Terralaboris asbl

« Dépassement du seuil de tolérance » et accident du travail

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 6 décembre 2016, R.G. 2015/AN/214

Mis en ligne le mardi 2 mai 2017


Cour du travail de Liège, division Namur, 6 décembre 2016, R.G. 2015/AN/214

Terra Laboris

Dans un arrêt rendu le 6 décembre 2016, sur appel de l’assureur-loi, la Cour du travail de Liège (division Namur) rejette un refus d’indemnisation d’un accident du travail trouvant son origine dans des mouvements répétés faits par une travailleuse, qui vidait une caisse de pommes.

Les faits

L’intéressée est vendeuse dans une société de distribution alimentaire. Son employeur introduit une déclaration d’accident du travail dans laquelle il précise qu’elle était occupée à vider un « palox », où se trouvaient des pommes. Elle s’est fait mal au dos en allant chercher les dernières pommes au fond de la caisse. La lésion est une entorse au dos.

L’intéressée a été soignée et a été en incapacité de travail.

L’assureur refuse son intervention, considérant que le traumatisme est survenu dans le cours de l’exécution du contrat, alors qu’elle effectuait des travaux normaux. C’était un mouvement quotidien. Est également précisé qu’il n’y avait pas de cause extérieure ni d’événement soudain.

Un recours est introduit et le Tribunal du travail de Liège (section Dinant) rend un jugement le 6 octobre 2015, accueillant celui-ci.

L’assureur-loi, appelant, considère que vider un bac de fruits est une activité que l’intéressée – qui est occupée depuis 2004 – a dû accomplir à de très nombreuses reprises. Ce n’est pas un mouvement isolé, mais bien le dépassement d’un ˝seuil de tolérance˝. Se posent en outre des difficultés en ce qui concerne la lésion.

La travailleuse estime établir à la fois l’événement soudain et la lésion. Elle précise que l’événement soudain ne doit pas nécessairement être inhabituel ou anormal.

La décision de la cour

La cour rappelle les grands principes en matière de définition de l’accident du travail, ainsi que le mécanisme probatoire. Dès lors que la victime a satisfait à sa propre obligation de preuve (accident survenu dans le cours et par le fait de l’exécution du contrat et qui produit une lésion, exigence de la preuve d’un événement soudain), les deux présomptions légales interviennent, pouvant être renversées.

La cour revient à une définition donnée en doctrine (M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, L’accident (sur le chemin) du travail : notion et preuve, Kluwer, 2006, p. 20), selon laquelle il s’agit d’un élément multiforme et complexe, soudain, qui peut être épinglé (c’est-à-dire étant décrit avec suffisamment de précision et identifié dans le temps et dans l’espace), qui ne doit pas nécessairement se distinguer de l’exécution normale de la tâche journalière et qui est susceptible d’avoir engendré (ou aggravé) une lésion.

Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, et particulièrement à l’arrêt qu’elle a rendu le 28 avril 2008 (Cass., 28 avril 2008, n° S.07.0079.N), il appartient au juge du fond d’apprécier si la durée de l’élément pointé excède la limite admissible. Il s’agissait en l’occurrence d’une position inconfortable dans laquelle le travailleur s’était trouvé pendant plusieurs heures et qui avait causé des lésions par surcharge (phlébite). Il est généralement admis qu’une journée de travail peut correspondre au critère requis.

La cour poursuit sur les éléments relatifs à la condition d’exécution du contrat ou des fonctions et pointe l’obligation dans le chef de l’assureur-loi qui souhaite renverser la présomption de l’article 9 d’établir l’absence de lien causal, étant que la lésion est exclusivement attribuable à une cause autre que l’accident.

Suivent les règles en matière d’état antérieur et de pluri-causalité.

En l’espèce, il est relevé que le fait pointé au titre d’événement soudain est, la journée en cause, de s’être penchée pour ramasser des pommes dans un conteneur de 400 kilos et de s’être relevée. Les derniers mouvements requéraient davantage d’amplitude, vu qu’il fallait ramasser les fruits au fond du conteneur.

Ces faits sont établis et la cour passe en revue les critères ci-dessus, appliqués aux données de fait qui lui sont soumises. Elle rejette la thèse de l’assureur-loi, pour qui le fait ne présenterait pas « une anormalité suffisante », renvoyant aux conclusions de Monsieur le Procureur général Ganshof VAN DER MEERSCH (précédant Cass., 26 mai 1967, Pas., p. 1138), qui avait expliqué très judicieusement qu’une fois le fait épinglé et la condition de soudaineté avérée, son intensité ou sa normalité importe peu, raisonner en sens contraire revenant à accorder une moindre protection aux travailleurs qui exercent des métiers dangereux ou exposés. La cour renvoie également aux mesures de prévention mises en place sur le plan de la sécurité et du bien-être au travail, le but du législateur étant d’abord la prévention et, le cas échéant, la réparation.

Elle souligne, en outre, que la répétition d’un geste précis et identifié ne lui fait pas perdre son caractère soudain. En l’espèce, le geste accompli avait une amplitude plus grande, s’agissant de se pencher jusqu’au fond du conteneur.

Enfin, examinant la discussion sur la lésion, la cour relève que l’absence d’imagerie médicale ou de traitement de kinésithérapie n’exclut pas l’existence de celle-ci.

L’appel de l’assureur-loi est dès lors non fondé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège est l’occasion de rappeler l’arrêt décisif rendu par la Cour de cassation le 28 avril 2008 sur la condition de soudaineté, étant qu’elle a confirmé le pouvoir souverain du juge du fond de vérifier en fait si la durée de l’événement épinglé est compatible avec la notion d’événement soudain, qui requiert qu’un fait précis soit identifié dans le temps et dans l’espace.

L’on relèvera encore qu’en l’espèce ce qui est soutenu est non l’ensemble des gestes faits par l’intéressée pendant toute la prestation de travail, mais un geste précis, plus ample, vu l’obligation pour elle de se pencher davantage.

L’arrêt est également clair sur les principes régissant la notion d’événement soudain, dans toutes ses caractéristiques, soulignant à plusieurs reprises que celui-ci ne doit pas se distinguer de l’exécution normale de la tâche journalière.

Le rappel de la démonstration du Procureur général VAN DER MEERSCH est également judicieux, celui-ci ayant démontré que la condition d’anormalité devait être rejetée (ce qui a été fait dans le cadre de la loi du 10 avril 1971), dans la mesure où, à supposer que l’exécution du travail présente des dangers particuliers (explosifs, etc.), l’accident qui surviendrait dans le cours de l’exécution serait en quelque sorte « normal » et, dès lors, non indemnisable.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be