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Cumul d’une prestation d’accident du travail avec une pension : légalité de la limitation

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Arlon), 10 janvier 2017, R.G. 15/528/A

Mis en ligne le jeudi 31 août 2017


Tribunal du travail de Liège, division Arlon, 10 janvier 2017, R.G. 15/528/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 10 janvier 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Arlon), saisi de cette question, reprend le dispositif de l’article 42bis tel qu’il a été modifié par la loi du 20 juillet 2006 et conclut à la légalité du système, les travailleurs victimes d’un accident de droit commun ou d’un accident du travail n’étant par ailleurs pas dans des situations comparables et une discrimination ne pouvant être invoquée.

Les faits

Un travailleur pensionné voit, lors de la prise de sa pension, la prestation d’accident du travail limitée de manière importante. L’intéressé avait un pourcentage d’incapacité permanente de 20%. La prise de la pension entraîne une révision du montant de la rente, l’intéressé ayant par ailleurs obtenu le paiement du tiers en capital précédemment. Le montant forfaitaire de base pour la catégorie des rentes entre 10% et 35% étant de 77,94 euros et faisant l’objet de diverses réévaluations et d’une indexation à la date du 1er février 2012, le montant annuel serait de l’ordre de 2.400 euros, dont à déduire le tiers payé en capital. Reste un solde d’environ 865 euros par an, dont à déduire encore la cotisation sociale de 13,07%. Il ne bénéficie plus, en conséquence, que d’un montant net de l’ordre de 63 euros par mois.

Il introduit un recours devant le tribunal du travail, qui va le débouter.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle d’abord l’article 42bis de la loi, étant que le Roi peut déterminer dans quelle mesure le cumul avec d’autres prestations de sécurité sociale peut être autorisé. Cet article avait donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation, dans la mesure où l’arrêté royal pris en application de cette disposition le 13 janvier 1983 avait été considéré illégal, vu que le Conseil d’Etat n’avait pas été consulté et que l’urgence n’était pas justifiée. La Cour de cassation avait ainsi statué sur l’illégalité de ce texte par arrêt du 27 février 2006 (Cass., 27 février 2006, n° S.05.0033.F). Une loi est venue corriger la situation avec effet rétroactif. Le cumul partiel avec les pensions est dès lors organisé de manière régulière. Dans la mesure où ce texte devait cesser d’être en vigueur le 1er janvier 2007, un arrêté royal fut pris le 12 décembre 2006 portant exécution de l’article 42bis et celui-ci prévoit, actuellement, un mode de calcul du cumul. Il dispose en outre que le Fonds des Accidents du Travail est habilité à appliquer d’office les règles du cumul, et ce à partir du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel la victime atteint l’âge de la pension (de retraite ou de survie), à défaut pour l’intéressé d’avoir fait la déclaration permettant de vérifier sa situation exacte.

Le tribunal constate que le fondement de la demande, tendant à l’écartement de l’article 42bis, est une discrimination possible de cet article depuis un arrêté ministériel du 21 décembre 2015, en ce qu’il y a une différence de traitement entre le travailleur qui n’a pas subi d’accident et qui peut cumuler les revenus de son travail avec sa pension et le travailleur qui a eu un accident du travail qui ne peut cumuler les revenus perçus suite à une perte de potentiel économique et la même pension.

Il soutient également qu’il y a une discrimination entre la victime d’un accident de droit commun et celle d’un accident du travail.

Le tribunal examine, dès lors, les deux discriminations invoquées.

Sur la distinction entre le travailleur victime d’un accident de droit commun et celui qui a subi un accident du travail, il renvoie à l’arrêt du 17 avril 2008 de la Cour constitutionnelle (C. const., 17 avril 2008, n° 64/2008), selon lequel les travailleurs victimes de l’un ou de l’autre ne sont pas dans des situations comparables eu égard au régime de responsabilité objective existant dans la loi du 10 avril 1971. Il y a dérogation au principe de la responsabilité en droit commun, ceci entraînant comme corollaire la règle du forfait de l’indemnisation, qui ne concerne d’ailleurs que la perte de potentiel économique.

Sur la discrimination entre le pensionné qui a subi un accident du travail et un autre qui poursuit une activité, il relève que ces deux catégories peuvent travailler en percevant leur pension et les revenus du travail et que la limitation des prestations en accident du travail n’est pas due au fait d’avoir repris ou poursuivi une activité mais de percevoir un nouveau revenu de remplacement. Il renvoie ici également à l’arrêt de la Cour constitutionnelle.

Il rejette encore un argument invoqué par le demandeur, selon lequel cette limitation avait eu pour origine la situation déficitaire du F.A.T. (qui n’existerait plus à l’heure actuelle), le tribunal constatant que les montants non versés par l’assureur à la victime servent pour partie à alimenter celui-ci et, pour le reste, vont à la gestion globale de la sécurité sociale.

Intérêt de la décision

La limitation du cumul de prestations en accident du travail avec une pension a été questionnée à diverses reprises et le jugement reprend « l’épisode 2006 », qui a amené la réintroduction de dispositions rétroactives, les textes existants étant considérés illégaux par la Cour de cassation.

Actuellement, le cumul en lui-même n’est plus sérieusement remis en cause, la question plus générale de la réparation forfaitaire l’étant, cependant. Elle est d’ailleurs invoquée par le demandeur, qui critique la limitation au forfait légal (en-dehors donc du problème du cumul avec une pension), et ce en comparant celle-ci avec la réparation en droit commun.

Le tribunal conclut que les situations ne sont pas comparables et ne fait d’ailleurs pas droit à une demande d’interroger la Cour constitutionnelle, qui s’est déjà prononcée.

L’on pourrait encore ajouter, à cet égard, un arrêt rendu le 12 janvier 2017 par la Cour européenne des Droits de l’Homme (Cr.E.D.H., 12 janvier 2017, Req. n° 74734/14, SAUMIER c/ FRANCE). Cette affaire concerne une discrimination possible dans la réparation des dommages subis par les victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle par rapport à la réparation en droit commun. Pour la Cour européenne, les victimes ne sont pas dans une situation analogue ou comparable et il n’y a pas de violation de l’article 14 de la Convention (combiné avec l’article 1er du Premier protocole additionnel).


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