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Action en révision des séquelles d’un accident du travail et règles de preuve

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 mai 2017, R.G. 2016/AB/264

Mis en ligne le vendredi 29 septembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 8 mai 2017, R.G. 2016/AB/264

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 mai 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles de preuve en la matière : existe dans la loi du 10 avril 1971 une présomption de lien causal entre l’événement soudain et la lésion, mais cette présomption ne vaut pas pour l’action en révision des séquelles (aggravation pendant le délai de révision), où c’est la victime qui a la charge de la preuve du lien causal.

Les faits

Une infirmière à domicile est victime d’un accident sur le chemin du travail. Ressentant des douleurs en soirée, elle se rend chez son médecin-traitant. Un dossier est introduit auprès de l’assureur-loi et un rapport de consolidation intervient le 14 avril 2006, retenant une consolidation au 16 octobre 2005 avec un taux de 4% d’I.P.P. Un accord-indemnité est signé et est entériné par le Fonds des Accidents du Travail.

Dans le délai de 3 ans après celui-ci, une procédure est introduite en revision, sur pied de l’article 72 de la loi du 10 avril 1971.

Le tribunal désigne un premier expert, qui dépose son rapport, concluant à l’absence de lien causal entre les lésions et une fatigabilité chronique pointée comme l’aggravation de celles-ci.

Il procède, ensuite, à la désignation d’un second expert, considérant ne pas être suffisamment informé par les conclusions de ce premier avis,au motif que le lien causal entre l’accident et les lésions (ou la maladie) dont l’intéressée est affectée ne peut être exclu que s’il est établi avec la plus grande probabilité médicale que celles-ci se seraient présentées de la même manière en l’absence de l’accident.

Le second expert désigné dépose son rapport en janvier 2015. Il conclut sur la question spécifique posée par le tribunal qu’il peut être établi avec un haut degré de vraisemblance que les symptômes de fatigue chronique n’ont pas de lien objectif pouvant être retenu avec le whiplash ou avec les autres séquelles de l’accident.

L’assureur interjette à ce moment appel du jugement désignant le second expert, l’affaire n’étant, de ce fait, pas plaidée au fond devant le tribunal.

La décision de la cour

Le fond du litige devant la cour porte sur la charge de la preuve dans le cadre d’une demande en révision.

En vertu de l’article 72 LAT, la demande en révision des indemnités, fondée sur une modification de la perte de capacité de travail de la victime due aux conséquences de l’accident, peut être introduite dans les 3 ans qui suivent la date de l’entérinement de l’accord entre les parties par le F.A.T. (ou de la décision judiciaire ou de la notification visée à l’article 24 – hypothèses non rencontrées).

La cour revient sur la jurisprudence de la Cour de cassation, dans deux arrêts de principe des 23 octobre 1989 et 10 février 1997 (Cass., 23 octobre 1989, n° 6683 et Cass., 10 février 1997, n° S.96.0095.N). Dans ces deux décisions, la Cour suprême a d’abord décidé que l’aggravation d’une lésion qui n’a pas été causée par un accident du travail peut donner lieu à revision si l’aggravation est la conséquence de l’accident. Dans le second arrêt, elle a posé le principe qu’une demande en revision des indemnités, fondée sur une modification de la perte de capacité de travail d’un travailleur victime d’un accident du travail, ne peut être introduite que sur la base de faits nouveaux qui n’étaient pas connus ou ne pouvaient être connus à la date du premier accord (ou de la première décision).

La cour du travail poursuit en énonçant qu’il appartient à la victime ou à ses ayants-droits de rapporter la preuve qu’il est satisfait aux conditions de l’article 72 et, notamment, en ce qui concerne le lien causal entre la modification de la perte de capacité de travail et l’accident.

Or, le libellé de la mission confiée au deuxième expert part de la constatation qu’existe, pendant le délai de revision, une fatigabilité chronique, celle-ci étant établie, et qu’il y a une présomption de lien causal entre celle-ci d’une part et le whiplash de l’accident de l’autre.

La cour rappelle que la présomption légale de l’article 9 n’est pas d’application dans le cadre d’une demande en revision. Elle se penche sur les travaux préparatoires de la loi du 10 avril 1971 dont elle reprend des extraits significatifs sur la question. La limitation de la présomption légale de l’article 9 à l’action en fixation des séquelles – à l’exclusion de l’action en révision – n’est par ailleurs pas contestée en doctrine et en jurisprudence, la cour ajoutant ici de nombreuses références. C’est dès lors à l’intéressée d’établir, eu égard aux règles contenues aux articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, ledit lien.

La preuve doit être apportée avec certitude que ce lien avec l’accident existe et l’on ne peut se satisfaire de la constatation d’un lien causal possible selon la littérature médicale. La mission légale était celle qui avait été confiée au premier expert et le tribunal ne pouvait demander à un second de procéder à d’autres vérifications contraires aux règles en matière de preuve.

Le jugement désignant le second expert est dès lors réformé et, pour le surplus, la cour confirme le jugement précédent, étant celui ordonnant la première expertise.

L’affaire est renvoyée devant le tribunal.

Intérêt de la décision

Les règles en matière de preuve sont bien connues dans le cadre des diverses actions pouvant être introduites en réparation d’un accident du travail.

La question de la portée de la présomption de l’article 9 LAT (dite « présomption de causalité ») est régulièrement discutée, étant cependant acquis qu’en l’absence de précisions à portée restrictive dans la disposition légale elle-même, cette présomption vaut non seulement pour les séquelles immédiates, mais également pour les séquelles ultérieures et qu’elles couvrent aussi les séquelles indirectes de l’accident.

Cependant, dans le cadre d’une action en revision pour aggravation des séquelles indemnisées, fondée sur l’article 72 LAT, cette présomption de lien causal n’existe pas et, comme le rappelle très judicieusement la cour, c’est au demandeur en revision d’établir, conformément aux règles de preuve du droit civil, que ce lien existe réellement. Ce qui est exigé, dans le cadre de la charge de la preuve, est la certitude du lien causal et non sa probabilité (ou haute probabilité ou haute vraisemblance).


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