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Colocation, co-housing, cohabitation et sous-location : quel est le taux des allocations de chômage ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 décembre 2016, R.G. 2015/AB/690, C. trav. Bruxelles, 22 décembre 2016, R.G. 2015/AB/537, C. trav. Bruxelles, 5 janvier 2017, R.G. 2016/AB/40, C. trav. Bruxelles, 5 avril 2017, R.G. 2015/AB/1.143, C. trav. Bruxelles, 5 avril 2017, R.G. 2015/AB/913

Mis en ligne le vendredi 26 mai 2017


Colocation, co-housing, cohabitation et sous-location : quel est le taux des allocations de chômage ?

Terra Laboris

Des décisions de plus en plus nombreuses sont rendues, tendant à faire droit à des demandes introduites par des bénéficiaires d’allocations de chômage qui contestent la position de l’ONEm les considérant comme cohabitants dès lors que d’autres personnes résident à la même adresse.

Nous reprenons ci-après cinq arrêts récents rendus par la Cour du travail de Bruxelles (la composition du siège n’étant pas identique dans celles-ci), d’autres décisions étant déjà intervenues précédemment (certaines pouvant d’ailleurs être consultées sur le site).

C. trav. Bruxelles, 8 décembre 2016, R.G. 2015/AB/690

La cour constate qu’elle a affaire à une sous-location, chacun des sous-locataires ayant un contrat avec le locataire principal. Cette situation ne constitue pas une colocation, celle-ci supposant qu’un groupe de locataires ou de sous-locataires soit lié au propriétaire ou au locataire principal par un seul et même contrat. La cour en déduit que, de cette seule constatation, il n’y a pas vie sous le même toit au sens de l’article 59 A.R.

Les parties réglaient à l’époque leur loyer séparément, des extraits de compte étant produits, relatifs par ailleurs aux dépenses de ménage. Pour la cour, il n’existe aucun indice selon lequel les questions ménagères seraient abordées, organisées et réglées en commun. L’existence dans l’immeuble de pièces communes n’est pas suffisante pour conclure à une cohabitation. Le fait que les parties aient retiré un avantage économico-financier du mode de logement n’est pas suffisant pour conclure à la cohabitation au sens de la réglementation chômage.

Et la cour de relever que ce mode de logement – considéré souvent comme de confort limité et générateur de contraintes – est une réponse aux difficultés de se loger pour les personnes à revenus modestes. A suivre la position de l’Office, la cour considère qu’il faudrait alors considérer comme cohabitants tous les locataires chômeurs qui occupent des appartements situés dans un même immeuble social.

C. trav. Bruxelles, 22 décembre 2016, R.G. 2015/AB/537

La cour relève que l’Office fait grief au chômeur de ne pas avoir établi son statut d’isolé, celui-ci étant contredit par l’inscription simultanée à la même date d’autres personnes à l’adresse. Habitant sous le même toit avec d’autres personnes, l’ONEm estime qu’il n’y a pas de lieu de vie autonome permettant de mener une existence propre sans affecter les autres occupants, une seule pièce étant commune, la cuisine. Il relève également un partage de questions ménagères.

La cour reprend également la position du bénéficiaire d’allocations, étant qu’avant de s’installer à l’adresse, il ne connaissait pas les autres locataires et qu’il a choisi cette formule de logement vu l’impossibilité pour lui de louer à Bruxelles un appartement ou un studio individuel. Il considère qu’il paie un loyer et une participation dans les frais généraux, sans qu’il n’y ait de vie commune pour le reste.

Après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’obligation pour le chômeur d’établir sa qualité d’isolé, la cour rappelle les deux conditions cumulatives de l’article 59, étant (i) la condition de vivre sous le même toit et (ii) la condition de régler les questions ménagères principalement en commun.

Elle en conclut que le simple constat d’une économie d’échelle n’est pas conforme à la réglementation et que l’on ne peut comprendre pourquoi le législateur aurait voulu sanctionner par une diminution des allocations de chômage la situation du chômeur qui ne peut pas louer un studio ou un appartement et qui se limite pour son logement à la location d’une chambre dans une maison, avec usage éventuel commun d’une cuisine ou de l’une ou l’autre pièce. En outre, en ce qui concerne la cuisine commune, la cour relève que ce n’est pas parce que celle-ci existe que l’on prépare et mange ensemble la nourriture, beaucoup de jeunes et d’isolés ne mangeant pas, par ailleurs, à leur domicile et se contentant de repas préparés…

La conclusion est dès lors qu’il n’y a pas de gestion en commun des frais ménagers.

C. trav. Bruxelles, 5 janvier 2017, R.G. 2016/AB/40

L’ONEm fait ici également grief au bénéficiaire d’allocations de ne pas démontrer que les questions ménagères n’ont pas été réglées en commun. S’agissant d’une colocation (avec une personne), l’ONEm considère que, chacun ayant pris à leur charge une partie du loyer et des charges fixes, cette mise en commun est établie.

