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Partage d’une maison unifamiliale : cohabitation ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 février 2017, R.G. 2016/AL/272

Mis en ligne le jeudi 26 octobre 2017


Cour du travail de Liège, division de Liège, 13 février 2017, R.G. 2016/AL/272

Terra Laboris

Par arrêt du 13 février 2017, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les critères pertinents pour déterminer s’il y a, dans le cadre de la réglementation chômage, règlement principalement en commun des questions non financières ou mise en commun des ressources, les dispositions prises découlant inéluctablement du partage d’un lieu de vie ne pouvant suffire, non plus que la seule constatation d’une économie, à retenir qu’il y a cohabitation au sens de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Les faits

Deux sœurs, demandeuses d’emploi indemnisées, sont domiciliées dans le même immeuble, ainsi que leur grand-mère. L’une des deux reçoit sa fille, qu’elle héberge le mercredi et un week-end sur deux. Elle verse pour celle-ci une contribution alimentaire de 25 euros par mois.

Les deux sœurs perçoivent les allocations de chômage au taux cohabitant avec charge de famille.

Il ressort d’une enquête de l’ONEm que l’une des deux sœurs occupe le rez-de-chaussée avec la grand-mère et que l’autre est à l’étage. Les commodités sont partagées.

L’ONEm prend deux décisions, l’une pour chacune des deux sœurs. Celle des deux qui a déclaré cohabiter avec sa grand-mère se voit notifier une décision d’exclusion depuis mars 2003 au taux de travailleur avec charge de famille, avec récupération depuis septembre 2010, et une exclusion de 13 semaines. Il lui est fait reproche d’avoir fait des déclarations inexactes au motif qu’elle avait déclaré la cohabitation avec la grand-mère mais qu’en réalité, elle vivait avec sa sœur, dans la mesure où elles partagent des pièces communes et où il y a une mise en commun des ressources. L’indu réclamé est de l’ordre de 24.000 euros.

Quant à la sœur, elle fait parallèlement l’objet de la même décision d’exclusion, avec récupération et sanction de 13 semaines, l’ONEm lui reprochant également d’avoir fait des déclarations inexactes, au motif qu’elle avait déclaré habiter seule et payer une pension alimentaire (ce qui avait justifié le paiement des allocations au taux de travailleur avec charge de famille). Pour l’ONEm, il y a cohabitation des deux sœurs, et ce aux mêmes motifs que ci-dessus.

Un recours est introduit contre chacune de ces décisions fin 2013.

A la même époque, la grand-mère décède. Suite à ce décès, celle des deux sœurs qui avait déclaré la cohabitation avec la grand-mère fait une nouvelle déclaration sur un document C1, où elle dit habiter seule.

L’ONEm prend une nouvelle décision, en conséquence, contre cette dernière, considérant qu’elle n’est pas travailleur isolé. L’ONEm reprend les mêmes motifs que dans les deux décisions ci-dessus. Lui est octroyé le taux cohabitant. Outre la récupération des allocations pour une brève période (4 mois environ), l’ONEm décide une exclusion pour une durée de 26 semaines. Sont toujours reprochées des déclarations inexactes.

Un recours est encore introduit contre cette décision.

Par jugement du 11 avril 2016, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) conclut à la cohabitation tant avant qu’après le décès de la grand-mère. Il rejette la bonne foi (article 169 de l’arrêté royal), qui eut pu limiter la récupération aux 150 derniers jours d’indemnisation. Il confirme les sanctions dans leur principe et accorde un sursis partiel pour la première des deux sanctions. En ce qui concerne la sanction de 26 semaines, il conclut à l’absence de récidive et réduit dès lors celle-ci à 13 semaines avec sursis.

Appel est interjeté par l’ensemble des parties (par appel principal ou incident).

Position des parties devant la cour

Les deux sœurs adoptent des positions similaires, légèrement modulées vu leur situation respective. Elles plaident la bonne foi et, en ce qui concerne la sanction, demandent qu’elle soit assortie d’un sursis ou qu’elle soit remplacée par un avertissement.

Quant à l’ONEm, il demande que les décisions administratives soient rétablies dans leur totalité et sollicite de pouvoir récupérer les allocations à partir de la date qu’il avait fixée (le tribunal ayant postposé légèrement le point de départ).

La décision de la cour

La cour rappelle les règles de preuve en la matière. L’article 110, § 4, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage dispose que le travailleur ayant charge de famille et le travailleur isolé doivent apporter la preuve de la composition de leur ménage, ce qui a fondé la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le chômeur doit établir la qualité d’isolé (article 110, § 2) ou de chef de ménage (article 110, § 1er).

