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Contrat de travail ou contrat d’entreprise : conséquences en cas de déficit d’inventaire

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Neufchâteau), 16 janvier 2017, R.G. 15/387/A

Mis en ligne le jeudi 13 juillet 2017


Tribunal du travail de Liège, division Neufchâteau, 16 janvier 2017, R.G. 15/387/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 16 janvier 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Neufchâteau) reprend les critères permettant de retenir l’existence d’un lien de subordination dans une relation de travail qualifiée de « contrat d’entreprise », une demande de requalification ayant été introduite après la rupture, vu la réclamation par la société commettante d’un important déficit d’inventaire.

Les faits

Une société active dans le secteur de la distribution d’articles de presse, d’alimentation, etc., exploite différents magasins, étant des petits points de vente, pour la gestion desquels elle contracte avec des gérants. Il s’agit de contrats d’entreprise.

Une gérante, qui preste dans un de ces magasins dans le cadre d’un tel contrat depuis août 2006, se voit reprocher après quelques années des « déficits d’inventaire » et la société finit par mettre un terme à la convention, réclamant en sus à l’intéressée, vu l’existence desdits déficits, un montant de l’ordre de 63.000 euros.

La gérante introduit une procédure devant le tribunal du travail, aux fins de faire admettre qu’il y avait en réalité un contrat de travail. Elle sollicite, ainsi, la condamnation de la société à payer une indemnité compensatoire de préavis, à régulariser sa situation auprès des institutions de sécurité sociale et également le rejet de la demande introduite à titre reconventionnel par la société en paiement du mali d’inventaire.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend l’ensemble des règles relatives à la définition du contrat de travail ainsi que les principes de base retenus dans la loi du 27 décembre 2006 en ce qui concerne la qualification des relations contractuelles, en vue de lutter contre les faux indépendants.

Lorsque les parties ont donné à leur relation de travail une qualification déterminée et que l’exécution laisse apparaître qu’il y a suffisamment d’éléments incompatibles avec celle-ci, ou encore lorsque la qualification donnée ne correspond pas à la nature de la relation de travail présumée, il y aura une requalification de la relation de travail et application du régime de sécurité sociale correspondant. Existent des critères généraux, repris dans la loi elle-même, critères connus (volonté des parties exprimée dans la convention, liberté d’organisation du temps de travail, liberté d’organisation du travail et possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique). De même, il y a des critères spécifiques à certaines professions, mais celles-ci ne concernent pas la relation visée.

L’article 337/2 fixe cependant le principe d’une présomption réfragable de contrat de travail, lorsque plus de la moitié des critères qu’il énonce (au nombre de neuf) sont remplis. Si plus de la moitié ne sont pas rencontrés, il y a présomption réfragable d’un contrat d’indépendant. Celle-ci peut cependant être renversée conformément aux critères généraux fixés dans le texte (étant les quatre ci-dessus).

Le tribunal passe ces critères en revue.

L’intéressée court un risque financier, ayant dû constituer une garantie bancaire. Elle a engagé contractuellement sa responsabilité au-delà des conditions de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, étant qu’elle est responsable des déficits d’inventaire et, d’autre part, elle l’est également pour ce qui touche au personnel qu’elle engage, celui-ci étant sous sa responsabilité, dont financière. Ces deux éléments vont dans le sens de l’absence de contrat de travail.

Par contre, elle n’a aucun pouvoir de décision concernant la politique d’achat de l’entreprise, non plus que la politique des prix (sauf si ceux-ci étaient légalement fixés). Ces deux éléments révélateurs d’un contrat de travail sont donc présents.

Cependant, l’intéressée a une sorte d’obligation de résultat concernant le travail convenu (s’étant notamment engagée à certaines règles dans le cadre des approvisionnements en marchandises). Sur le plan de sa rétribution, elle perçoit un pourcentage sur les recettes. Le gérant ne doit pas nécessairement prester personnellement, pouvant recourir à tout tiers qui serait préposé ou délégué. Ces trois critères confirmeraient le contrat d’entreprise.

Enfin, si la gérante est liée principalement ou habituellement à la seule société et qu’elle doit travailler dans ses locaux et avec son stock (matériel mis à sa disposition financé ou garanti par la société), le nombre de critères allant dans le sens d’un contrat de travail est ainsi de quatre sur neuf. Il faut dès lors retenir qu’il y a présomption de contrat d’entreprise.

Se référant, ensuite, aux quatre critères généraux, le tribunal relève encore que la volonté des parties telle qu’exprimée dans la convention était de conclure un tel contrat. Par ailleurs, pour ce qui est du temps de travail, ce sont les heures d’ouverture du magasin qui sont fixées, mais non celles de présence effective de la gérante. Elle est par ailleurs libre d’organiser son travail et le critère relatif à la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique sur elle n’est pas rencontré.

Il en découle que la présomption dégagée après l’examen des neuf critères de l’article 337/2 n’est pas renversée par l’examen des quatre critères généraux.

Le tribunal retient dès lors qu’il s’agit d’un contrat d’entreprise, auquel ne vont évidemment pas s’appliquer les hypothèses limitées de responsabilité de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

Il renvoie la cause devant le tribunal de commerce, afin qu’il soit statué sur ce chef de demande, formé par la société contre son ancienne gérante.

Intérêt de la décision

Pour arriver à une conclusion conforme aux textes, le tribunal aborde en premier lieu point par point les neuf critères repris dans la loi du 27 décembre 2006 (modifiée par celle du 25 août 2012), critères qui se réfèrent à une exigence de concordance de l’exécution effective de la relation avec la nature de celle-ci.

Après avoir relevé, l’un après l’autre, les éléments constitutifs du contrat, principalement relatifs à la marge de manœuvre ainsi qu’à l’étendue des responsabilités du prestataire, le tribunal – qui, en l’occurrence a constaté que la majorité des critères requise n’est pas remplie – pose un premier constat, étant qu’il y a présomption de contrat d’entreprise et, en l’occurrence, le deuxième examen auquel il est procédé, relatif aux quatre critères généraux, ne permet pas d’aboutir à une autre solution.

La décision conclut très logiquement au renvoi de la cause devant le tribunal de commerce.


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