Pour la cour, l’intéressé vit sous le même toit qu’un tiers, en ce sens qu’il bénéficie d’une partie privative (chambre et salle-de-bain), mais qu’il partage la cuisine et le séjour. Pour la cour, l’inscription à la même adresse n’est pas cependant à elle seule décisive, ni le fait d’une colocation. La cohabitation requiert davantage que coexister sous un même toit. Il faut un critère économique.

La cour rappelle encore la cherté des loyers et les difficultés du choix d’un mode de logement dans ce contexte. S’il y a, dans cette formule, obligation de partager certaines commodités communes, ceci ne signifie pas qu’il y a mise en commun des charges ménagères de manière principale. Elle relève que le loyer et les charges ne constituent qu’un des postes parmi d’autres.

Sur le plan des principes, le bénéficiaire d’allocations doit dès lors établir qu’il ne partage pas certains frais liés au ménage et qu’il ne peut bénéficier d’un avantage matériel grâce à la personne avec laquelle il cohabite. S’il satisfait à cette obligation, il peut bénéficier de l’allocation au taux isolé. Dans le cas contraire ou en cas de doute, il est cohabitant. Examinant les éléments de fait, la cour retient qu’il ne bénéficie effectivement d’aucun avantage grâce à la personne avec laquelle il cohabite. Même s’il y a colocation, il n’y a pas règlement en commun et principalement des questions ménagères. Le critère économique requis n’est pas présent.

C. trav. Bruxelles, 5 avril 2017, R.G. 2015/AB/1.143

La cour rappelle les mêmes principes que relevés ci-dessus en ce qui concerne la charge de la preuve, relevant que cette règle ne fait pas obstacle à ce que l’autre partie y collabore. La cour déplore qu’il est regrettable que l’ONEm n’ait pas fait suite à la demande de l’intéressée de visiter les lieux.

Sur la règle en elle-même, elle relève qu’il ne peut être déduit du seul fait que deux ou plusieurs personnes habitent sous le même toit qu’elles règlent également les questions ménagères principalement en commun. L’économie d’échelle qui serait réalisée procède d’une approche trop restrictive, la cour faisant grief à l’Office de passer sous silence le caractère cumulatif des conditions requises pour qu’il y ait cohabitation.

En l’espèce, il y a un espace privatif et accès à une cuisine et des sanitaires communs. L’intéressée bénéficie d’un bail distinct des autres occupants et la cour constate qu’il n’y a pas solidarisation en ce qui concerne le loyer avec les autres locataires. Ce loyer ne dépend pas du nombre d’occupants et n’est pas fonction des revenus des autres. Enfin, il n’y a pas de transfert monétaire entre eux. L’intéressée fait ses repas et ses courses de manière autonome et la cour constate dès lors qu’il n’y a pas de solidarité entre les occupants pour ce qui est des dépenses alimentaires.

Les ressources ne sont pas globalisées et les frais ne sont pas partagés, ce qui entraîne la conclusion que les questions ménagères ne sont pas principalement réglées en commun.

C. trav. Bruxelles, 5 avril 2017, R.G. 2015/AB/913

La cour fait le même constat en ce qui concerne l’absence de visite des lieux par l’ONEm et rappelle les mêmes principes, s’agissant en l’espèce de la situation où le bénéficiaire d’allocations sous-loue une grande pièce et une petite pièce (espace privatif) à une personne pensionnée qui est elle-même locataire.

En l’espèce, cette situation dure depuis 1996. L’intéressé dispose d’un bail et de la preuve de paiement des loyers immédiatement après son entrée.

La même conclusion est dès lors faite : absence de solidarité dans le paiement du loyer, celui-ci ne variant pas selon le nombre d’occupants et absence de transfert monétaire entre les locataires. Pour la cour, cet élément est de première importance : non seulement les ressources ne sont pas mises en commun, mais les frais du logement ne sont pas partagés. Le seul élément qui pourrait « faire penser » à une cohabitation est le partage de la cuisine et de la salle-de-bain, mais celui-ci n’est pas suffisant, dès lors qu’il n’a pas d’impact sur le montant du loyer.

La cour rappelle enfin que l’arrêté ministériel entend privilégier une approche réaliste, la cohabitation ne se déduisant pas du partage de toute question généralement quelconque, mais seulement du règlement principalement commun des questions ménagères, l’adverbe « principalement » ayant toute son importance.

Note :

L’ONEm s’est pourvu en cassation de plusieurs de ces décisions.

Celles-ont le mérite d’une approche réaliste de la question de la cohabitation, le partage d’un immeuble se faisant de plus en plus souvent, et ce essentiellement pour des questions d’ordre financier. Pour la cour du travail, cet élément n’implique pas l’existence d’une cohabitation au sens de la réglementation chômage. Les critères spécifiques sur lesquels les arrêts insistent tournent essentiellement sur la solidarité des charges et l’obtention d’un avantage économico-financier – ne découlant pas cependant du seul fait de l’inscription à la même adresse et du partage d’un local utilitaire commun.


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