Terralaboris asbl

Administrateur délégué à la gestion journalière : droits en cas de faillite

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 février 2017, R.G. 2014/AB/1.141

Mis en ligne le jeudi 14 septembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 28 février 2017, R.G. 2014/AB/1.141

Terra Laboris

Par arrêt du 28 février 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les administrateurs de société, également chargés de la gestion journalière de celle-ci, peuvent être valablement engagés dans le cadre d’un contrat de travail, situation contestée en l’espèce par le curateur dans le cadre de la faillite de la société employeur.

Les faits

Un directeur salarié d’une société, engagé depuis 1989 par une société anonyme de droit belge, participe à la constitution d’une autre société. L’activité projetée est le commerce de fruits de mer (crevettes) en provenance de pays non européens, en vue de la revente en Europe et dans d’autres parties du monde. La société que représente le directeur détient 3900 des 6500 actions.

Il est désigné par les administrateurs aux fonctions de délégué à la gestion journalière. Il perçoit des rémunérations d’employé et les cotisations correspondantes sont payées.

Sa part dans les actions diminue dans le courant de l’année 1995, celui-ci ne détenant plus que 1900 actions sur 6500. Il souscrit, ultérieurement, à une nouvelle augmentation de capital à concurrence de 20% de celles-ci. En 2001, il est désigné en qualité d’administrateur délégué chargé de la gestion journalière.

Dans le courant de l’année 2011, la société est déclarée en faillite. Elle a, à ce moment, cinq administrateurs, dont l’intéressé.

Suite à la faillite, le curateur rompt le contrat de travail. Il conteste par ailleurs la créance qui a été introduite au passif privilégié de la faillite, considérant que la fonction d’administrateur délégué crée une présomption d’activité professionnelle en qualité d’indépendant. Il fait également valoir qu’il n’y a pas de lien de subordination.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 30 octobre 2014, le Tribunal du travail de Bruxelles rappelle que, si les parties ont donné une qualification à leur convention, celle-ci ne peut être écartée que si les clauses contractuelles ou l’exécution contredit la qualification elle-même. Le tribunal conclut que, malgré l’engagement en qualité de salarié, la relation de travail avait évolué vers un statut d’indépendant.

L’intéressé interjette appel, maintenant qu’il a la qualité de travailleur salarié. Pour le curateur, celui-ci devrait établir – ce qu’il ne fait pas – qu’à côté de ses fonctions d’administrateur, il accomplissait une activité salariée (fonctions techniques distinctes et exécutées dans le cadre d’un lien de subordination). A défaut, il doit être considéré comme mandataire de société indépendant.

La décision de la cour

La cour du travail reprend l’analyse de l’ensemble des éléments du dossier à la lumière des critères généraux définis par la loi-programme du 27 décembre 2006, en ses articles 331 et suivants. Elle rappelle que celle-ci trouve à s’appliquer même pour les contrats de travail conclus avant son entrée en vigueur, mais continuant à être exécutés après celle-ci. C’est l’application de l’article 2 du Code civil et l’interprétation qui en a été donnée par la Cour de cassation dans divers arrêts.

La cour reprend dès lors le texte des articles 331 et 332, confirmant le mécanisme ainsi mis en place : dès lors qu’il y a une qualification donnée par les parties aux relations contractuelles, le juge ne peut s’en écarter que si celui qui demande la requalification apporte la preuve d’éléments incompatibles avec celle-ci. Ce sont les règles en matière de preuve.

En ce qui concerne les administrateurs de société anonyme, la cour rappelle qu’ils sont révocables par l’Assemblée générale conformément à l’article 518, § 3, du Code des sociétés et que cette fonction est un mandat qui ne peut être exercé dans les liens d’un contrat. Un administrateur peut cependant effectuer d’autres tâches (gestion journalière par exemple). Celles-ci peuvent être confiées à quelqu’un qui a la qualité d’administrateur ou non. Dès lors cependant qu’une autorité peut être exercée sur ce dernier, il y aura contrat de travail.

La cour examine, en conséquence, les éléments avancés par le curateur pour tenter d’obtenir la requalification du contrat. Elle souligne que ce n’est que plus de 10 ans après son entrée en fonction comme directeur salarié que l’intéressé a occupé celles d’administrateur délégué.

Reprenant successivement les éléments de la cause, la cour conclut que le curateur reste en défaut de contredire la qualification contractuelle. Il en va notamment ainsi des conditions de nomination de l’intéressé, du fait qu’il ait procédé à l’engagement de personnel, du fait qu’il pouvait engager la société elle-même (la cour relevant qu’en principe, les actes relatifs à ces engagements devaient être signés par deux personnes), etc.

Le curateur fait ensuite essentiellement valoir des arguments d’ordre financier (l’intéressé étant également chargé de la gestion journalière d’autres sociétés et ayant des participations directes ou indirectes dans le capital de la société faillie). La cour relève, en ce qui concerne sa situation par rapport à cette dernière, qu’il était actionnaire minoritaire, n’ayant que 20% des actions. Il ne pouvait dès lors imposer ses décisions lors des AG.

Est également reproché par le curateur le fait que l’intéressé pouvait représenter légalement la société auprès de bailleurs fonds et qu’il pouvait négocier l’octroi d’importantes lignes de crédit. Pour la cour, dans la mesure où il n’est pas établi qu’il imposait ses décisions au Conseil d’Administration ni que cet organe n’avait pas d’autorité sur lui, il n’est pas démontré que la convention doit être requalifiée. Pour la cour, tous les éléments avancés ne peuvent, ni isolément ni ensemble, suffire à contredire la qualification contractuelle.

La cour accueille dès lors les demandes. Elle fixe le préavis postulé à 23 mois de rémunération et passe en revue les autres postes (rémunération, jours fériés, éco-chèques, primes de fin d’année et pécules de vacances, ainsi que jours d’ancienneté).

Une réouverture des débats est cependant ordonnée d’office aux fins de vérifier si la cour est compétente pour statuer sur la demande de voir la créance admise au passif privilégié de la faillite.

Un nouvel arrêt sera rendu sur cette question.

Intérêt de la décision

L’affaire examinée par la cour du travail illustre bien la « double casquette » que peut avoir un administrateur au sein d’une société. Pour les tâches d’administrateur, qui sont un mandat, il y a possibilité de révoquer celui-ci selon les règles du Code civil et précisées par le Code des sociétés. Celles-ci ne peuvent cependant être exécutées dans le cadre d’un lien de subordination.

Par contre, sont susceptibles de l’être d’autres tâches, ainsi celle de la gestion journalière. La cour du travail rappelle deux arrêts de la Cour de cassation, sur cette problématique, étant un premier arrêt du 30 mai 1988 (R.G. 6.099), dans lequel était concerné un administrateur chargé de la gestion journalière ayant un contrat de travail, ainsi qu’un autre du 22 janvier 1981 (Pas., 1981, p. 543) visant une personne chargée de cette gestion journalière mais n’étant pas administrateur. Dans les deux hypothèses, le contrat de travail a été admis.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be