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Aide financière pour études supérieures accordées aux étudiants non-résidents : sanction de la législation luxembourgeoise

Commentaire de C.J.U.E., 14 décembre 2016, Aff. C-238/15 (VERRUGA C/ MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR DE LA RECHERCHE)

Mis en ligne le mardi 30 mai 2017


Cour de Justice de l’Union européenne, 14 décembre 2016, Aff. C-238/15 (VERRUGA C/ MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR DE LA RECHERCHE)

Terra Laboris

Dans un arrêt très fouillé du 14 décembre 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne, saisie par le tribunal administratif de Luxembourg, considère qu’une aide financière demandée par des étudiants non-résidents ne peut être subordonnée à une condition telle que celle prévue dans la loi, étant qu’un des parents doit avoir travaillé au Luxembourg de manière ininterrompue pendant une durée minimale de 5 ans au moment de la demande.

Les faits

Un étudiant résidant avec ses parents à Longwy poursuit ses études à l’Université de Liège, sa mère travaillant au Luxembourg (dans le cadre d’un contrat de travail salarié) de manière continue (hors une interruption). Le père y a travaillé comme salarié dans un premier temps et est indépendant depuis février 2014. Le fils, étudiant, a sollicité une aide financière pour études supérieures en vue de la préparation d’un diplôme. Celle-ci lui a été refusée. Il a renouvelé sa demande pour le trimestre suivant et celle-ci a connu le même sort.

Un recours a été introduit devant le tribunal administratif luxembourgeois.

L’objet du litige est que le demandeur (auquel se sont joints ses parents dans la procédure) considère qu’il s’agit d’une prestation familiale au sens du Règlement CE 883/2004 (règlement de coordination), auquel a droit tout travailleur. A titre subsidiaire, il estime qu’il s’agit d’un avantage social au sens du Règlement 1612/68 (article 7, § 2), de telle sorte que son octroi est soumis au principe d’égalité de traitement.

Pour l’Etat luxembourgeois, il ne s’agit pas d’une prestation familiale et le Règlement n° 1612/68 ne peut trouver à s’appliquer. Il estime également que la qualité de travailleur de l’un des parents qui ne réside pas au Luxembourg ne suffit pas à elle seule à ouvrir le droit à une aide financière pour les études. Le législateur national est libre de subordonner l’octroi d’une telle aide au respect d’une condition spécifique, celle-ci étant en l’espèce que le travailleur frontalier ait travaillé pendant une durée significative – condition qui n’est pas réunie en l’espèce.

La décision du tribunal administratif luxembourgeois

Le tribunal rejette qu’il puisse s’agir d’une prestation familiale, le règlement de coordination visant les prestations liées aux contributions obligatoires, étant celles qui couvrent un risque social.

Le demandeur ayant fait valoir que ladite aide financière peut être considérée comme la contrepartie de la suppression des allocations familiales aux étudiants de plus de 18 ans, permettant de concrétiser « l’autonomie de l’étudiant », le tribunal rejette également cette argumentation, l’aide pour les études financières étant soumise uniquement à des conditions académiques et étant accordée sous la forme d’une bourse ou d’un prêt (dont le montant est variable).

En ce qui concerne le Règlement 1612/68, le tribunal considère que, dans la mesure où le financement des études accordé par un Etat membre aux enfants des travailleurs constitue pour le travailleur migrant un avantage social au sens de l’article 7, § 2, cette disposition est applicable.

Le tribunal se fonde sur l’arrêt GIERSCH du 20 juin 2013 (C-20/12), qui a retenu l’existence d’une discrimination indirecte en raison de la nationalité, eu égard à la condition de résidence prévue dans la loi en cause, et ce entre les personnes qui résident au Luxembourg et celles qui, sans y résider, sont des enfants de travailleurs frontaliers qui y ont une activité.

Quant à l’exigence d’avoir presté pendant une période minimale (déterminée), celle-ci ne peut constituer une condition exclusive, la Cour de Justice ayant relevé que ne peut être admise une règle qui privilégie un seul critère aux fins d’évaluer le degré de rattachement du travailleur frontalier à la société luxembourgeoise.

En l’espèce, le tribunal relève que le refus est fondé sur l’interruption dans la carrière de salariée de la mère (2 mois et demi), en dépit du fait qu’elle a travaillé pendant une période de presque 8 ans. Pour le tribunal, un tel refus n’aurait pas été opposé à un travailleur résidant au Luxembourg.

