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Règlement administratif de l’accident du travail : retour à la case-départ

Commentaire de C.E., VIe ch., 16 février 2017, n° 237.391

Mis en ligne le mardi 30 mai 2017


Conseil d’Etat, VIe ch., 16 février 2017, n° 237.391

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 février 2017, le Conseil d’Etat annule les deux arrêtés royaux du 17 février 2014 qui avaient modifié les procédures de conciliation médicale et d’entérinement des accords-indemnités en accidents du travail.

Objet du litige

L’Union professionnelle des entreprises d’assurances, Assuralia, a poursuivi l’annulation de deux arrêtés royaux, étant d’une part celui du 17 juillet 2014 modifiant l’arrêté royal du 10 décembre 1987 fixant les modalités et les conditions de l’entérinement des accords par le Fonds des Accidents du Travail et un autre de la même date modifiant l’arrêté royal du 5 mars 2006 fixant la procédure d’intervention en conciliation du médecin du F.A.T.

Ces deux arrêtés royaux ont été publiés au Moniteur Belge du 11 septembre 2014.

Il s’agit de solliciter l’annulation des dispositions pertinentes de ces textes en ce qu’elles modifient la procédure d’entérinement des accords-indemnités.

Les articles 2 à 4 de l’arrêté royal du 17 juillet 2014 modifiant l’arrêté royal du 10 décembre 1987 confèrent au médecin-conseil A.M.I. (médecin des mutualités) le pouvoir de donner son accord sur les éléments du rapport de consolidation lorsque le taux d’I.P.P. est égal ou supérieur à 10%.

Le second arrêté royal instaure en ses articles 1 à 5 une procédure de conciliation obligatoire auprès du F.A.T. chaque fois que les médecins des mutualités et ceux des assureurs accident du travail ne parviennent pas à un accord quant aux éléments du rapport de consolidation.

La requête demande également au Conseil d’Etat d’annuler l’article 1er du premier de ces deux arrêtés, en ce qu’il impose d’indiquer dans le rapport de consolidation une série de mentions supplémentaires par rapport à la réglementation antérieure.

Position des parties

L’Etat belge fait valoir, dans un long mémoire, non seulement les conventions de l’O.I.T. (Convention n° 17 sur la réparation des accidents du travail, Convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs et Convention n° 187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail), mais également le rattachement de l’assurance accident du travail au mécanisme de sécurité sociale. Il renvoie notamment au caractère forfaitaire de la réparation ainsi qu’au financement du système forfaitaire également, qui implique l’obligation pour les employeurs de souscrire une assurance et de supporter le coût des primes. Par ailleurs, les hypothèses susceptibles d’engager la responsabilité civile de l’employeur sont restreintes.

Il s’agit, pour l’Etat belge, d’un régime de sécurité sociale qui s’inscrit dans le cadre plus large de la prise en charge par la collectivité des coûts liés à la santé et dont le siège se trouve dans la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités. Celle-ci constitue le socle de base, commun, de tout régime de sécurité sociale portant sur la santé. L’Etat belge renvoie encore à l’article 136 de la loi, qui contient le principe de l’interdiction de cumul.

Il insiste également sur l’obligation pour l’organisme assureur en A.M.I. de réparer le dommage dans l’attente qu’il soit éventuellement pris en charge par l’autre législation et rappelle le fondement légal du premier arrêté royal, étant l’article 65 de la loi du 10 avril 1971, relatif à la procédure d’entérinement.

La partie demanderesse fait pour sa part valoir que les conventions de l’O.I.T. n’ont pas d’effet direct en droit belge et que certaines d’entre elles n’ont d’ailleurs pas été ratifiées par la Belgique. En outre, elles contiennent des principes généraux de protection sociale, qui ne sont pas directement pertinents pour la procédure et ne peuvent en tout cas justifier les modifications apportées au régime du règlement administratif de l’accident par les deux arrêtés en cause.

Elle souligne également que, si la matière des accidents du travail peut être considérée comme une branche de la sécurité sociale, elle n’en demeure pas moins une activité économique à part entière et renvoie à l’arrêt de la C.J.U.E. du 18 mai 2000 (Commission c/ Royaume de Belgique, C-206/98), qui a considéré que l’assurance accident du travail, telle qu’elle est pratiquée en Belgique, relève du domaine d’application de la troisième directive assurances non-vie et, plus généralement, des principes de libre prestation de services et de liberté d’établissement consacrés par le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne.

Sur le droit de subrogation de l’organisme assureur en AMI, elle estime que celui-ci n’a pas pour effet de transformer les mutualités en une sorte de « bras financier » ou de « socle de base » de la sécurité sociale. Ce droit ne peut par ailleurs pas être élargi en dehors de son cadre, aux fins de permettre aux mutualités d’intervenir dans la procédure d’entérinement des accords-indemnités et de donner leur accord sur les éléments du rapport de consolidation prévu par la loi du 10 avril 1971.

Pour la demanderesse, il existe à l’heure actuelle un système performant d’échanges d’informations par flux électroniques dans les deux sens, avec pour conséquence que l’obligation d’information prévue à l’article 136, § 2, alinéa 6 de la loi AMI ne peut justifier une immixtion des organismes assureurs dans la fixation du taux d’incapacité permanente en accidents du travail ainsi que dans la date de consolidation (35e feuillet).

Décision du Conseil d’Etat

A la suite d’une très longue motivation, l’arrêt va annuler les deux arrêtés royaux, constatant que dans le contexte juridique dans lequel s’inscrit la réglementation sur les accidents du travail et eu égard à la portée des habilitations conférées au Roi par les articles 64bis, 64ter et 65 de la loi sur les accidents de travail, le tournant introduit par les arrêtés royaux attaqués dans la procédure d’adoption des accords-indemnités ainsi que dans la procédure de conciliation et dans la procédure d’entérinement des accords va manifestement au-delà de ce qu’autorisent les habilitations prévues par les dispositions en cause.

Le Conseil d’Etat souligne que ceci avait déjà été relevé par la section de législation dans son avis 56.413/1 – 56.414/1 (65e feuillet).

Pour arriver à sa conclusion, le Conseil d’Etat a repris l’évolution du régime, étant le passage du mécanisme en vigueur dans le cadre de la loi du 24 décembre 1903 et l’évolution vers les règles actuelles, contenues dans la loi du 10 avril 1971.

Il analyse particulièrement les modifications apportées à l’article 65 (qui avait été remplacé par l’arrêté royal n° 530 du 31 mars 1987) et l’historique des articles 64bis et 64ter, insérés dans la loi du 10 avril 1971 par la loi du 25 janvier 1999 portant des dispositions sociales.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est bien sûr capital, pour la matière du règlement administratif des séquelles d’un accident du travail, puisque les deux arrêtés royaux en cause modifiaient considérablement la procédure tant au niveau de la conciliation médicale que pour ce qui est de la procédure d’entérinement elle-même, ainsi que d’ailleurs que pour les mentions du rapport de consolidation. L’objectif de ces mesures était de faire un lien plus étroit avec la législation AMI et de permettre une intervention du médecin-conseil de l’organisme assureur dans certaines hypothèses.

La réponse du Conseil d‘Etat est ferme, étant que ceci n’est pas autorisé par le texte actuel des articles 64bis, 64ter et 65. Il faudrait dès lors une modification du texte légal pour que les procédures envisagées puissent être réintroduites …


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