Terralaboris asbl

Etudes à l’étranger et droit aux allocations d’insertion

Commentaire de Cass., 13 février 2017, n° S.16.0061.F

Mis en ligne le vendredi 13 octobre 2017


Cour de cassation, 13 février 2017, n° S.16.0061.F

Terra Laboris

La Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi introduit par l’ONEm contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 25 mai 2016. L’ONEm était appelant dans la procédure devant la cour du travail d’un jugement rendu par le Tribunal du travail de Bruxelles le 20 juin 2014. Son arrêt du 13 février 2017 vient confirmer que le lien réel avec le marché du travail peut être établi par le recours à différents critères et que la condition d’études en Belgique (5 années) ne peut constituer le critère unique ouvrant le droit aux allocations d’insertion.

Rétroactes

Une jeune femme née en 1987 sollicite en janvier 2013 le bénéfice des allocations d’insertion. Son père étant diplomate, elle a séjourné à l’étranger et a terminé ses études secondaires en Egypte, ayant obtenu le baccalauréat français. Ce diplôme a été reconnu en Belgique, étant équivalent à un certificat de l’enseignement secondaire supérieur. Elle a suivi des études universitaires et a obtenu, après cinq ans, un diplôme, suite à quoi elle s’est inscrite comme demandeuse d’emploi à partir du 14 novembre 2010. Six mois plus tard, elle a effectué un stage à l’étranger pendant quatre mois et s’est réinscrite au chômage en juin 2012, introduisant une demande d’allocations d’insertion à partir du 1er août. L’intéressée demande que soit prise en compte une période de formation à l’étranger. Ce point n’est pas litigieux.

Elle effectue cependant des prestations de travail à temps plein pendant près de deux mois dans un centre sportif et démissionne. Une demande est alors introduite en décembre 2012 et l’ONEm prend la décision litigieuse en date du 15 mai 2013.

Il s’agit d’un refus d’admissibilité, la demande étant introduite sur la base d’études à l’étranger. Il retient que, dès lors, les études ne sont pas précédées de six années d’études en Belgique, en sorte qu’elles ne peuvent pas être prises en compte.

Suite au recours de l’intéressée, le tribunal du travail avait conclu, s’agissant de l’état de la réglementation en 2013, modifiée par un arrêté royal du 11 février 2013 pris suite à l’arrêt D’HOOP (C.J.U.E., 11 juillet 2002, aff. D’HOOP c/ ONEm, C-224/98) et à l’arrêt PRETE (C.J.U.E., 25 octobre 2012, aff. PRETE c/ ONEm, C-367/11), qui avait conclu à l’illégalité de la règle applicable.

Le critère de cette disposition, étant l’exigence d’avoir accompli préalablement six années d’études dans le pays, est, pour le premier juge, l’unique critère retenu, et ce à l’exclusion de tout autre et sans nuance. Il constitue une mesure qui n’est ni pertinente ni proportionnelle à l’objectif poursuivi. L’intéressée répondant aux autres conditions, il avait considéré le recours fondé.

Dans son arrêt du 25 mai 2016, la cour du travail avait souligné l’équivalence de diplôme et également constaté qu’il n’y avait pas en l’occurrence six années d’études suivies dans un établissement d’enseignement organisé, reconnu ou subventionné par une Communauté en Belgique.

Après avoir renvoyé également à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, la cour avait cependant conclu avec l’ONEm que l’intéressée ne relève pas des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs. Cependant, en droit interne, les articles 10 et 11 de la Constitution impliquent que les Belges sont égaux devant la loi et qu’il ne peut y avoir de discrimination dans la jouissance des droits et libertés.

Après une longue motivation, la cour du travail avait considéré que l’ensemble des éléments retenus allaient dans le sens d’un lien réel avec le marché du travail belge et que ceux-ci permettaient de considérer que la condition était remplie, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à l’exigence des six années d’études. Elle avait dès lors écarté celle-ci sur la base de l’article 159 de la Constitution.

Le pourvoi

L’ONEm a formé un pourvoi contre cette décision, considérant, dans ses griefs, que les articles 10 et 11 de la Constitution n’excluent pas qu’une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable. Telle justification doit s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise.