La notion de cohabitation suppose que deux conditions soient réunies, étant d’abord de vivre sous le même toit et également de régler d’un commun accord et complétement – à tout le moins principalement – les affaires du ménage. Ceci ne signifie pas nécessairement que les ressources soient confondues complétement ou presque complétement.

Ayant également rappelé le caractère transversal de la notion de cohabitation dans les diverses branches de la sécurité sociale, la cour centre son examen sur la notion de règlement principalement en commun des questions ménagères, considérant que cette notion recouvre deux aspects qui peuvent se cumuler sans toutefois que ceci soit requis : il s’agit soit de la mise en commun des ressources au-delà des aménagements pratiques liés à la vie sous le même toit, soit du règlement en commun des questions ménagères non financières.

La prudence s’impose, cependant, pour ce qui est de la mise en commun des ressources, la cour rappelant que l’évolution des modes de vie, et particulièrement l’essor de la colocation pour accéder à un budget égal à un marché locatif plus qualitatif, doivent être pris en compte. L’on ne peut déduire en cas de partage d’un logement, de consommation d’énergie sans autre élément, qu’il y a cohabitation. Pour la cour, la seule économie, qui découle inéluctablement de la vie sous le même toit et qui est d’ailleurs le but de cette formule, ne suffit pas pour qu’il y ait cohabitation.

Sont dès lors indifférents :

  • Le fait que chacun paye sa part du loyer directement ou non (un colocataire se chargeant de centraliser) ;
  • Le fait que le contrat de bail ait été signé par tous les preneurs ou si chacun a un bail séparé ;
  • Le fait que les factures d’énergie soient payées de façon fractionnée ou qu’il y ait centralisation.

Pour la cour, ces éléments ne sont que la conséquence du mode de vie et ne peuvent démontrer le règlement en commun des questions ménagères.

Il faut, sur le plan financier, qu’il y ait une mise en commun allant au-delà de ces modalités (courses, recours à une aide-ménagère, loisirs, achat de meubles ou d’électro-ménager, etc.).

Après ces développements sur la question de la mise en commun des ressources, la cour examine le deuxième point, étant le règlement principalement en commun des questions non financières. Il s’agit ici de l’organisation au quotidien (tour de rôle pour les repas, vaisselle, nettoyage, lessive, etc.). Peuvent également être visés des moments de convivialité communs ou le fait de pouvoir puiser dans les réserves des autres. Il faut dès lors un projet commun et le simple partage d’un local (avec répartition des heures d’occupation), d’armoires ou la préparation simultanée des repas ne sont pas suffisants, étant l’expression de la juxtaposition de questions ménagères réglées distinctement.

La cour relève cependant la difficulté qu’il y a à faire le partage entre les deux types de situation, ce qui justifie qu’il faut faire une appréciation raisonnable des éléments soumis.

Examinant les éléments de l’espèce, la cour conclut, pour la sœur habitant à l’étage, qu’elle démontre qu’il n’y avait pas de mise en commun des ressources et conclut de même pour ce qui est de l’absence de règlement en commun des questions non financières.

Quant à l’appel de l’autre sœur, qui était un appel incident, il est déclaré irrecevable au motif que, l’appel principal étant celui formé par sa sœur, elle ne peut avoir la qualité d’intimée, non plus que par rapport à l’appel incident de l’ONEm, qui, quant à lui, était également dirigé uniquement contre cette dernière.

Intérêt de la décision

La question de la cohabitation donne lieu à de nombreuses discussions dans la jurisprudence récente. Celle-ci découle du constat que, de plus en plus, des personnes sont contraintes, pour des motifs essentiellement financiers, de partager leur lieu de vie.

L’on peut à cet égard renvoyer à divers arrêts de la Cour du travail de Bruxelles (dont C. trav. Bruxelles, 5 avril 2017, R.G. 2015/AB/1.143 et C. trav. Bruxelles, 5 avril 2017, R.G. 2015/AB/913).

Les situations examinées portent en général sur des formules de colocation, de « co-housing » et de sous-location.

L’arrêt commenté est le premier à notre connaissance à emboîter le pas à la réflexion relative aux critères requis, dont celui particulièrement complexe de la notion de règlement principalement en commun des questions ménagères. L’on notera que la cour examine non seulement la mise en commun des ressources, mais également le règlement des questions non financières.


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