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Gérant de société et statut social des travailleurs indépendants

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 20 juin 2017, R.G. 2016-AN-14 et 2016/AN/15

Mis en ligne le jeudi 26 octobre 2017


Cour du travail de Liège, division Namur, 20 juin 2017, R.G. 2016-AN-14 et 2016/AN/15

Terra Laboris

Par arrêt du 20 juin 2017, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle que les gérants de société sont présumés exercer une activité conformément au statut social des travailleurs indépendants et que cette présomption peut être renversée, à la condition d’établir l’absence de lucre et l’absence d’exercice habituel d’activités. L’arrêt rappelle également la possibilité de suspendre pour force majeure le délai de recours en AMI.

Les faits

Un gérant d’une S.P.R.L. (mandat rémunéré) est en incapacité de travail suite à un accident. Il est autorisé par le médecin-conseil de son organisme assureur à exercer une activité à raison de 6 heures par semaine. Il sollicite ensuite l’assimilation de ses périodes de maladie à des périodes d’activité. Cette déclaration étant tardive, l’organisme assureur accepte d’indemniser, mais procède à la réduction de 10%.

Il sollicite ultérieurement de l’I.N.A.M.I. la suspension de la prescription pour force majeure, ce que l’I.N.A.M.I. refuse.

Un litige naît, dès lors, entre l’intéressé, l’I.N.A.S.T.I., son organisme assureur et l’I.N.A.M.I.

L’intéressé demandait en effet l’indemnisation de son incapacité depuis le 1er mars 2002 jusqu’au 28 juin 2013 et elle n’a été acceptée qu’à partir de cette dernière date.

En outre, l’I.N.A.S.T.I. a refusé l’assimilation pour la période de maladie du 1er janvier 2012 au 30 juin 2013, au motif que l’intéressé était resté mandataire et associé actif de la S.P.R.L.

En première instance, seul le demandeur a comparu et un jugement par défaut a été rendu, faisant droit à la totalité de sa demande.

Appel est interjeté à la fois par l’I.N.A.S.T.I. et par l’I.N.A.M.I.

La décision de la cour

La cour joint les appels.

Elle examine en premier lieu l’appel de l’I.N.A.M.I., qui conteste le bien-fondé de la demande de suspension de prescription, fondée sur les articles 174, alinéa 5, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, et 328 de l’arrêté royal d’exécution du 3 juillet 1996.

La cour constate que le recours a été introduit en-dehors du délai de 3 mois fixé à l’article 23 de la Charte de l’assuré social et qu’aucun délai spécifique plus favorable n’existe. En outre, la cour, qui examine les pièces, constate que la force majeure n’est pas établie.

Elle conclut à l’irrecevabilité de la demande originaire.

Quant à l’appel de l’I.N.A.S.T.I., la cour rappelle l’article 28, § 3, de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants. Celui-ci n’admet pas (hors hypothèses non visées ici) l’assimilation de périodes au cours desquelles une activité professionnelle a été exercée. La notion d’activité professionnelle est celle de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants. Il en va notamment ainsi de l’exercice d’un mandat dans une société commerciale, la cour renvoyant à diverses décisions de cours de travail, ainsi qu’à des arrêts de la Cour de cassation (Cass., 21 mars 1983, Pas., p. 789 et Cass., 24 décembre 1979, Pas., 1980, I, p. 504).

Le travailleur indépendant est donc la personne physique qui exerce en Belgique une activité professionnelle en raison de laquelle elle n’est pas engagée dans les liens d’un contrat de travail ou d’un statut. Des présomptions existent et visent notamment toute personne qui exerce une activité professionnelle susceptible de produire des revenus au sens des articles 23, § 1er, 1° ou 2°, ou 30, 2°, du C.I.R.

Existe également une présomption spécifique pour les mandataires de société ou association assujettie à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents.

Le caractère réfragable de cette présomption a été admis et, pour la renverser, il faut établir l’absence de but de lucre et également l’absence d’exercice habituel de l’activité, la cour reprenant l’exemple du mandat gratuit exercé au sein d’une société dormante.

Tel n’était pas le cas en l’espèce, la cour relevant que l’intéressé ne renverse pas la présomption, étant qu’il n’établit pas l’absence de but de lucre et l’absence d’exercice habituel de l’activité. Au contraire, sa qualité de gérant unique implique qu’il était amené à exercer concrètement une activité.

La cour constate également que la société n’était pas « dormante », l’intéressé ayant au contraire perçu des revenus de dirigeant d’entreprise. Le caractère limité de ceux-ci ne modifie pas la conclusion selon laquelle il y a lieu de confirmer la position de l’I.N.A.S.T.I.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est intéressant à plusieurs titres.

Il rappelle en premier lieu que peut être invoquée en AMI une situation de force majeure, aux fins de faire admettre la recevabilité d’un recours introduit en-dehors du délai de 3 mois. Cette possibilité est prévue à la fois dans la loi coordonnée et dans l’arrêté royal. Il est, en vertu de l’article 328 de ce dernier, statué par le fonctionnaire dirigeant du service du Contrôle administratif pour chaque cas individuel.

En cas de demande de suspension pour cause de force majeure de la prescription des actions en paiement de prestations, l’existence de celle-ci est dûment vérifiée. La prescription peut être suspendue en vertu de l’article 174, alinéa 5, de la loi, qui autorise expressément la suspension de certaines prescriptions pour cause de force majeure. Il s’agit des actions en paiement de prestations visées à la même disposition, en ses 1° à 4°.

Comme souligné par la cour, les conditions de la reconnaissance de la force majeure imposent que celle-ci soit ininterrompue pendant les 3 mois ayant suivi la notification et, par ailleurs, cette force majeure doit être établie selon les règles générales d’impossibilité absolue d’exécuter l’obligation ou d’introduire la procédure.

L’arrêt rappelle également la situation des gérants de société, pour qui vaut une présomption réfragable d’assujettissement au statut social. L’évolution des règles en la matière est reprise, aboutissant à l’état actuel de la jurisprudence : la présomption d’assujettissement peut être renversée, par l’intéressé, s’il établit l’absence de lucre et l’absence d’exercice habituel de l’activité visée.


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