elle soit considérée comme rémunératoire.

Renseignements pris auprès des services d’inspection polonais, les autorités belges ont pu apprendre que, dans le cadre d’un déplacement professionnel, tel que celui en cause, le travailleur a droit à l’indemnité journalière litigieuse (« diety »), ainsi qu’à une indemnisation pour frais de transport (aller/retour), frais de logement, ainsi qu’au remboursement de frais incombant à l’employeur. L’indemnité « diety » doit couvrir le coût des repas ainsi que des petites dépenses et constitue donc, dans l’hypothèse d’un détachement, une indemnité qui n’est pas de la rémunération.

Sur la base d’autres éléments produits par la SPF, la cour constate encore que l’indemnité journalière de 48 euros peut être moins élevée, en cas de repas gratuits ou d’indemnités particulières versées en vue de ceux-ci. Le système conforte dès lors le caractère indemnitaire de ce montant.

Pour la cour, les allocations propres au détachement ne peuvent être considérées comme faisant partie du salaire minimal que dans la mesure où elles ne sont pas versées au titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détachement (telles que les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture). C’est le texte de l’article 3, point 7, 2e alinéa, de la Directive.

Examinant encore, sur la base des pièces, les montants effectivement payés aux travailleurs concernés, et suivant également sur ce point les extrapolations que le SPF a dû faire pour la période concernée, la cour conclut qu’il a été trop peu payé, et ce substantiellement, aux intéressés, en comparaison avec le minimum obligatoire en Belgique. La cour souligne qu’une telle situation est un manquement grave au sens de l’article 49/1 C.P.S. et qu’il n’y a aucune raison d’annuler la notification faite.

L’ordonnance est dès lors confirmée.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Bruxelles examine, dans cet arrêt, un point important de la Directive n° 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.

Cette Directive contient un « socle dur » relatif aux conditions de travail et d’emploi, en son article 3. Sont définis huit points qui doivent être respectés, et ce quelle que soit la loi applicable à la relation de travail. Les entreprises qui occupent des travailleurs dans le cadre d’une prestation de services transnationale et auxquelles s’applique la Directive sont tenues de garantir aux travailleurs détachés sur le territoire de l’Etat membre (i) leurs conditions de travail et d’emploi (période maximale de travail et période minimale de repos ; (ii) la durée minimale des congés annuels payés ; (iii) le salaire minimal, en ce compris le salaire majoré pour heures supplémentaires ; (iv) les conditions de mise à disposition, notamment par des entreprises de travail intérimaire ; (v) la sécurité, santé et hygiène au travail ; (vi) les mesures protectrices en faveur des femmes enceintes et ayant accouché, ainsi que des enfants et des jeunes ; (vii) l’égalité de traitement, ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination).

L’on peut souligner encore qu’une Directive d’application n° 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 a précisé les conditions de mise en œuvre et de suivi des détachements et a apporté d’autres modifications au texte initial. Celles-ci ne sont pas l’objet de l’arrêt commenté.


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