La première branche du moyen faisait valoir que la différence de traitement, parmi les jeunes Belges qui n’ont pas terminé leurs études secondaires, entre ceux qui ont obtenu le diplôme ou certificat d’études requis devant le jury compétent et ceux qui ne l’ont pas mais se sont vu reconnaître par une Communauté un titre d’équivalence, est bien réelle. Cependant, celle-ci ne doit pas être justifiée dans la mesure où les jeunes ne sont pas dans une même situation ni dans une situation comparable, les premiers ayant nécessairement fait leurs études en Belgique et les seconds à l’étranger.

Il fait également valoir que l’arrêt PETRE de la Cour de Justice du 21 février 2002 (à l’origine de l’introduction du littera j dans l’article 36, § 1er, 2°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991) est étranger au présent litige, l’étudiante ayant poursuivi ses études secondaires en-dehors de l’Union européenne. Il en découle que le litige relève des seules dispositions constitutionnelles belges.

Le pourvoi développe une seconde branche à titre subsidiaire quant à la légitimité du choix opéré par le législateur.

La décision de la Cour

La Cour rappelle les garanties contenues dans les articles 10 et 11 de la Constitution.

Analysant l’arrêt de fond, elle relève que la cour du travail a admis que le critère d’avoir accompli préalablement six années d’études en Belgique est objectif et qu’il répond au but visé dans la mesure où le seul fait d’y satisfaire pourrait démontrer un lien avec le marché du travail belge. La cour du travail a recherché si la différence de traitement était raisonnablement justifiée, étant de savoir si la condition unique posée par la réglementation excédait ce qui était nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif poursuivi, qui est de garantir l’existence de ce lien réel. La cour a également examiné si cette condition fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments représentatifs propres à établir ce lien.

Pour la Cour de cassation, la cour du travail n’a pas retenu qu’il s’agissait de deux situations non comparables mais, au contraire, qu’elles l’étaient précisément du point de vue auquel l’arrêt se plaçait, étant qu’il a identifié deux situations différant suivant le titre obtenu pour les études secondaires et les a rapprochées du point de vue de ce qui constitue à ses yeux l’objectif commun des dispositions applicables à chaque situation. La cour a souligné les éléments que les demandeurs d’allocations des deux catégories ont à cet égard en commun : être jeunes, être belges ou étrangers, être confrontés au passage de l’enseignement au marché du travail et être titulaires d’un titre pour les études secondaires délivré ou reconnu par une Communauté.

Pour la Cour de cassation, la première branche est fondée sur une interprétation inexacte de l’arrêt et manque donc en fait.

Sur la seconde branche (développée à titre subsidiaire), où l’ONEm faisait valoir qu’en ayant fait le choix de ce critère alors que d’autres auraient pu être pris en considération, le Roi avait pris une décision qui n’est pas dénuée de justification objective et raisonnable au regard du but et des effets de la mesure prise, la Cour de cassation répond que, dans la mesure où la condition unique fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments dont l’ensemble suffit à établir le lien réel requis avec le marché du travail belge (nationalité, études, diplôme universitaire belge, inscription comme demandeur d’emploi, durée de celle-ci, reconnaissance d’une formation par l’Office belge de l’emploi et contexte familial), l’arrêt a légalement justifié sa décision que la différence de traitement excédait ce qui était nécessaire pour atteindre le but poursuivi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour suprême devrait avoir mis un terme à ce contentieux.

La condition unique exigée dans la disposition ne peut, en conséquence, plus être exigée, dans la mesure où d’autres éléments sont susceptibles d’établir le lien réel requis entre le demandeur d’allocations et le marché du travail belge.

Les strictes conditions d’admissibilité au bénéfice des allocations d’insertion avaient déjà été mises à mal par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne dans les arrêts ci-dessus, dont l’arrêt PRETE du 25 octobre 2012 (C-367/11) rendu sur une question préjudicielle posée par la Cour de cassation elle-même par arrêt du 26 juin 2011 (R.G. S.10.0057.F). Ceci faisait suite à la modification de l’article 36, § 1er, 2°, j), de l’arrêté royal, suite à l’arrêt D’HOORE du 21 février 2002 (C-224/98).

En l’espèce, ne s’agissant pas d’études suivies dans l’Union européenne, leur enseignement n’était pas transposable, même s’il était souhaité.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be