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Audition préalable au licenciement : du neuf ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 février 2017, R.G. 2014/AB/1.128

Mis en ligne le jeudi 12 octobre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 28 février 2017, R.G. 2014/AB/1.128

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 février 2017, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé la discussion relative à la question de l’audition préalable au licenciement d’un contractuel du secteur public, décision rendue avant un dernier arrêt de la Cour constitutionnelle attendu (arrêt rendu le 6 juillet 2017).

Les faits

Une employée d’un C.P.A.S. (assistante en soins hospitaliers) est licenciée moyennant un préavis à prester de 9 mois.

Elle introduit, suite à celui-ci, une demande devant le Tribunal du travail de Nivelles, considérant que le licenciement est irrégulier en la forme et/ou abusif et demandant des dommages et intérêts. Elle est déboutée de ses prétentions par un jugement du 27 mai 2014 et interjette appel.

Elle fait grief au C.P.A.S. qui l’employait d’avoir méconnu le principe de l’audition préalable.

Celui-ci considère qu’il n’y a pas d’obligation à cet égard en cas de licenciement d’un travailleur salarié, et ce d’autant moins que la mesure de licenciement est étrangère au comportement de l’intéressée. Sur le préjudice, celui-ci consisterait en la perte d’une chance de conserver son emploi et implique la charge de la preuve dans le chef de la demanderesse d’une chance réelle d’avoir pu infléchir la décision de licenciement.

La décision de la cour

La cour motive longuement sur le principe de l’audition préalable.

Elle refait un examen assez complet de la discussion, étant qu’il s’agit de déterminer si la formule « audi alteram partem » a été méconnue en l’espèce. Ce principe impose à l’autorité administrative qui envisage de prendre une mesure grave à l’égard d’une personne (qu’elle soit physique ou morale) de l’entendre au préalable dans ses explications. C’est un principe général de droit, mais la cour rappelle que celui-ci ne peut avoir qu’un rôle supplétif, c’est-à-dire qu’il ne peut intervenir que lorsque le litige ne peut être réglé sur la base d’aucun texte légal et qu’il y a dès lors lieu de suppléer à l’absence de règle.

La question de l’application de ce principe à l’hypothèse de licenciement a été controversée. La cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015, qui a rejeté que l’absence d’audition soit fautive (de même que l’absence de motivation), arrêt rendu sur pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Gand, pour laquelle il y avait violation d’un principe général de bonne administration.

L’employeur public n’est, en application de la jurisprudence de la Cour de cassation, tenu que par les obligations des articles 32, 3°, 37, § 1er, alinéa 1er, et 39, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

Est ensuite venu l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 septembre 2016 (n° 235.871), qui a confirmé la position de la Cour de cassation. Les juridictions du fond s’alignent sur cette jurisprudence, depuis.

Le fondement de cette position est que, lorsque l’administration conclut un contrat, elle abandonne son rôle de pouvoir public et devient un employeur ordinaire.

La cour du travail dit adopter cette interprétation et renvoie à d’autres décisions ayant confirmé l’absence de droit pour le contractuel du service public d’exiger le bénéfice de l’adage « audi alteram partem ».

Elle renvoie ensuite à une affaire (alors toujours) pendante devant la Cour constitutionnelle, mais considère ne pas devoir attendre le prononcé de cet arrêt. La Cour constitutionnelle a en effet été interrogée sur la discrimination entre deux catégories de travailleurs de l’employeur public, mais, pour la cour du travail, si la réponse de la Cour constitutionnelle était affirmative, le travailleur qui s’estime injustement privé du droit d’être entendu avant son licenciement devrait démontrer un dommage, celui-ci consistant dans la perte d’une chance de conserver son emploi. Or, en l’espèce, l’intéressée n’établit aucun dommage, étant qu’elle ne prouve pas que, si elle avait été entendue préalablement, elle aurait eu une chance de rester au service du C.P.A.S.

Le motif du licenciement est démontré et aucun préjudice n’est avéré.

La cour rencontre également une demande d’abus de droit, dont elle rappelle les principes. Elle conclut également à l’absence de preuve d’un tel abus dans le chef de l’institution.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, rendu le 28 février 2017, fait référence à un arrêt attendu de la Cour constitutionnelle. Celui-ci a été prononcé le 6 juillet 2017 (arrêt n° 86/2017).

Était posée la question de savoir si les articles 32, 3°, et 37, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 faisaient ou non obstacle au droit d’un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement, eu égard au contrôle de constitutionnalité des articles 10 et 11 de la Constitution.

La Cour a répondu que ces dispositions, interprétées comme faisant obstacle au droit d’un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement, violent les articles 10 et 11 de la Constitution, violation qui n’existe pas dès lors qu’elles sont interprétées comme ne faisant pas obstacle à ce même droit.

Les autorités administratives (en l’occurrence une commune) ne peuvent dès lors pas se voir empêcher de respecter le principe général de bonne administration « audi alteram partem » et d’entendre le travailleur avant de procéder à son licenciement.

La Cour constitutionnelle a apporté cette réponse, ayant examiné la différence de traitement dans l’interprétation du juge a quo. Elle a retenu qu’existe une différence de traitement entre les contractuels et les agents statutaires (qui ont le droit d’être entendus conformément au principe en cause), mais a relevé que les agents statutaires ne sont, en principe, pas comparables aux agents contractuels, puisqu’ils se trouvent dans une situation juridique fondamentalement différente. Elle a cependant retenu que les règles juridiques différentes qui régissent la relation de travail de l’une et de l’autre catégorie d’agents n’empêchent pas qu’ils se trouvent, par rapport à une question de droit posée par leur action devant un juge, dans une situation comparable (B.6.1.).


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