Il pose dès lors à la Cour de Justice une question, vu la possibilité d’une discrimination indirecte, du fait de l’existence de la condition posée, à l’exclusion de la prise en compte de tout autre critère de rattachement.

La décision de la Cour

La Cour fait un très long rappel des principes, soulignant, dans des observations préliminaires, qu’elle a déjà jugé que la différence de traitement résultant du fait qu’une condition de résidence est exigée des étudiants enfants de travailleurs frontaliers était constitutive d’une discrimination indirecte sur la base de la nationalité, en principe prohibée, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée. C’est la jurisprudence GIERSCH (citée ci-dessus).

A la suite de l’arrêt, une modification législative était intervenue, s’agissant également d’une question luxembourgeoise. Celle-ci a fixé une condition de durée de l’activité, condition de 5 ans (non interrompue) au moment de la demande de l’aide financière, dans le chef du travailleur (salarié ou non) ressortissant du Luxembourg ou de l’Union européenne, exerçant son activité au Luxembourg. C’est dans le cadre de cette modification que la situation doit ici être appréhendée.

Le raisonnement de la Cour reprend les étapes de l’examen d’une discrimination, eu égard au principe d’égalité de traitement inscrit dans l’article 45 TFUE. L’aide accordée pour l’entretien et pour la formation en vue de la poursuite d’études universitaires sanctionnée par une qualification professionnelle constitue pour le travailleur migrant un avantage social dont il peut se prévaloir si, en vertu du droit national, celle-ci est accordée directement à l’étudiant.

Dès lors qu’est posée la question de l’activité ininterrompue pendant une période de 5 ans au moins, cette distinction, fondée sur la résidence, est susceptible de jouer au détriment des ressortissants d’autres Etats membres, dans la mesure où les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux.

La Cour examine dès lors si la discrimination indirecte sur la base de la nationalité – bien présente - a un objectif légitime. Elle vérifie également le caractère approprié de la condition de durée de travail minimale et ininterrompue, ainsi que le caractère nécessaire de celle-ci.

Au terme d’une longue analyse, elle conclut que la règle qui subordonne l’octroi aux étudiants non-résidents d’une aide financière pour études supérieures à la condition d’avoir un parent ayant travaillé au Luxembourg de manière interrompue pendant 5 ans minimum au moment de la demande – sans permettre aux autorités compétentes d’octroyer celle-ci lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les parents ont malgré quelques brèves interruptions, travaillé au Luxembourg pendant une période qualifiée de significative (soit près de 8 ans) - comporte une restriction qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime visant à augmenter le nombre des diplômés de l’enseignement supérieur au sein de la population résidente, et ce eu égard au fait que les interruptions en cause ne sont pas de nature à rompre le lien de rattachement entre le demandeur d’aide et le pays.

Elle conclut dès lors à une contrariété avec l’article 7, § 2, du Règlement 402/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011 - le Règlement 1612/68 ayant été abrogé avec effet au 16 juin 2011 par le Règlement 492/2011 et les termes de ce dernier précisant (article 41) que les références faites au Règlement précédent s’entendent comme faites à celui-ci.

Intérêt de la décision

Tout en n’entrant pas dans le champ d’application du règlement de coordination, vu qu’il ne s’agit pas d’une prestation liée à des contributions obligatoires dans les régimes de sécurité sociale, l’aide aux études est admise par la Cour de Justice comme étant un avantage social au sens de l’article 7, § 2 du Règlement 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union. Les Etats membres ne peuvent donc mettre des conditions à l’octroi de cet avantage qui seraient en contradiction avec le droit à l’égalité de traitement.

L’examen de la discrimination à partir du critère de la nationalité, eu égard à la condition de présence sur le sol de l’Etat (ceux qui ne résident pas sont par définition davantage des ressortissants d’un autre Etat que ceux de l’Etat national) est régulier dans la jurisprudence de la Cour et elle conclut qu’il peut dès lors y avoir une discrimination indirecte du fait que la mesure touche essentiellement les premiers. La question est dès lors de savoir si la mesure a un objectif légitime et si les moyens de le rencontrer sont appropriés et nécessaires. L’examen de la Cour s’est arrêté au critère de l’objectif légitime – non rencontré en l’espèce.


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